Les Transamazoniennes se sont achevées ce dimanche 26 octobre 2008 à Saint-Laurent du Maroni en Guyane. Si le public s’est montré plutôt timide, les organisateurs se réjouissent que le festival ait une nouvelle fois permis de médiatiser les cultures de la « région » Amazonie. Michaël Christophe revient sur la création de cette manifestation, qu’il mûrit depuis une dizaine d’années.
Le rideau est tombé ce dimanche sur les Transamazoniennes. Lors de la cinquième édition de ce festival biennal, le plus grand événement culturel de Saint-Laurent du Maroni (Guyane), les spectateurs ont chaleureusement salué des pointures locales, comme Chris Combette et Koloni. Leurs applaudissements étaient encore plus nourris lorsque les têtes d’affiches internationales prenaient possession de la scène. Des têtes d’affiches qui ont fait honneur à cet enthousiasme. Le maître jamaïcain du reggae Gregory Isaacs a joué ses plus grand classiques, le Mauritanien Daby Touré a électrisé la foule avec un rock teinté de reggae, le Guadeloupéen Admiral T a secoué le public à coups de dancehall… Autant de prestations ponctuées de messages appelant au rassemblement culturel voulu par Michaël Christophe, qui a monté les Transamazoniennes avec une « horde » de collaborateurs. Le jeune homme de 37 ans, batteur et directeur d’un label produisant des artistes guyanais, revient sur l’évolution du festival international des cultures d’Amazonie.
Afrik.com : Comment vous est venue l’idée de faire le Festival Transamazoniennes ?
Michaël Christophe : Je me suis rendu compte il y a quinze ans que, malheureusement, seules les cultures créoles étaient représentées dans les médias locaux. Et j’ai constaté que, manifestement, la culture ne s’arrêtait pas à ça et que, dans l’Ouest particulièrement, il y avait une richesse assez exceptionnelle qui était boudée par tous les médias et était inconnue sur tout le territoire national. A la base, le festival ne s’appelait pas Transamazoniennes mais Festival des musique de l’Ouest, justement. Mais on s’est vite rendu compte que le besoin de représentation était criant aussi dans toutes les communautés en présence, même jusqu’au Brésil, et sur tout le plateau de Guyane. Donc l’idée nous est venue de rassembler toutes ces cultures sur une même scène pour décloisonner un peu. Parce qu’on parle d’inter-culturalité en ce moment mais l’Ouest guyanais était plutôt construit sur une société multiculturelle et non interculturelle. A savoir : les gens gardent des pratiques et des cultures très fortes mais il n’y a pas forcément de passerelles entre toutes ces communautés. Tout le monde se respecte mais il n’y a pas forcément de chance qu’on crée du métissage ou autre. L’idée était de montrer qu’à travers la musique le message reste le même.
Afrik.com : La culture des Bushiningué, les Noirs Marrons qui ont fui l’esclavage, est bien représentée…
Michaël Christophe : Le paradoxe était à l’époque que quand je recensais une cinquantaine de groupes bushiningués en activité, je recensais peut-être un ou deux groupes créoles. L’objectif était de mettre en lumière toute cette diversité. Mais pour cette cinquième édition je note quand même un net déclin des cultures traditionnelles bushinengués. Normalement, il y en avait toujours eu à profusion. Mais cette année, il y a eu énormément d’inscriptions sur les catégories DJ, électro, rap et beaucoup moins sur les catégories traditionnelles.
Afrik.com : Comment expliquez-vous ce déclin ?
Michaël Christophe : Très simplement. Il faut rappeler que la télévision est arrivée sur le fleuve en 1998, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps que ça. La télévision amène un phénomène de mimétisme. La population locale a à 70% moins de 25 ans. Du coup, lorsque vous demandez à un jeune de choisir entre ce qu’il voit sur Trace TV ou MCM – avec tous ces musiciens bling-bling, avec de grosses voitures, de grosses chaînes – et qu’en face vous lui montrez sa vie traditionnelle, d’où il vient – c’est-à-dire une vie beaucoup plus rurale sur le fleuve – le choix est vite fait. Maintenant, le danger c’est que les jeunes d’ici ne sont pas encore forcément armés pour ça. Le rapport à l’argent est tout à fait différent, l’intégration de ces phénomènes de mode dans les cultures traditionnelles est tout à fait archaïque encore. Grosso modo, on tombe dans les pièges dans lesquels il ne faut pas tomber.
Afrik.com : Le public guyanais était bien plus présent pour les têtes d’affiches internationales. Ces stars ne font-elles pas de l’ombre aux jeunes artistes locaux également invités ?
Michaël Christophe : C’est sûr que le public ici sélectionne à fond. Cela s’explique par le fait que ce n’est pas souvent que l’on a des concerts avec des artistes internationaux. Par contre, des concerts avec les locaux il y en a tout le temps, ça ne s’arrête jamais. C’est une des raisons. Ensuite, il s’agit pour nous de mettre en lumière les musiques locales sur la scène internationale aussi. Et ce n’est pas un processus qui se fait avec le public local.
Afrik.com : N’est-ce-pas « hors zone » d’inviter un artiste comme Daby Touré, qui est mauritanien ?
Michaël Christophe : Ce que j’admire chez Daby Touré c’est la façon dont il s’est saisi de ses traditions pour les emmener sur la scène internationale. Et nous, ici, on a besoin de ça, car il y a des musiques qui sont fantastiques mais qui ne sont pas calibrées pour la scène internationale. Maintenant, il faut rentrer dans des catégories pour être visible. Et ici les musiques restent encore authentiques et très brutes. Ce que j’essaie de faire en invitant des gens comme Daby Touré ou Davy Sicar, c’est de montrer aux créateurs locaux certains chemins. Mais c’est un exercice qui me hérisse le poil parce que qu’est-ce qui fait la force ici de la musique ? C’est justement son authenticité. Déontologiquement ça me pose beaucoup de soucis […] car on risque de se perdre dans un marasme commercial. Mais il faut bien ouvrir les chemins. Qu’est-ce qui fait qu’un Koloni arrive à être connu hors des frontières ? C’est que cinq ou six ans avant on a marché sur ces mêmes chemins avec un Chris Combette dont la musique était mieux calibrée pour être perceptible immédiatement du public hors du département.
Afrik.com : Comment qualifieriez-vous l’affluence de ces cinquièmes Transamazoniennes ?
Michaël Christophe : C’était froid. Il y a eu des éditions complètement folles. Malheureusement, une grosse partie de la population vit sur les allocations et, là, les allocations ne sont pas encore tombées. Après, je pense que tous ces phénomènes de crise et de vie chère dont on parle frappent tout le monde. Si les Etats-Unis toussent, que ça se transforme en un raz-de-marée qui va jusqu’à la France, et que ça revient en Guyane, ce n’est plus un raz-de-marée mais un cyclone dévastateur. Tout ça pour dire qu’il y a moins d’argent, moins de moyens.
Afrik.com : Pour les Tremplins, destinés à exposer les jeunes talents locaux, il y avait infiniment peu de public…
Michaël Christophe : Il n’y avait pas beaucoup de monde sur place mais nous nous sommes organisés de telle façon que les journalistes qu’on invite soient complètement disponibles pour ces Tremplins. A la limite, il n’y a personne d’autre et ça permet de faire un vrai travail. On n’est pas dans la configuration d’un artiste international difficile d’accès.
Afrik.com : Cette édition a-t-elle été plus simple à organiser que les précédentes ?
Michaël Christophe : Non, ça a été plus dur parce que pour la première fois on a délégué la production à la municipalité. Cette manifestation a pris de l’ampleur très, très vite. Pour être clair, j’en ai eu marre d’être tout seul à produire ça pendant des années, à supporter les aléas des financements. A savoir les belles promesses qu’on attend pendant un an, deux ans, et qui me mettaient dans une situation très critique parce que sur un festival il y a des gens qui travaillent, des gens qui ont besoin de structure. Et quand un partenaire financier vous lâche comme ça, c’est catastrophique. Maintenant, si une collectivité apporte un certain confort de ce point de vue, en termes opérationnels il y a des contraintes monumentales. Par exemple, il faut que je fasse traverser le fleuve à des artistes. Il y a des pirogues mais il n’y a pas de factures. Avec une collectivité, il y a une réactivité qui est beaucoup plus lente en cas d’imprévu. Et sur une telle manifestation il n’y a que des imprévus. Mais il faut dire que c’est un succès que la municipalité ait accepté de porter cette manifestation. Car d’une situation où on nous explique que politiquement ce n’est pas jouable parce qu’on a 12 000 autres urgences à gérer, et qu’on ne va jamais pouvoir mobiliser des crédits là-dessus, on est passé dix ans après à ce que la municipalité porte la manifestation. C’est qu’il y a une évolution des mœurs qui est manifeste. Mais techniquement il reste beaucoup de choses à caler. Mais les concessions, ça fait partie du jeu.
Afrik.com : Avez-vous déjà songé à tout lâcher à cause des difficultés ?
Michaël Christophe : Ce pays est plein de paradoxes. D’un côté c’est très difficile, mais de l’autre côté, finalement, il y a plein de choses qu’on arrive à faire ici et qui seraient beaucoup plus compliquées ailleurs. Mais tout lâcher, non. Parce que je suis déterminé et puis à la base ce festival est pour les artistes locaux, donc j’ai un engagement moral très, très fort. Les artistes locaux attendent énormément de moi, du résultat de ce travail. Lâcher, non. Parce que quand je ne suis pas sur le festival je suis justement sur des tournées avec des artistes locaux. Mais c’est vrai qu’il y a des moments… Par contre, j’ai besoin d’être le seul maître pour réaliser, prendre les décisions, mettre en place des stratégies parce que j’estime que, vu tout ce que je fais depuis plus de quinze ans maintenant, j’ai une vision que des élus ne pourront jamais avoir. J’ai vu des choses, j’ai rencontré des gens. Donc en termes de stratégie, de développement, j’ai une idée très précise de ce qu’il faut faire et de comment il faut le faire.
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