Le prix des denrées alimentaires explose au Kenya alors même que la campagne électorale bat son plein. Le moment du débat est donc propice !
Dans son article, Alex Njeru, donne une série de chiffres sur les différentes subventions destinées à soutenir certains secteurs agricoles au Kenya. Il analyse ensuite l’impact de ces mesures sur le coût des denrées et donc sur la grande masse des consommateurs qui commencent à bien comprendre que les subventions ne servent qu’à aider les amis des dirigeants. La période de campagne électorale est le moment d’aborder ces sujets de fond pour obliger les dirigeants à rendre des comptes et à sortir de la propagande.
Les caprices du ciel enflamment les prix des denrées alimentaires. Ceci, conjugué à l’approche de l’échéance électorale offre aux Kenyans l’opportunité d’avoir un important débat national qui a été ignoré pendant longtemps, à savoir le rôle de l’Etat dans l’économie.
La semaine dernière, le gouvernement a accordé une subvention de 6 milliards de shilling aux meuniers de maïs. Cette subvention vise à ramener le prix de l’Unga (farine de maïs) en-dessous du prix du marché, soit 90 shillings par paquet de 2 kilogrammes. Dans la même semaine, la compagnie nationale « Mumias Sugar » avait demandé 3,4 milliards de dollars en fonds de sauvetage au Trésor public. Au cours des deux dernières années, le gouvernement kenyan a injecté plus de 3,1 milliards de shillings dans les comptes de « Mumias Sugar » dans le seul but de stabiliser le prix du sucre sur le marché domestique.
À certains moments, le gouvernement a cédé aux protestations des producteurs de maïs dans le nord du Rift, et a été obligé d’acheter des sacs de maïs à des prix supérieurs aux prix du marché. Il avait aussi distribué 1 milliard de shillings aux agriculteurs de l’herbe du Miraa dans la région du Meru (ville de l’est du Kenya).
Il est temps de rompre avec cette habitude des subventions du gouvernement aux différents secteurs de l’économie kenyane. Ces subventions ne sont pas seulement une incitation à l’inefficacité, mais permettent également au gouvernement de détenir le pouvoir de choisir les gagnants et les perdants sur le marché. Désormais, on note un mécontentement populaire lorsque les meuniers, sourire aux lèvres, vont chez leurs banquiers récupérer leurs subventions. Les Kenyans ont compris que les 6 milliards de shillings de subventions profitent plus aux meuniers qu’à eux consommateurs.
Il n’est pas surprenant alors, que le mot «cartel» soit attribué aux différents producteurs bénéficiant de subventions. Tout malaise économique qui se passe dans ce pays est attribué aux « cartels», à tel point qu’un candidat au gouvernorat de Nairobi a basé sa campagne sur le démantèlement de ces cartels, notamment via la mise en place d’une plate-forme. Ce n’est pas surprenant, la structure de l’économie et de la gouvernance permet aux cartels de jouer un rôle disproportionné dans l’économie du pays.
En fait, le cartel est un autre terme pour désigner « les copains ». Ceux-ci étant des individus qui reçoivent un traitement préférentiel ou un privilège de la part du gouvernement. Ici réside le problème car le gouvernement a mis la main sur presque tous les secteurs de l’économie, ce qui permet aux politiciens du gouvernement de choisir les cartels qu’ils désirent ou aux cartels de choisir les politiciens qu’ils préfèrent. Dans tous les cas, les cartels et les politiciens sont gagnants, alors que tout le reste de la société est perdant.
Par exemple, le groupe de travail présidentiel 2013 sur la réforme parapublique a identifié au moins cinquante cinq entités appartenant au gouvernement avec une mission commerciale et économique. Ces entités gouvernementales chapeautent des secteurs aussi divers que l’énergie, l’agriculture et bien d’autres. Ces cinquante-cinq entités permettent aux cartels bien connectés au cercle du pouvoir de prospérer au détriment de l’ensemble de l’économie.
Alors qu’un procès pourrait être fait à certaines agences gouvernementales stratégiques, il est impossible de ne pas en dire autant des autres. Certaines agences gérées par le gouvernement ont traîné avec elles des industries entières dans la boue. Dans le secteur du sucre, par exemple, il serait téméraire de s’attendre à ce que les meuniers privés soient en concurrence avec des meuniers étatiques inefficaces et subventionnés, sans autre motif que de récompenser les politiciens et leurs « copains ».
Le même groupe de travail sur la réforme parapublique a révélé que le National Produce and Cereals Board (NCPB), enregistre des pertes, année après année. Maintenant, le NCPB est en charge de la réserve stratégique de grain du Kenya. Or, pour rappel, la responsabilité de nourrir le pays en produits alimentaires repose justement sur cette réserve stratégique du grain. En conséquence, il est assez imprudent de laisser la tâche importante d’alimenter une nation à une entreprise qui ne réalise que des pertes.
Nombre de nations nourrissent d’énormes populations sans subventions. Le Kenya ne doit pas être l’exception. En outre, envisager un plus grand contrôle gouvernemental de l’agriculture serait tout aussi désastreux, comme en témoigne l’exemple de la Chine lors des épisodes de la grande famine chinoise à la fin des années 50 au début des années 60.
Face à des politiciens en manque d’ingéniosité et d’arguments, il faut réellement recentrer le débat pour trouver une stratégie à même de réduire durablement les coûts des intrants et d’accroître les rendements dans le maïs et autres productions agricoles. En effet durant la campagne électorale il faut que les Kenyans fassent un choix tranché entre ruiner leur vie par plus d’inefficacité gouvernementale ou pas. Il faut radicalement rompre avec l’affligeant théâtre quotidien auquel se livrent les politiciens.
Alex Njeru, analyste pour Africanliberty.org
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.