Culture urbaine (R’n B, rap, hip-hop, raï, chaïbi, afro) et homosexualité. Les soirées BBB (Black, Blanc Beur) regroupent chaque dimanche soir à Paris Maghrébins, Antillais et Africains du monde gay. Un repli communautaire pour les uns, un espace de liberté affranchi des fantasmes exotiques des Blancs pour les autres, la recette marche et la fête bat son plein.
De notre partenaire Respect Magazine
Dimanche soir à Paname, place Pigalle, ça s’illumine. Soirée «BBB» pour les initiés. «Black Blanc Beur», si vous préférez. Pas beaucoup de White (Blancs) à l’horizon, Rebeus (Arabes) et Renois (Noirs) squattent les lieux. Quasiment pas de femmes, ambiance masculine. À «BBB», c’est «G» comme «Gay».
Ils viennent de la capitale, des banlieues ou de province. Samir, vingt-deux ans, étudiant, bandeau Nike et tête rasée, arrive de la région PACA (Provence, Alpes, Côte d’Azur), «un coin où l’on ne peut pas imaginer ce genre de soirée». Question de mœurs. Ici, à BBB, c’est différent. Maghrébins, Antillais, Africains… Deux Allemands n’en reviennent pas. Regards. Les Céfrans (Français en verlan, argot qui consiste à inverser les syllabes des mots) ne sont pas au centre de la piste. Pour Max, trente-huit ans, d’origine malienne, «ça serait mieux de leur interdire l’entrée».
« Marre d’être pris pour un étalon »
On reste un peu sans voix, il explique: «Ils viennent avec leur Caddie. Tellement marre d’être pris pour l’étalon, la bête de sexe. Je ne sortirai plus jamais avec un Blanc. Et on est beaucoup à penser ça.» Violent et sans appel. Ce rejet, Julien, trente ans, le ressent fortement. Il précise ne pas venir ici «avec son Caddie» mais bien «pour la culture hip hop, totalement absente du milieu gay». À BBB, rap croise R’n’B, raï, chaâbi et afro. Ce qui attire à cette soirée? À l’unanimité: «La musique en premier».
Un détail, un loisir? Non, bien plus. Pour comprendre l’enjeu, il suffit d’être attentif aux quatre coins du club. Improviser un pas de break, reprendre un refrain en arabe, un couplet rap… Banal, diront certains. Pas pour eux. Ici, des jeunes peuvent revendiquer leur part des cultures urbaines, communes à ceux de leurs quartiers. «C’est à nous, tout ça aussi, confirme Miguel, vingt-quatre ans, venu du 78 (département français des Yvelines). Moi, les Blancs qui sont là me dérangent pas, je les vois pas, je viens pour kiffer ma musique. Et relever la tête.» Le concept «ethnique» ne gêne pas Farid, trente-cinq ans, fonctionnaire lucide: «C’est la société de consommation… Mais, bon, BBB, ça représente aussi un lieu important pour les Beurs qui ont du mal à s’affirmer».
« Entrenir mes deux facettes, quartier et homo »
«C’est rassurant de voir des Blacks et des Rebeus», confirme Hakim, dix-neuf ans. «Même si je m’éclate plus dans les boîtes hétéros parce que j’y vais avec mes potes, les soirées BBB, ça me permet d’entretenir mes deux facettes, quartier et homo, ça fait la jonction. J’ai aussi une vie normale où le sexe n’intervient pas.» Côté mecs? «Tout sauf blanc.» Clair! «Après trente ans, c’est différent, tempère Farid, parce que tu t’assumes, alors tu es prêt pour le métissage.» Pour Alain, trente-quatre ans, Martiniquais, «il y a trop de discriminations dans le milieu gay. Les Blacks et les Beurs, ils se rassemblent ici et, du coup, ils préfèrent rester entre eux». Brahim, vingt-trois ans aime se mélanger. Pour lui, BBB «est un peu trop communautaire.» Il nous montre son copain, Mathieu, blond et timide, rencontré il y a un an sur Internet. Brahim a grandi au Maroc. Sa famille «sait tout», l’accepte et connaît son copain.
Face aux Blancs, Samir se dit «méfiant et ouvert à la fois». Pour lui, «le rapport est ambigu». D’un côté, oui, il «aime plaire». Mais en a vraiment marre «qu’on fantasme sur le Rebeu ou le Renoi viril». Il dit les choses comme ça: «On peut pas se construire sur de l’exotisme». Du coup, il ne sort pas souvent. Pour lui, «les soirées ethniques accentuent un rapport pervers déjà présent ailleurs». «J’attends le jour où l’on viendra vers moi pour ce que je suis, pour ce que j’ai dans le cœur, et pas à cause de mes origines.»
Dérives
Si les soirées BBB ont initié le style, d’autres aujourd’hui prennent le relais. Ici, on propose du «Total beur», avec consommation sur place. Les Asiatiques ont aussi leur jour. «De cité à cité», annonce cette pub pour site ethnique. «Ethnique» encore, le magazine B Boy lancé par Fouad Zeraoui, créateur des soirées BBB. On y devient, après séance photo, une «star du ghetto». Les arabianfashionvictims peuvent carrément donner dans le sordide. Sur les sites boblack, bobeur ou citébeur, s’exhibe un étalage de pure fascination coloniale. De fenêtre en fenêtre, on tombe sur des pubs pour films X, «images volées au Maghreb». Pour un bon prix, on vous propose «des scènes avec rapports non protégés» (sans préservatif) en direct du bled! Largement de quoi «remplir son Caddie». Et renforcer, un peu plus encore, les replis de ceux qui ont choisi de vivre à la marge du «monde blanc» et de ses fantasmes.
Marc Cheb Sun