Les femmes atteintes d’affections des gencives sont près de trois fois plus susceptibles d’accoucher prématurément que les femmes aux gencives saines, selon les conclusions de plus de 10 années de recherches. Toutefois, les scientifiques ne savent toujours pas quel risque les bactéries dentaires représentent pour les grossesses saines, ni comment empêcher que les fœtus y soient (peut-être mortellement) exposés.
Pendant la grossesse, en raison des changements hormonaux, les femmes sont sujettes à des affections des gencives généralement curables. « Les ‘histoires de bonne femme’ racontent que la femme perd une dent à chaque enfant ; nous avons démontré que les maladies parodontales [des gencives] et autres affections sous-jacentes [de la mère] peuvent vous faire perdre non seulement votre dent, mais aussi votre bébé », a dit à IRIN Yiping Han, chercheur en parodontie à la Case Western Reserve University, aux Etats-Unis.
Les saignements des gencives peuvent en effet transporter les bactéries jusqu’au placenta ; ces bactéries peuvent alors pénétrer le placenta et provoquer la mort du fœtus si le système immunitaire de la mère ne réagit pas, selon les recherches menées récemment par Yiping Han auprès d’une femme atteinte de gingivite grave au cours de sa grossesse. « La mère avait accouché à 39 semaines d’un bébé mort-né à terme », a expliqué M. Han à IRIN. Le chercheur avait détecté les mêmes bactéries dans la plaque dentaire de la mère que dans les poumons et l’estomac infectés du bébé.
En outre, même si les microbes dentaires n’entraînent pas la mort, ils peuvent provoquer des complications à l’accouchement et des problèmes de santé à long terme pour l’enfant, selon Steven Offenbacher, directeur du Center for Oral and Systemic Diseases de l’université de Caroline du Nord. « Quarante pour cent des fœtus sont exposés aux bactéries dentaires… Ces bébés sont trois fois plus susceptibles de naître prématurément, de passer plus de temps au service néonatal et de souffrir de handicaps à long terme », a-t-il déclaré à IRIN.
Les pays qui affichent des taux élevés de naissances prématurées connaissent généralement aussi une prévalence élevée des maladies parodontales, a expliqué M. Han à IRIN. « Les soins de santé bucco-dentaire sont généralement considérés comme un luxe dans les pays pauvres, alors qu’en fait, c’est la voie vers la santé générale. Une bouche fermée dissimule la menace souvent négligée que représentent les bactéries buccales pour la grossesse ».
Chaque année, selon les estimations, 13 millions de bébés naissent avant 37 semaines de grossesse, dont une majorité en Afrique subsaharienne ; un million d’entre eux périssent, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En outre, plus de trois millions de bébés sont mort-nés à terme, chaque année dans le monde.
Une analyse a été réalisée en 2007 par des épidémiologistes dentaires à Toulouse, en France, à partir de 17 études sur les maladies parodontales et les naissances prématurées datant de 1996 et menées auprès de plus de 7 000 femmes enceintes ; selon les conclusions de cette analyse, il existe un « lien probable » entre les maladies des gencives et les naissances prématurées, mais davantage de recherches doivent être menées dans ce domaine.
D’après M. Offenbacher, en effet, les accouchements avant terme et les accouchements d’enfants mort-nés ont de nombreuses causes et il est difficile d’isoler un risque d’un autre.
Les traitements
De plus en plus de recherches démontrent toutefois que les traitements efficaces du parodonte permettent de réduire les naissances prématurées, selon l’université de Pennsylvanie, qui a mené, dans ce domaine, une étude, présentée récemment, auprès de 872 femmes enceintes, atteintes ou non d’affections de ce type.
Parmi ces femmes, 23 pour cent de celles qui étaient atteintes d’affections des gencives ont accouché avant 35 semaines, contre sept pour cent de celles qui ne souffraient pas des mêmes affections.
Celles qui ont reçu un traitement affichaient en revanche une incidence plus faible, et médicalement « significative », des naissances prématurées, a expliqué à IRIN Marjorie Jeffcoat, chercheuse principale. « Nous pensons que ces résultats pourraient s’appliquer aux bébés du monde entier, et nous serions heureux de collaborer avec tous les médecins qui souhaiteraient étudier cet effet dans leur pays ».
La Sierra Leone
En Sierra Leone, pays qui affiche un des taux de mortalité des nourrissons les plus élevés au monde (159 pour 1 000 naissances vivantes, d’après les statistiques gouvernementales les plus récentes, publiées en 2006), le ministère de la Santé ne considère pas les affections du parodonte comme un risque important au cours de la grossesse. Pour S.A.S. Kargbo, le spécialiste de la santé reproductive du ministère, qui déclare n’avoir connaissance d’aucun cas de ce type, l’association des affections du parodonte et des complications obstétricales n’est rien de plus qu’une « hypothèse ».
Mais sans études épidémiologiques et sans les ressources humaines nécessaires, il est difficile de prouver l’existence d’un lien entre les affections du parodonte et les complications obstétricales, a expliqué M. Han à IRIN. « Et sans ces données en main, il est difficile de convaincre les pays de consacrer davantage de ressources aux soins du parodonte pour réduire leurs taux de mortalité des nourrissons ».
La Sierra Leone comptait cinq dentistes (soit environ un pour un million d’habitants) en 2004, selon les derniers registres gouvernementaux consultables.
« Si un pays est déterminé à réduire son taux de mortalité des nourrissons, les affections du parodonte sont un risque bien démontré, qui peut provoquer l’échec d’une grossesse saine et mérite un examen plus approfondi », selon M. Han.