L’awalé est le jeu le plus pratiqué en Afrique. Il domine, avec le go en Asie et les échecs en Occident, le monde des jeux de réflexion. Roi des jeux de semaille, prince des cours de récré et des réunions familiales, il est aussi maître de tournois endiablés. Explications.
L’Afrique connaît les règles du jeu… d’awalé. C’est le jeu de tactique le plus répandu sur le continent, notamment en Afrique de l’Ouest, et il peut prendre différents noms suivant les pays. En Côte d’Ivoire, pas une famille qui ne possède le sien. Sur les campus gabonais, les étudiants passent souvent plus de temps à se voler des graines d’awalé qu’à réviser leurs cours. Au Mali, il est parfois admis au « grin » (réunion quotidienne d’amis, à la fraîche).
Le jeu fait partie de la famille des Mancala (« bouger » en arabe). Celle-ci rassemble les « jeux de semaille » dans lesquels on distribue cailloux, graines, coquillages dans des coupelles ou dans des trous (dans le sable) et qui sont présents dans toute l’Afrique, sur les côtes de l’Océan Indien et en Amérique latine. Le principe : « semer pour récolter ». L’awalé se joue à deux, autour d’un tablier en bois rectangulaire creusé de douze trous. Au début de la partie, chaque joueur dispose de 24 graines dans six trous. Il s’agit ensuite de semer les graines une à une en puisant dans ses trous. Les prises se font dans les cases qui ne contiennent qu’une ou deux graines. Le but est d’amasser le plus de graines possible.
Histoires de stratégie
Les plus mordus développent des trésors d’ingéniosité pour remporter la partie. Et même si le jeu se joue à deux, les séances sont souvent suivies par tout un groupe de personnes et chacune y va de son astuce et de son conseil. De nombreuses stratégies existent, révélées notamment dans le livre de Retschitzki paru chez L’Harmattan en 2000 (Stratégies des joueurs d’awélé). Le « kroo », par exemple, consiste à accumuler les graines dans une poche lorsqu’il y en a plus de douze et que le plateau de l’adversaire est presque vide, afin de faire un tour complet..
« C’est un jeu qui développe l’intelligence et la mémoire », affirme la Ghanéenne Elizabeth Idrame, de l’association « Y’a pas son deux » basée à Tarascon-sur-Ariège (sud de la France). Elle donne elle-même des cours aux enfants des écoles afin de développer chez eux certaines facultés. « J’ai appris à jouer à 7 ans. Avant, quand l’école n’était pas aussi répandue au Ghana, les enfants apprenaient à compter en jouant à l’awalé. Aujourd’hui, c’est toujours le cas, cela peut aider l’enfant à aborder les mathématiques d’une façon ludique. »
Valeurs ancestrales de l’awalé
Le jeu véhicule aussi certaines valeurs ancestrales. Pour la Fédération française d’awalé (et oui, même en France, le jeu a ses fans !), les graines que l’on sème dans les cases représentent les semailles, la fertilité. La nécessité, au cours du jeu, de ne pas laisser une graine isolée est représentative de l’esprit de communauté. Enfin, le fait d’amasser un maximum de graines dans une case, qui est une excellente tactique, correspond à la nécessité de constituer des réserves dans son grenier à grains…
L’awalé existe depuis plus de mille ans mais son origine fait encore débat. Les Masaï soutiennent que l’awalé a été inventé par Sindillo, fils de Maitoumbe, le premier homme. Certains évoquent l’Egypte ancienne du 10ème avant Jésus-Christ comme berceau du jeu. Le plus ancien spécimen mis à jour viendrait d’Ethiopie et daterait du 7ème siècle après JC. L’hypothèse la plus probable est qu’il serait originaire du golfe de Guinée, exporté à partir du 17ème siècle par les esclaves vers les Caraïbes et les Etats-Unis.
Sacré divertissement
Aujourd’hui, l’awalé a perdu de son caractère sacré. Chez les Alladians de Côte d’Ivoire par exemple, le jeu restait dehors une fois la nuit tombée afin que les Dieux y jouent et personne ne devait y toucher en dehors de la journée. Au Ghana, la succession d’un roi décédé s’organisait après une petite partie entre les différents candidats et le roi Shunba Balongobo, au 16ème siècle, s’était fait représenter en statue funéraire avec un jeu d’awalé sur les genoux. A présent, personne ne se prive de jouer toute la nuit et les enjeux sont moins importants…
« Que ce soit au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Togo ou au Burkina Faso, des compétitions et des tournois sont organisés dans les quartiers et dans les villages. Beaucoup de gens possèdent le jeu, la plupart le fabriquent eux-mêmes pour ne pas avoir à l’acheter », explique Elizabeth Idrame. Jeu ancestral, l’awalé a réussi ce tour de force de traverser les âges sans prendre une ride… et sans perdre une graine !