La piraterie est un fléau qui risque bien d’être fatal à l’industrie du disque en Algérie. Les professionnels du secteur tirent la sonnette d’alarme et pointent du doigt la responsabilité des pouvoirs publics dans ce combat sinon perdu d’avance. Enquête.
« Les mélomanes ne vibreront pas au rythme d’un nouveau tube cet été. Nous n’avons ni le cœur ni les conditions idoines pour le faire. Notre profession coule ». C’est la déclaration de Boualem Disco Maghreb, le faiseur de stars par excellence, le gourou de la musique raï. Sur les raisons de cette déliquescence qui semble frapper de plein fouet le monde de l’édition musicale, notre interlocuteur nous dira : « Le marché informel, le piratage et la contrefaçon ont réduit tous les efforts consentis, depuis un quart de siècle, pour la promotion de la culture et de la musique en particulier. Aujourd’hui, non seulement cette pratique a mis un frein à l’émergence de nouveaux talents au plan musical, mais a eu pour conséquence directe la réduction de sa production à hauteur de 80%, ce qui la met réellement en péril. Cet état de fait aura des répercussions inéluctables sur la situation socioprofessionnelle du secteur avec une réduction sensible des postes de travail ».
Benamara Ahmed, patron des éditions Numidie, nous dira à ce propos : « Nos supports audios et audiovisuels contrefaits sont vendus en toute impunité à 50 DA pièce sur les trottoirs du boulevard Ahmed Zabana, à M’Dina J’dida, aux arcades de la rue d’Arzew et ailleurs. Alors que le même support original, nous revient à 44 DA, nous payons 26 dinars de majoration à l’ONDA (Office national des droits d’auteur, ndlr) en plus du cachet de l’artiste, de celui du parolier, des musiciens interprètes et du studio d’enregistrement. Faites le compte ».
L’effet Napster
Le progrès technologique, la généralisation de l’outil informatique devenu accessible à de larges franges de la jeunesse et l’apparition de la gravure sur CD ont favorisé l’émergence d’un marché informel qui pratique des prix défiants toute concurrence. En effet, les villes du pays d’est en ouest pullulent de vendeurs de CD, VCD et autres DVD gravés. Un distributeur de supports audios (CD et cassettes audios) rencontré au siège des éditions Numidie nous confiera : « El Eulma wilaya de Sétif est le royaume de la contrefaçon. Il m’arrive assez souvent de faire face à un phénomène qui me laisse pantois. Je prends le départ d’Oran avec un nouveau produit, non encore commercialisé, et je le trouve, déjà proposé à la vente sur le marché informel à moitié prix. Comment voulez-vous combattre un phénomène qui est devenu industriel sans une réelle volonté politique d’appliquer les textes de loi ? ».
L’ensemble des interlocuteurs (éditeurs, distributeurs, vendeurs et même industriels) contactés dans le cadre de cette enquête, mettent en exergue les textes de lois en vigueur et soulignent la complaisance de l’ONDA. En effet, l’ordonnance n°97-10 du 6 mars 1997 relative aux droits d’auteurs et aux droits voisins stipule dans son article 151: « Le coupable du délit d’imitation et de la contrefaçon d’une œuvre ou d’une prestation, tel que prévus aux articles 149 et 150 est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 500 000 à 1 000 000 dinars que la publication ait lieu en Algérie ou à l’étranger ».
Revoir la redevance de l’ONDA
Sur ce point précis, Boualem Disco Maghreb nous confiera : « Qu’est ce qui fait que toutes nos stars se sont installées à l’étranger ? Les Khaled, Cheb Mami et j’en passe. Ils se sentent protégés et leurs droits sont préservés. Ce n’est pas le cas chez nous, malgré les dispositions de l’article 129 de l’ordonnance 97-10 qui stipule clairement que les redevances pour copie privée perçue et répartie, après déduction des frais de gestion, sont réparties par l’ONDA aux catégories de bénéficiaires à hauteur de 30% à l’auteur et au compositeur, 15% à l’artiste interprète, 25% au producteur et 30% à l’activité de promotion de la création d’une œuvre de l’esprit et de préservation du patrimoine culturel traditionnel. À ce jour, jamais nous n’avons perçu un centime ».
Toujours dans le même contexte, Karim Louhibi, industriel et manager de Media Discs industries nous dira : « Il faut savoir que le marché national représente 5 millions de CD par mois. Pour parer au phénomène de la contrefaçon, j’ai créé au sein de mon usine, qui est la seule au Maghreb et la deuxième en Afrique, un département recherche et développement pour intégrer un verrouillage automatique de nos CD. Actuellement, le marché du support musical (CD audio) ne représente que 10 à 15% de notre activité, ce qui m’a amené à investir dans celui du support pédagogique et du livre islamique. Moi, je crois qu’il est temps de changer de politique et de passer du répressif au dissuasif. Le seul moyen concret de combattre ce phénomène est que l’ONDA réduise sa redevance à 8 dinars pour permettre aux éditeurs d’aligner leurs produits sur celui du marché informel. D’ailleurs la vignette à 26 dinars est sincèrement excessive ».
Légitime revendication
En ce qui concerne le montant de la vignette et la redevance de la copie privée, notre interlocuteur nous dira : « Effectivement, la vignette à 26 dinars a été décidée au début de l’apparition du support sur CD Rom. C’était un produit importé. Maintenant, la réduction du montant de la vignette à 10% du prix de vente du support est légitime. Concernant la redevance pour copie privée, nous sommes en retard dans sa rétribution, mais elle ne saurait tarder car les textes existent ». Pour finir, le directeur régional de l’ONDA, nous confiera : « Il faudrait une prise en charge des pouvoirs publics pour éradiquer le fléau du piratage et de la contrefaçon ».
Par notre partenaire El Watan