Les Pygmées bambuti ont été particulièrement persécutés par les groupes armés qui se sont succédés depuis 1998 dans le nord-est de la RDC. Méprisés, tués pour leur chair censée transmettre des pouvoirs magiques, ils ont été d’autant plus visés qu’ils vivent dans une région riche en ressources naturelles que ces groupes ont pillé. Jeudi, une ONG a déposé un rapport sur les exactions dont ils ont été l’objet, devant le tribunal de La Haye, pour que les coupables n’échappent pas à la justice.
La presse internationale a largement fait écho, depuis quelques années, d’exterminations de masse et d’actes de cannibalisme commis dans la région de l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), par différents groupes armés. Sans jamais pouvoir rapporter d’informations précises, du fait de la dangerosité de la région et de sa difficulté d’accès. De 6 janvier au 10 février 2004, une mission internationale, coordonnée par le Réseau des associations autochtones des Pygmées du Congo (Rapy) et l’ONG Minority Rights Group International (MRG) a pu enquêter sur le terrain. Près de 80 témoignages sur les atrocités commises durant la seconde guerre de RDC et après la signature de la paix ont ainsi été recueillis à travers la région de l’Ituri. Au terme de son enquête, la mission conclu que les Pygmées bambuti ont été particulièrement persécutés par les groupes qui se sont succédés dans la région. Le peuple dit des forêts a subi des actes de torture, des viols, des assassinats et des exterminations de masse.
Jeudi, MRG a déposé un rapport auprès du Tribunal international de La Haye, afin que les crimes, perpétrés par le Mouvement de libération du Congo (MLC), le Rassemblement congolais pour la démocratie-Nationaliste, le Rassemblement congolais pour la démocratie RCD-Goma, les Interahamwe rwandais et d’autres groupes armés, ne restent pas impunis. Les « crimes de guerre et crimes contre l’Humanité » commis contre les Bambuti l’ont été dès le début de la seconde guerre de RDC, en 1998, mais seuls ceux perpétrés à partir du 1er juillet 2002 peuvent être jugés à La Haye. C’est pourquoi le rapport de MRG s’attarde particulièrement sur les crimes commis après cette date.
« Erasing the board »
« Comme les guerres et les exactions ont souvent lieu dans les régions forestières, nous en sommes les premières victimes, puisque c’est notre habitat », expliquait Kapupu Diwa Mutimanwa à l’AFP, le 15 avril dernier. Le président de la ligue nationale des associations autochtones pygmées de la RDC (Linapyco) ne précisait pas que la région de l’Ituri (peuplée par sa communauté) est particulièrement riche en ressources naturelles. Et que c’est pour cette raison que de si nombreux groupes armés s’y sont succédés, depuis 1998, pour y piller diamants, or, bois et autres minerais rares. En faisant en sorte de ne pas être gênés dans leurs tâches.
La mission accuse ainsi le MLC de Jean-Pierre Bemba et le RCD-N de Roger Lumbala d’avoir mené, entre octobre 2002 et janvier 2003, une opération visant « le vol ou la destruction de toutes les possessions un tant soit peu utiles et/ou le meurtre ou la dispersion de la population ». Son nom : « Erasing the board » (que l’on peut traduire par « nettoyer la zone »). Les communautés non pygmées n’ont pas échappé aux actes de violence, mais l’ONG démontre à travers de terribles témoignages comment les Bambuti ont été spécifiquement visés. Méprisés, considérés comme des sous-hommes, mais également tués pour leur chair, censée transmettre des pouvoirs magiques, ils ont été victimes d’une croyance selon laquelle certains maux pouvaient être guéris en couchant avec des femmes bambuti. L’ONG souligne d’autre part que les Pygmées de RDC n’ont jamais pris les armes lors de la seconde guerre. Mais, forcés de servir d’éclaireurs et de chasseurs à des groupes armés, ils ont automatiquement subi les représailles de groupes rivaux.
La autorités ferment les yeux
Après avoir longtemps nié les accusations portées contre sa personne par les ONG internationales et par le gouvernement de Kinshasa, Jean-Pierre Bemba a fini par reconnaître l’opération «Erasing the board» et par promettre un jugement des coupables. Mais seuls deux jeunes soldats ont été inculpés de meurtres. L’officier en charge de leur commandement s’étant seulement vu reproché d’avoir « autorisé l’insubordination », explique MRG. Les autorités congolaises, quant à elles, se refusent à reconnaître la discrimination spécifique dont sont l’objet les Pygmées de RDC. En novembre 2003, devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, le représentant de la RDC avait déclaré, pour expliquer ce point de vu, que les Congolais sont égaux devant la loi et ont accès à toutes les institutions.
Neuf mois plus tôt, le représentant congolais auprès des Nations Unies avait pourtant fait parvenir une lettre dans laquelle il dénonçait les crimes dont la communauté pygmée était victime. Mais Ileka Atoki s’était alors défaussé sur l’organisation internationale, l’enjoignant « de veiller à ce que les responsables (…) impliqués dans ces incidents horribles qui révulsent l’opinion nationale et internationale, répondent de leurs actes ». MRG « suggère clairement », explique-t-on à Londres, que les autorités congolaises n’ont jamais apportées de réponses favorables aux plaintes formulées par les Pygmées bambuti.