Les prémices de la justice contemporaine en Afrique


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La justice se rendait autrefois, en Afrique noire, selon la coutume. La colonisation a donné lieu à rédaction des coutumiers à l’aune du modèle juridique français. Une évolution fondamentale.

Par Bernardo-Casmiro do Rego

Si le XVIIIe siècle européen est qualifié de siècle des lumières, c’est à bon droit que nous pouvons affirmer le XVIIIe siècle africain de siècle des résistances. En effet, les colons ayant pénétré l’Afrique noire dès les XVIe et XVIIe siècle entamèrent un vaste chantier de conquête aux XVIIIe et XIXe siècles. Les monarchies africaines, défenseurs de leurs terres perdirent à tour de rôle leur sceptre, laissant ainsi la mère Afrique à des inconnus venus d’outre-mer : la colonisation était née.

Cette dernière est décriée comme première cause du retard du monde noir. Mais n’a-t-elle eu que des conséquences négatives sur le vieux continent? Sans doute pas. Au-delà de la civilisation du monde noir, il importe également de préciser que la colonisation inscrivit l’Afrique dans l’histoire des peuples. Les sociétés primitives africaines dont il ne reste aujourd’hui quasiment point d’écrits doivent leur trace à ce qui en a été inscrit dans les archives ou les récits de la colonisation. Il n’est point dessein pour nous de faire ici l’apologie de la colonisation, ni de dénier l’exploitation de l’Afrique sous la colonisation. Notre objectif est de rappeler l’impact de la colonisation dans l’étatisation du continent, ou du moins l’impact de la colonisation dans la « judiciarisation » du continent. En effet, pour asseoir leur autorité, il a fallu réformer les colonies. La France avait donc regroupé ces colonies dans de vastes ensembles territoriaux : l’Afrique Occidentale Française (AOF) et l’Afrique Equatoriale Française (AEF). Confrontée à des incompréhensions, une justice divine (plutôt fétichiste) et arbitraire, la première étape de la réorganisation de ces ensembles fut l’identification des colonies à la métropole.

Comment concilier une société traditionnelle, animiste ou islamique, avec une autre plus moderne et christianisée. La réponse fut semble-t-il de comprendre comment fonctionne chacune des colonies et d’essayer d’assurer une unité en leur sein. Etait-ce en réalité cet esprit qui anima le colon ? Dieu le sait, nous ne le savons ; néanmoins tout laisse croire que cet esprit préfigura l’idée de rédaction des coutumiers qui commença à germer dans les esprits des colons. Cette idée ne tarda pas à éclore : une circulaire AP du 19 Mars 1931 ordonne la rédaction des coutumiers. Les travaux débutent dans chaque colonie pour le recensement des coutumes. Nous avions dans un article, paru il y a peu, décrit le coutumier du Dahomey. Nous ne reprendrons pas cette description ici mais nous nous contenterons d’analyser l’idée d’une rédaction des coutumiers à l’aune du modèle juridique français. En effet, il s’agit ici de relever des généralités ayant motivé les colons et ayant commandé une mise au point des coutumiers dans les territoires conquis. En réalité, dans l’attente d’une prochaine publication d’une compilation des plus grands coutumiers d’Afrique noire francophone, nous avions jugé utile de vous noter ces traits majeurs. Avant toute chose, il convient de rappeler la notion de coutume.

Concilier règles françaises et règles africaines

La coutume est un ensemble de pratiques répétées et spontanées d’un territoire donné suivies sur une longue période et s’imposant à la population qui l’accepte et l’érige en norme. M. Gillesen, spécialiste de la question dira que c’est « un ensemble d’usages d’ordre juridique qui ont acquis force obligatoire dans un groupe sociopolitique donné, par la répétition d’actes publics et paisibles pendant un laps de temps relativement long. » Un coutumier peut donc être conçu de deux façons différentes : soit par recueil, soit par compilation. La deuxième hypothèse est celle retenue dans le cadre de l’Afrique noire francophone. En réalité, la plupart des coutumes africaines peu importe les territoires et les régions étaient constituées de règles abstraites gouvernées la plupart du temps par des considérations animistes, qui mieux est, vodouïstes. Ces règles seront jugées sauvages par les Occidentaux déjà clonés aux règles des droits de l’Homme. La principale préoccupation sera d’épurer ces pratiques afin de les dépouiller des superstitions dont elles étaient jugées colorées. Précisons néanmoins que l’objectif était de doter ces territoires de règles qui leur seraient imposées, c’est-à-dire une façon pour les Occidentaux d’affirmer leur suprématie et d’asseoir leur puissance. Pour mieux adoucir l’imposition, la mise en place de coutumiers censés reprendre les us et coutumes de ces territoires sera le perron qui offre l’assentiment des indigènes. En revanche, il faut remarquer que la diversité des cultures, ethnies, langues rendaient la justice impraticable avant la colonisation et l’arbitraire s’érigeait en maître mot ; aussi, faut il ajouter qu’à partir du processus de colonisation, des tribunaux français furent installés dans les colonies et ceux-ci devaient concilier les règles françaises et les règles indigènes ou requérir dans d’autres cas auprès des dignitaires locaux la répression de telle ou telle autre coutume à l’égard d’un délit ou d’un crime ; ce qui implique une insécurité juridique.

A mille lieux du berceau de l’humanité, la France vivait au XVIIeme une révolution intellectuelle. La raison est apparue comme guide de la pensée humaine, rejetant aux calendes grecques toute explication du monde par la foi ou la religion. La France traverse un siècle des lumières avec une intelligentsia inspirée. Plusieurs codes ont été édités dès 1800 : le code civil en 1804, le code de procédure civile en 1806, le code de commerce en 1807 et le code pénal en 1810. Le système judiciaire français à l’heure coloniale était donc très organisé et très structuré. Il revenait impérieux aux colons de réorganiser le système judiciaire au sein des colonies, en le calquant sur le système de la métropole. Finir avec l’atrocité, les tortures et les actes de barbaries qui existaient dans les territoires était une première façon d’expliquer l’évolution. Sans rejeter cette dernière raison, on pourra relever trois autres raisons principales qui justifiaient la démarche coloniale. La première est la cause efficiente : l’établissement d’une loi écrite qui servira de base à tous les tribunaux. La deuxième est la vision de chacun des territoires comme un tout. La troisième est l’affirmation de l’autorité française. Les français cherchaient à s’imposer avec le moins de heurs possibles, de manière à éviter toute rébellion tout en anéantissant les dernières institutions royales qui pouvaient encore exister. A cette dernière raison s’ajoute l’idée de faire intégrer les territoires dans un ensemble d’espaces coloniaux, l’Afrique française.

En conclusion, on ne saurait renier que l’idée de la rédaction des coutumiers se veut une conciliation des besoins de la colonie avec ceux de la puissance colonisatrice. Car en réalité, si les colons cherchaient à imposer leur mœurs, l’Afrique a trouvé dans cette imposition française une sécurité juridique créant ainsi le fondement de sa justice et de son droit.

 Le blog de Bernardo-Casmiro do REGO, Juriste en droit privé et en Histoire du droit.

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