Les policiers français chargés des expulsions par voie aérienne récoltent des points de fidélité à chacune de leurs opérations. Cette information, révélée au grand public puis confirmée par le ministère de l’Intérieur fin avril a fait grand bruit. Le ministère dit avoir engagé une réflexion bien avant que l’affaire se sache : les policiers pourraient ne plus obtenir des « miles ». En revanche, le ministère en voudrait bien. Choquant pour les associations qui dénoncent cette pratique.
Tout travail mérite salaire… et primes. Les policiers escortant, par avion, les immigrés en situation irrégulière vers leur pays d’origine bénéficient des « miles », ces points de fidélités que les voyageurs réguliers obtiennent. Plus la distance parcourue est longue, plus ils gagnent de points. Lorsqu’ils atteignent un nombre suffisant de « miles », ils peuvent bénéficier de vols et de voyages gratuits. Qu’importe la mission qui leur est confiée, les agents de la police des frontières sont des voyageurs comme les autres. Cette information aurait pu rester secrète longtemps si des agents d’escale d’Air France, indignés par ce système, n’avaient pas lâché le morceau.
Le ministère de l’Intérieur embarrassé
Révélée par le journal satirique Le Canard Enchaîné, l’information met le ministère de l’Intérieur dans l’embarras. Confirmant ce fait, il explique que « ce système n’est pas illégal » et qu’il existe depuis plusieurs années. On compte entre 23 000 et 24 000 expulsions en 2007. L’objectif est fixé à 26 000 pour 2008. 1 000 de plus que celui de 2007. En moyenne, un expulsé est accompagné de trois policiers. « Voilà de quoi se constituer assez vite un joli stock de voyages gratuits sur le dos des clandestins », affirme Le Canard Enchaîné, citant des agents d’escale d’Air France à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Pire encore, «de nombreux flics bénéficient, du coup, du statut Gold (embarquement prioritaire, accès aux salons privés, miles bonus) réservé aux hommes d’affaires qui voyagent régulièrement aux frais de leur entreprise», ajoute l’hebdomadaire.
Mais le ministère de l’Intérieur conteste ces chiffres arguant que toutes les expulsions ne se font pas par voie aérienne. Officiellement, moins d’un tiers nécessite la présence de « un à trois policiers maximum », affirme Sylvaine Mathy du Service d’Information et de Communication de la Police nationale (SICOP). L’Intérieur déclare «avoir envisagé bien avant la parution de l’article de modifier sur ce point précis le prochain contrat» le liant aux transporteurs aériens et compte bien revoir le système. Jusque là, les cartes qui permettent d’accumuler les « miles » sont individuelles et sont attribuées à ceux qui en font la démarche. « Le ministère a engagé une réflexion pour voir si les « miles » peuvent être inscrits à son profit afin de réaliser des économies », explique Sylvaine Mathy. Cependant, cette idée ne change rien au fond du problème.
Le mutisme d’Air France
Depuis le début de l’affaire, Air France s’est refusé à tout commentaire. « Ces policiers dépendent du ministère de l’Intérieur. Il n’appartient pas à Air France de juger de l’utilisation ou pas des miles à des fins autre comme les reconduites à la frontière », répond Marina Tymen du service de presse. Elle fait à ce titre une comparaison avec les journalistes qui voyagent à titre professionnel mais se font créditer sur leurs cartes personnelles des « miles » pour obtenir des avantages. Apparemment, Air France n’est pas regardant sur la situation. « Nous ne réagissions effectivement pas au type de passager qui gagne ses « miles » du fait de ses déplacements professionnels », confirme Marina Tymen.
Un peu facile comme comparaison. Mais est-ce une raison pour obtenir de pareils avantages sur le dos des clandestins qui, jusqu’à preuve du contraire, ne partent généralement pas de leur plein gré ? C’est ce que dénoncent quelques associations comme Réseau Education Sans Frontières (RESF). En Belgique, ce système a été interdit depuis 2006. « Les policiers belges ne peuvent donc bénéficier de ces miles parce qu’il a été considéré que c’était contraire à leur intégrité. Contraire à la déontologie aussi », témoigne la porte-parole de la police fédérale belge, Els Cleemput sur le site DHnet. La France n’est pas prête à suivre ce chemin. Après tout, « les missions d’éloignement (terme employé pour parler des expulsions) sont des missions policières comme les autres », estime Sylvaine Mathy…