Les pépins de la pastèque marocaine, symbole d’une agriculture en surchauffe


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Pastèques
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La pastèque marocaine, qui représente plus de 15% de la consommation européenne, se trouve aujourd’hui au cœur d’une crise multiforme. Entre sécheresse, contestation européenne des modes de production utilisés et colère des agriculteurs français et espagnols face à une concurrence jugée déloyale, ce fruit emblématique cristallise les tensions. Ironie du calendrier, le Maroc est cette semaine l’invité d’honneur du Salon de l’Agriculture de Paris, au grand dam des exploitants français.

La soif insatiable des pastèques

L’expansion spectaculaire de la culture de la pastèque au Maroc soulève des inquiétudes majeures pour l’environnement. Comme le rappelle ENASS, média marocain engagé, la culture de la pastèque a engendré une véritable « géographie de la soif« .

L’oasis de Tata et de Zagora, historiquement irriguée grâce à un savoir-faire ancestral, subit une désertification accélérée. « Notre géographie oasienne brûle à cause de la pastèque », dénonce Rachid El Belghiti, journaliste et activiste. Malgré les restrictions de production imposées par les autorités depuis 2022, l’épuisement des nappes phréatiques pousse déjà une partie de la population à l’exode.

Un contrôle des pesticides sous tension

La question sanitaire vient s’ajouter aux défis environnementaux. Le média européen EADTV a rapporté la détection de pesticides interdits sur des lots exportés vers l’Union européenne, qualifiant le niveau de danger de « potentiellement grave« . La Dépêche du Midi évoquait notamment la présence de méthomyl, un insecticide classé à « risque sérieux » par l’UE. Face à ces accusations, Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER), défend la qualité des produits marocains, soulignant les contrôles systématiques aux douanes européennes.

L’affrontement des modèles agricoles

En France et en Espagne, la compétitivité des produits agricoles marocains attise la colère des producteurs locaux. Les syndicats d’agriculteurs français et espagnoles réclament la révision de l’accord commercial entre l’UE et le Maroc. « Nos coûts de production sont dix fois plus élevés qu’au Maroc, nous ne pouvons pas lutter », dénoncent-ils.

Rabat riposte sur le terrain juridique. Selon Bladi, le Maroc envisage des poursuites contre les agriculteurs français accusés de vandalisme sur ses exportations, suivant l’exemple des actions menées en Espagne. La COMADER prévoit également des procédures contre certains médias européens pour diffamation concernant la question des pesticides.

Un dialogue agricole sous haute surveillance

La présence du Maroc comme invité d’honneur au Salon de l’Agriculture de Paris cristallise les tensions. Europe 1 souligne le paradoxe de cette invitation dans un contexte de confrontation entre agriculteurs français et marocains. Les deux pays maintiennent néanmoins leurs engagements diplomatiques, la France devant être l’invitée d’honneur du Salon de l’agriculture marocain en avril.

Au-delà des conflits commerciaux, c’est tout un modèle agricole qui est questionné. L’ONG ATTAC Maroc met en lumière les bouleversements sociaux provoqués par l’industrialisation agricole : la petite paysannerie s’efface devant les grands investisseurs, tandis que les habitants des oasis passent du statut d’agriculteurs indépendants à celui d’ouvriers saisonniers précaires.

La crise de la pastèque marocaine illustre les limites d’une stratégie agricole axée sur l’exportation intensive. Le défi pour le Royaume consiste désormais à concilier performance économique et préservation des ressources, tout en répondant aux exigences sanitaires européennes croissantes.

Zainab Musa
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Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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