Les pays du Maghreb rappellent la France à ses responsabilités sur les OQTF


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Algérie France Maroc
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La question des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) ravive les tensions diplomatiques entre la France et ses partenaires maghrébins. Alors que l’Algérie et le Maroc constituent les principales sources d’immigration en France, leurs réactions face à la politique française d’expulsion mettent en lumière la complexité des relations post-coloniales et des enjeux migratoires. Entre accords historiques, pressions politiques internes et équilibres diplomatiques fragiles, la gestion des OQTF cristallise les défis de la politique migratoire française dans un contexte méditerranéen en pleine mutation.

Le meurtre tragique d’une étudiante française de 19 ans par un ressortissant marocain en attente d’expulsion a mis le sujet de l’immigration sous les feux de l’actualité, et le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, avec le soutien du RN de Marine Le Pen a rapidement affiché sa fermeté sur l’exécution des OQTF. En particulier celles concernant les ressortissants algériens et marocains.

Contexte et chiffres de l’immigration en France

En 2023, la France compte 7,3 millions d’immigrés, représentant 10,7% de sa population totale. L’Algérie se distingue comme le premier pays d’origine, avec 12,2% des immigrés, suivie de près par le Maroc (11,7%) et le Portugal (7,9%). Cette prédominance maghrébine, avec près de 29% des immigrés venant d’Algérie, du Maroc et de Tunisie, reflète des liens historiques profonds remontant à l’ère coloniale et post-coloniale.

L’immigration en France a connu plusieurs phases depuis les années 1960, passant d’une immigration de travail à une diversification des origines et des motifs d’arrivée, incluant le regroupement familial, l’éducation et l’asile. Récemment, le contexte européen a également influencé ces dynamiques, avec une augmentation notable de l’immigration en 2022 due à l’afflux de réfugiés ukrainiens.

L’accord franco-algérien de 1968 : un cadre juridique unique

L’accord migratoire franco-algérien de 1968, conclu peu après l’indépendance de l’Algérie, joue un rôle central dans les relations entre les deux pays. Il régit la circulation, le séjour et l’emploi des ressortissants algériens en France, leur accordant un statut particulier lié à l’histoire particulière qui lie ces deux pays. Cet accord octroie aux Algériens des facilités d’entrée et de résidence comparativement à d’autres nationalités, notamment en matière de regroupement familial et de délivrance rapide de titres de séjour de longue durée.

Cependant, il impose également des contraintes spécifiques, par exemple pour les étudiants algériens qui font face à des restrictions plus strictes en matière de travail. Ce cadre juridique unique, lié à l’histoire particulière entre la France et l’Algérie, est utilisé par une grande partie de la droite française pour dénoncer une politique d’immigration qu’elle juge trop laxiste. Pourtant, aucun lien n’a évidemment jamais été fait entre l’accord de 1968 et d’éventuels problèmes touchant la France.

Mais cet accord est quand même fréquemment évoqué dans les débats sur l’immigration, notamment lorsqu’il s’agit de l’application des OQTF aux ressortissants algériens. C’est devenu un leitmotive politique de la droite et de l’extrême-droite, qui contrôlent aujourd’hui largement le gouvernement français.

Pour la France, l’enjeu politique actuel est clair : garantir l’expulsion des étrangers en situation irrégulière. Cependant, l’application de ces mesures rencontre de nombreux obstacles, le gouvernement français évoquant le refus des laissez-passer consulaires de la part des pays d’origine. Cette situation a poussé l’Algérie et le Maroc à réagir.

L’Algérie : une réponse politique

La réaction algérienne, portée par le président Abdelmadjid Tebboune, a été marquée par une opposition frontale. Lors d’un entretien télévisé le 5 octobre 2024, Tebboune a vivement critiqué la montée en puissance des discours d’extrême droite en France, qui, selon lui, cherche à stigmatiser l’Algérie et à l’utiliser comme bouc émissaire dans le débat sur l’immigration. Il a notamment fustigé l’instrumentalisation de l’accord bilatéral de 1968, brandi par certains politiciens français pour justifier les difficultés à expulser les ressortissants algériens.

La critique de Tebboune sur l’instrumentalisation de l’accord de 1968 prend tout son sens dans ce contexte historique particulier, où cet accord est à la fois source de facilités et de contraintes pour les ressortissants algériens. Tebboune a aussi dénoncé ceux qu’il qualifie « d’extrémistes » cherchant à provoquer une rupture définitive des relations franco-algériennes.

Le Maroc : une réponse technique

De son côté, le Maroc a adopté une approche plus technique face aux accusations françaises sur les OQTF. Le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, a réagi en rappelant que le royaume est prêt à rapatrier tout ressortissant marocain en situation irrégulière, à condition que son identité soit clairement établie et que les procédures administratives soient respectées. Selon lui, les véritables obstacles à l’expulsion des migrants résident davantage dans les dysfonctionnements administratifs du côté français. Concluant que « Le Maroc pas à recevoir de leçons en matière de lutte contre l’immigration clandestine ».

Le ton du Maroc, bien que diplomatique, souligne cependant un malaise croissant. Le royaume ne souhaite pas devenir un pion dans les querelles politiques françaises sur l’immigration et insiste sur sa volonté de renforcer sa coopération tout en défendant sa souveraineté et ses intérêts.

Une France face à ses contradictions

Pour la France, cette situation met en lumière un dilemme complexe : d’une part, répondre aux pressions politiques internes, où l’immigration est un sujet hautement sensible, et d’autre part, maintenir des relations équilibrées avec deux partenaires essentiels de la région méditerranéenne. Les chiffres publiés par Retailleau montrent que malgré les OQTF émises, très peu sont effectivement suivies d’expulsions, qu’il s’agisse de ressortissants algériens, marocains ou de tout autre pays.

Cette difficulté d’application met en relief un enjeu plus large : celui de la réforme du droit des étrangers en France et de l’adaptation des procédures d’expulsion aux réalités administratives et diplomatiques.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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