Amath Soumaré est le président de la Sopel, la première organisation francophone d’intelligence économique et concurrentielle spécialisée sur les pays d’Afrique Caraïbes Pacifique. Pour lui, les Nouvelles Technologies de l’Information doivent être le moteur du développement en Afrique. Rencontre avec un e-optimiste.
Amath Soumaré, président de la Sopel Consulting Group, une structure spécialisée dans l’intelligence économique et concurrentielle, a participé à la conférence internationale sur le commerce et l’investissement organisée par l’OCDE qui s’est tenue à Dakar du 23 au 26 avril dernier. Prenant part aux débats, il y démontrait l’opportunité que représentent les NTIC et le e-commerce pour les pays africains.
Afrik.com : Le e-commerce serait-il l’avenir de l’Afrique ?
Amath Soumaré : C’est l’avenir de l’Afrique et du monde ! Avec la mondialisation, la façon de faire des échanges ou du commerce a changé. Depuis les années 90, il y a eu une rupture dans le processus d’industrialisation. Nous sommes passés de l’agriculture à l’industrie. A présent, on rentre dans la société de l’information avec l’Internet qui a tout bouleversé. D’autres types d’industries apparaissent. Une nouvelle économie s’impose, caractérisée par trois pôles : technologique, sociétal et économique. La technologie évolue à un rythme effréné. Tous les 18 mois, un nouveau processeur est mis sur le marché. Tout cela a une incidence sur tous les secteurs de l’économie. Le travail se fait plus rapidement. Du point de vue sociétal, 70% de la population en Afrique a moins de 20 ans. Ceux qui feront du commerce dans le futur devront compter sur ce marché-là ! Ce qui suppose qu’il va falloir donner à ces 70% un avenir qui s’appuie sur les nouvelles technologies. Sur le plan économique, deux secteurs majeurs sont à considérer : le e-business et le divertissement. Le e-business se subdivise de la manière suivante : le BtoB (échange entre les entreprises) et le BtoC (vente directe aux consommateurs). Et ce qu’il faut retenir aujourd’hui, en matière d’e-business, ce sont les projections de chiffre d’affaires pour 2005 : 1 400 milliards de dollars.
Afrik.com : N’est-ce pas mettre la charrue avant les boeufs que de parler d’e-business au lieu d’alphabétisation en Afrique ? Ne serait-ce pas aggraver la fracture numérique en Afrique?
Amath Soumaré : Non ! Parce qu’il faut vivre avec son époque. Il faut considérer les NTIC comme un moteur de développement, du commerce, de l’éducation, de la santé et de l’agriculture. On va se baser sur les nouvelles technologies pour pourvoir booster le tout. Et c’est possible. Nous faisons partie du Global Development Learning Network (GDLN) qui est le réseau mondial de formation pour le développement de la Banque mondiale. On fait des formations sur l’Afrique par satellite à partir de Paris. Aujourd’hui, quand on prend le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement en Afrique, ndlr), les NTIC figurent au nombre des super priorités. Elles sont une clef, une base pour pouvoir développer n’importe quoi aujourd’hui. Quand on parle d’Afrique, on parle toujours de fracture numérique. C’est vrai dans la mesure où le Continent compte 5,5 millions de personnes connectées sur les 600 millions dans le monde. Le problème n’est pas là ! Le problème est de comprendre aujourd’hui que la nature de l’économie mondiale a changé. Si nos pays veulent se développer, ils doivent tenir compte de la nouvelle donne mondiale.
Afrik.com : Comment ?
Amath Soumaré : En matière d’éducation par exemple, des ordinateurs tactiles sont utilisés pour alphabétiser les gens qui sont dans les régions les plus reculées. Des endroits où les instituteurs ne veulent pas aller. Quand on parle de nouvelles technologies, on parle multimédia, c’est à dire l’utilisation du son, de l’image et du texte. Des activités éducatives sont menées via des radios sur Internet. Dans le domaine de l’agriculture, prenons le cas de l’Inde, un pays du Sud. Il a créé le Simputer (contraction de simple et de computer). C’est un petit ordinateur qui coûte environ 150 euros. Cet appareil tactile a été développé pour les agriculteurs indiens analphabètes à qui il arrivait de vendre leurs produits à perte. Désormais, avec le Simputer, ils savent quand il faut vendre car ils disposent de la bonne information. C’est important quand on sait que les prix des produits sont côtés en bourse et de fait très volatils. Sur l’écran, ils disposent d’icônes. Ainsi en appuyant sur » coton « , l’ordinateur leur donne oralement, et dans leur langue maternelle, le cours du coton. La maîtrise de l’information est un facteur clé. Dans le domaine de la santé, il est possible de faire des diagnostics via le satellite. C’est ce que fait l’association française Fissa, un peu sur le schéma d’Healthnet. Ainsi, grâce à une équipement satellite installé dans un tout petit village, des femmes enceintes peuvent profiter d’une consultation à distance effectuée par des médecins qui sont à Dakar.
Afrik.com : En matière d’utilisation des NTIC, y-a-t-il un pays modèle en Afrique ?
Amath Soumaré : Le premier pays dans le domaine, c’est l’Afrique du Sud, ensuite Maurice, puis l’Egypte, qui est le pays africain le plus connecté. Enfin le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. Le Sénégal est la figure de proue du développement des NTIC en Afrique de l’Ouest, il a compris l’importance des NTIC. Le développement des infrastrutures sont la pierre d’angle du Nepad. Les infrastructures, ce ne sont pas seulement les routes, c’est aussi la bande passante. Car avec elle, on peut développer toute une série d’ activités : les centres d’appels, les cybercentres, le télétravail… Il est déterminant pour les gouvernements de comprendre le potentiel des NTIC. Ce n’est pas par une politique classique d’industrialisation qu’ils arriveront à créer des emplois pour les 70% de jeunes qui constitue leur population.
Afrik.com : Pensez-vous que les gouvernements africains ont réellement pris conscience de l’importance des NTIC ? Peu d’entre eux disposent d’ailleurs d’une bonne visibilité sur Internet.
Amath Soumaré : En effet. Ceux qui dirigent l’économie sont des gens d’un certain âge et sont souvent réfractaires au changement. Je connais le problème puisque nous organisons des programmes de formation à destination des parlementaires, des gouvernements et des grandes entreprises. Des personnes qui savent à peine utiliser un ordinateur ne peuvent décemment pas mettre en place une politique adéquate en matière de NTIC. Nous essayons de leur faire comprendre qu’aujourd’hui on n’a malheureusement pas le choix. L’immatériel et les services sont créateurs de valeur ajoutée. Le problème des pays africains est qu’ils se sont focalisés sur les matières premières. Maintenant, il convient de réfléchir à comment on peut créer de la valeur ajoutée à partir de ces dernières. La Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao, est obligée de racheter des produits finis. On ne va pas me dire que durant quarante ans, il n’y pas eu de transfert de technologie ! Cela veut dire qu’il y quelque chose qui ne tourne pas rond ! Nous sommes à un tournant dans la façon de faire du commerce. Il y a des choses que les Africains acceptaient et qu’ils ne doivent plus accepter.