L’ardeur entrepreneuriale, l’innovation et les budgets colossaux des fondations privées permettront-ils de réussir là où une industrie internationale humanitaire sclérosée et indisciplinée a échoué ? Ou alors, la « nouvelle philanthropie capitaliste » n’est-elle que la simple manifestation d’une certaine forme d’arrogance, de vanité et de naïveté de la part de grosses fortunes, dans un univers où mêmes les experts humanitaires ont échoué ?
Pour l’économiste Jeffrey Sachs, avec un budget annuel de 150 milliards de dollars, il est possible d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) fixés à l’horizon de l’année 2015.
« Nos gouvernements ne font rien, alors que des gens meurent », a-t-il déploré. Plutôt que de faire appel aux pays du G8 – le groupe des huit pays les plus industrialisés –, M. Sachs pense que les personnalités figurant sur la liste des plus grosses fortunes du monde établie par le magazine américain Forbes représentent les meilleures sources potentielles de financement pour se procurer les fonds nécessaires à la réalisation de ces objectifs. En effet, précise M. Sachs, en ne prélevant que cinq pour cent sur les revenus des 950 milliardaires en dollars recensés dans le monde, on peut aisément réunir ces fonds.
Mais certains doutent de l’efficacité de cette approche. « Les difficultés que nous rencontrons dans le cadre de la réduction de la pauvreté, des maladies et de bien d’autres problèmes ne sont pas d’ordre financier », a affirmé Randolph Kent, directeur du projet ‘Humanitarian Futures’ au King’s College, de l’Université de Londres (University of London). « Lorsqu’on injecte plus d’argent pour tenter de résoudre des problèmes, on court plus le risque de voir ces derniers se multiplier que d’apporter des solutions idoines à ces problèmes».
Les grosses fortunes de ce monde et ceux qui les soutiennent ne sont pas de cet avis. « Notre génération a une occasion unique de marquer l’histoire. Nous avons l’argent, le savoir et nous connaissons des personnalités capables d’aider l’Afrique. Nous pouvons y arriver avec le concours de personnes comme Bill Gates », a affirmé le chanteur de rock et activiste irlandais, Bono.
La bonne volonté
Depuis l’année 2000, la fondation Bill et Melinda Gates a investi quelque 13,6 milliards de dollars dans des projets nationaux et internationaux. Et les avoirs de la fondation devraient atteindre les 60 milliards de dollars avec l’importante contribution financière de l’homme d’affaires et investisseur américain Warren Buffett.
Dans un nouveau style d’action appelée « capital-risque philanthropique (venture philanthropy) », la fondation Gates tente de résoudre quelques-uns des graves problèmes de la planète, en particulier dans le domaine de la santé, en optant pour une approche pratique et novatrice.
Ainsi, dans cadre d’une de ses dernières initiatives, la fondation a démarré en octobre 2007 un nouveau programme sur cinq ans, d’un montant de 100 millions de dollars, destiné à encourager les recherches médicales innovantes. Lancée au Cap, en, Afrique du Sud, cette initiative, baptisée Grand Challenges Explorations programme, a pour objectif d’aider des scientifiques de pays africains et asiatiques dans leurs recherches en leur octroyant des subventions d’un montant de 100 000 dollars.
La fondation a massivement investi dans certains aspects clés de la recherche médicale et de la chirurgie, en particulier dans des domaines considérés comme non rentables par l’industrie pharmaceutique et médicale du secteur privé.
La puissance des partenariats
Aux côtés des grosses fortunes figurent des activistes comme le chanteur Bono et Bill Clinton, l’ancien président des Etats-Unis.
Le forum annuel que M. Clinton organise à New York pour collecter des fonds permet de réunir un millier de participants parmi lesquels figurent les plus grosses fortunes du monde et de nombreux décideurs internationaux. Ce forum a eu lieu cette année au mois de septembre et 52 anciens et actuels chefs d’Etat y ont participé, chaque participant ayant versé 15 000 dollars pour débattre de sujets qui, autrefois, étaient le domaine réservé des organisations humanitaires.
L’objectif de la Clinton Global Initiative (CGI) « est de créer un groupe permettant de réunir des personnalités disposant d’importants moyens financiers et des décideurs ayant les idées les plus novatrices ». La CGI n’accorde pas de subventions mais agit comme un entremetteur. Dans le cadre de cette initiative, considérée comme « une bourse aux dons destinés à des causes utiles », des promesses de dons d’un montant d’environ 10 milliards de dollars ont déjà été enregistrées.
Entrepreneurs philanthropes
L’aspect le moins reluisant de cette nouvelle philanthropie est le nouveau type de relations qu’elle instaure entre le secteur privé et les organisations caritatives.
« Certains philanthropes entrepreneurs », comme l’Impetus Trust au Royaume-Uni, ont introduit dans le secteur du bénévolat des techniques empruntées au capital-risque pour aider les organisations caritatives à améliorer leur gestion et leurs performances. Acumen Fund, un fonds américain, investit dans des entreprises en faveur des pauvres, mais attend que celles-ci réalisent des bénéfices, tout en cherchant à promouvoir des produits rentables et des bonnes causes.
Des critiques qui dérangent
Mais Muhammad Yunus, lauréat du Prix Nobel de la paix et fondateur de la première institution de microcrédit, doute plutôt de ces méthodes.
« Lorsqu’une entreprise réalise un bénéfice de 100 dollars et en consacre cinq pour une bonne cause, et ce dans le seul but peut-être de ne pas payer des impôts, cela ne m’impressionne pas vraiment ».
« Je m’intéresse plus à ce que représente la philanthropie à l’échelle mondiale qu’au simple don individuel de quelques milliardaires anglo-américains », a fait remarquer M. Kent de l’Université de Londres.
« S’il est vrai que pour l’instant les organisations humanitaires ne sont pas encore parvenues à résoudre quelques-uns des plus graves problèmes de la planète, rien ne permet d’affirmer que les milliardaires y parviendront. Je ne suis pas convaincu qu’ils présentent un quelconque avantage en termes de capacité d’analyse et de fiabilité par rapport aux mécanismes habituels mis en œuvre pour résoudre ces problèmes », a conclu M. Kent.
« Certes, il est trop tôt pour en juger, mais je ne serais surpris s’ils parvenaient à trouver des solutions radicales aux problèmes qui perdurent ».
Au moins un de ces milliardaires n’a pas de doute sur les raisons qui le poussent à agir. « Si nous ne réglons pas le problème du changement climatique, nous serons amenés à nous retourner contre nous-mêmes […] Et avant de finir tous brûlés, nous nous entretuerons », a indiqué George Soros, financier et philanthrope américain.
Quant à Richard Branson, propriétaire du groupe britannique Virgin, il semble bien résumer l’esprit de la nouvelle philanthropie dans cette affirmation : « Je refuse de penser que ne nous ne pouvons pas résoudre ces problèmes ».