Depuis plus de vingt ans, la » dénégrification » fait rage en Mauritanie. Discrimination orchestrée par l’Etat. Esclavage. Génocide. N’Dango Mamadou, ancien cadre de l’armée, a tout vécu. Aujourd’hui réfugié politique en France et militant d’une association de soutien aux Mauritaniens, il raconte ce qu’il a vu.
N’Dango Mamadou a servi 19 ans dans la gendarmerie mauritanienne. Il se souvient encore d’un temps où la diversité ethnique façonnait une société presque harmonieuse dans son pays. Mais il se souvient aussi du moment où des manipulations politiques grossières ont conduit les extrémistes arabophones de l’ethnie beïdane à asservir et à massacrer les Noirs mauritaniens. Témoignage douloureux et touchant d’un rescapé de la » dénégrification « .
Afrik.com : Pourquoi peut-on parler de » dénégrification » en Mauritanie ?
N’Dango Mamadou : Depuis 1984, les Noirs de Mauritanie – que ce soit les Maures noirs descendants d’esclaves que l’on appelle les Haratines, les Soninkes, les Ouoloff ou les Bambaras -, sont écrasés par l’ethnie arabophone des Beïdanes. En 1989, le régime du président-colonel Sid’Ahmed Taya a procédé à un génocide planifié et prémédité. Je ne connais pas le nombre exact de morts. Je dirais plusieurs dizaines de milliers. A l’heure actuelle, il y a encore 120 000 Mauritaniens noirs qui ont fui le massacre et qui vivent dans des camps au Sénégal et au Mali. Pour ceux qui sont restés, la politique du gouvernement n’est pas tendre. On les exclut de la vie sociale. On les asservit ou on les élimine.
Afrik.com : Pourtant, il y a quelques Noirs dans l’administration…
N’Dango Mamadou : Il s’agit d’une façade, pour calmer l’opinion internationale. Ceux qui acceptent de jouer ce rôle sont des collaborateurs. Et ils ne sont vraiment pas nombreux.
Afrik.com : Comment s’est déclenché le génocide en Mauritanie ?
N’Dango Mamadou : Il y a eu plusieurs faits marquants après le putsch du Colonel Taya en 1984. En 1986, une poignée de cadres avaient fait paraître un manifeste intitulé » Négro- mauritaniens opprimés « . Ils dénonçaient l’injustice sociale et le racisme institués par le colonel-président. Ils ont tous été arrêtés et torturés. En 1987, j’ai moi-même assisté, lorsque j’étais dans la gendarmerie, à la dénégrification de l’armée et des corps constitués. Enfin, en 1989, c’est un accident frontalier entre un paysan sénégalais et un berger mauritanien qui a mis le feu aux poudres. On a monté ça en guerre ethnique. Tous les Noirs ont été soupçonnés d’être des traîtres au service du Sénégal ou des membres du Flam (Forces de libération africaine de Mauritanie, ndlr).
Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant cette période de guerre civile ?
N’Dango Mamadou : On repérait les maisons des Noirs. On les accusait, on les exécutait avec toute leur famille et des Beïdanes venaient récupérer l’ensemble de leurs biens. C’en était au point que les bennes du service de nettoyage de la mairie ramassaient les morts comme des ordures pour les mettre dans une fausse commune.
Afrik.com : Que ressentez-vous, personnellement, vis-à-vis des Beïdanes ?
N’Dango Mamadou : Personnellement, je n’ai rien contre un Beïdane. Lorsque je suis entré dans l’armée, le colonel Via Ould Mayouf et le Cheikh ould Boïda, son second, étaient mes supérieurs. C’étaient des Beïdanes et nous nous appréciions beaucoup ! Ils ont été mis en retraite à l’arrivée au pouvoir de Taya…
Afrik.com : Comment analysez-vous, aujourd’hui, la situation en Mauritanie ?
N’Dango Mamadou : Depuis la défaite de l’Irak, le régime fait profil bas. Le parti Baas soutient Taya et lui avait promis de l’aider militairement en cas de conflit avec le Sénégal. Privé de cet appui, il doit mettre de l’eau dans son vin et déguiser une oppression de fait en une démocratie de façade. La police secrète exécute les basses besognes et les voix de l’opposition qui dénoncent le génocide ou l’esclavage sont étouffées.
Lire aussi : Ould Taya m’a tuer.