Pour “atteinte à la décence”, des clips de Koffi Olomidé, de JB Mpiana et d’autres diffusés par des chaînes télévisés privées ont été interdits par la Commission nationale de censure des chansons et spectacle de République démocratique du Congo. Les décisions de cette instance révèlent une sensibilité de la population congolaise vis à vis des images montrant une trop grande nudité. Mais sont fustigées par les tenants de la liberté d’expression.
Au pays de la rumba et du ndombolo qui enfièvrent les nuits congolaises, certains se posent en empêcheurs de danser en rond. Depuis sa création en 1996 par le Premier ministre Kengo Da Wendo, la Commission nationale de censure des chansons et spectacles (CNCCS) veille jalousement à la “sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs” en République démocratique du Congo (RDC). Les œuvres musicales ou les spectacles “provocant la haine raciale ou tribale, portant atteinte à l’honneur d’autrui, incitant à la débauche, à la prostitution, au divorce, à la délinquance et à toute tendance nuisible pour la société” sont interdites de diffusion. C’est ce qui est arrivé à trois clips du chanteur Koffi Olomidé portant sur les chansons Alia, Silivi et Esili de l’album Monde Arabe, censurés au début du mois de janvier par la CNCCS. Le musicien JB Mpiana a vu également deux clips de son opus Anti-terro retirés du marché en septembre dernier.
Sur l’une des vidéos de Koffi Olomidé, on pouvait voir notamment une jeune fille presque nue se roulant dans un lit de manière “lascive”. “Pour nous, ces images blessaient les bonnes mœurs”, explique le président de la CNCCS et procureur général Manzala Man-Ngo. Selon la législation en vigueur en RDC (décret 003 du 21 février 1996), toute mise sur le marché d’une œuvre musicale, quelle soit congolaise ou étrangère, doit faire l’objet d’une demande préalable auprès de la Commission. L’artiste ou la chaîne de télévision s’acquitte également d’une taxe au moment du dépôt du dossier qui peut aller jusqu’à 10 euros environ par chanson. “Les clips de Koffi Olomidé ne sont jamais passés par la Commission. Ce n’est que peu après que nous avons été alertés par des gens nous faisant part de leur malaise vis-à-vis de leurs enfants quand ses chansons passaient à la télévision”, ajoute Manzala Man-Ngo. Le musicien a refusé de payer l’amende maximale pouvant atteindre près de 1 000 euros. Son dossier a été transmis au Parquet de Grande instance de Kinshasa. Et les clips ont été retirés du paysage audiovisuel.
“Les notions de pudeurs et de mœurs sont très relatives”
Dans les rues kinoises, strings trop voyants et ventres à l’air posent également des problèmes tout comme certains clips vidéos. Mais la danse, elle, fait toujours partie du folklore congolais. Selon quels critères peut-on dire qu’une image est choquante ou pas? Pour Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de l’association Journaliste en danger (JED) “les notions de pudeur et de mœurs sont très relatives et difficilement justiciables. La Commission agit de manière arbitraire. Quand on regarde bien, la plupart des clips qui sont visibles à la télévision comportent des images qui peuvent aussi déranger”. La définition de la décence diffère aussi d’une région à une autre. “Les images qui passent bien à Kinshasa, ville très branchée sur l’Europe, ne sont pas du tout acceptées par exemple à Lubumbashi où l’éducation est plus pudique. En fait, les artistes congolais veulent faire des clips selon les conceptions occidentales pour les faire diffuser, pas seulement en RDC mais aussi à l’étranger. Or il y a parfois incompatibilité entre culture africaine et culture occidentale”, commente Albert Mbuye, directeur des programmes à Digitalcongo TV.
En février 2000, l’association JED avait protesté contre l’interpellation de Lumbana Kapasa, directeur des programmes de la chaîne privée RTKM, par l’entremise de la CNCCS. Il était reproché à RTKM d’avoir diffusé un clip de Koffi Olomidé qui “violait les bonnes mœurs” du fait que “les danseuses s’exhibaient en petite culotte sur scène”. Réponse de JED : “étant donné que le clip de Koffi Olomidé se vend sur la place publique de Kinshasa, il n’appartient pas à un média privé de jouer au censeur pour satisfaire le puritanisme de certains”. En juin 2004, c’est au tour du directeur des programmes de Canal Tropical TV, M. Pindi Passi, d’être placé en détention pendant plusieurs heures pour “diffusion de clips étrangers et de musique rap”. La Commission avait demandé la fin du “libertinage” et la suspension des “clips étrangers et du rap international et congolais” afin de “restaurer les valeurs morales dans la société d’aujourd’hui ».
Petits arrangements ?
Selon le procureur Manzala Ma-Ngo, la population accepterait très bien ces mesures et reprocherait même à la Commission de ne pas être assez répressive. La CNCCS, rattachée au ministère de la Justice, comprend 5 membres permanents, des représentants des ministères, de la presse et de l’information, de la culture et des arts, de la jeunesse et de l’éducation nationale, mais aussi des représentants de la société civile : confessions religieuses (catholique, protestante, musulmane et kimbanguiste) et ONG, comme l’association nationale des parents d’élèves du Congo et l’association des enfants défavorisés. “En fait, on ne l’entend pas beaucoup, elle s’en prend surtout aux musiciens”, ses principaux détracteurs avec leurs fans, dit Tshivis Tshivuadi. Certaines personnes parlent de chantage entre magistrats et artistes pour que ces derniers obtiennent une autorisation de diffusion. Il ne s’agit pas que de rumeurs. “Lors de la présentation des vœux, le procureur général de la République n’a-t-il pas dénoncé ces pratiques devant l’ensemble de la magistrature ?”, rappel le secrétaire général de Journaliste en danger. Certains artistes essaieraient même de s’arranger pour que l’œuvre de leur concurrent n’obtienne pas d’avis favorable. En RDC, la musique est tellement importante que même la justice s’en mêle.
Par Valentine Lescot