Depuis un peu plus d’un an, le nombre de motos en circulation dans la ville de Bafoussam, troisième métropole camerounaise après Yaoundé et Douala, est sans cesse croissant. L’activité de conducteurs de moto-taxi qui dès lors s’est intensifiée draine avec elle une cohorte de problèmes. Et se sont les autorités administratives qui en ont pour leurs grades.
J Bertrand Temgoua
Les autorités administratives du Cameroun et en particulier celles des grandes métropoles ont perdu le sommeil depuis que l’activité de conducteurs de moto-taxi a pris de l’ampleur. En vérité, ce qui pose problème ici, est le fait que ces « débrouillards » de tous les âges, dont il est impossible de donner le nombre exact, ont presque tous choisi d’exercer dans la clandestinité, et au mépris du code de la route.
Le directeur de l’une des deux autos-écoles de Bafoussam disposées à former les conducteurs de moto-taxi nous a confié qu’il a reçu, depuis le début de l’année que « dix dossiers ». Non sans préciser que « les propriétaires de ces dossiers n’entendent pas se donner la peine de suivre une formation avant de se faire délivrer un permis de conduire ». Bien au contraire, ils proposent des pots-de-vin afin que lesdites pièces leur soient octroyées sans le moindre effort.
Un lobby puissant
Il y a quelques semaines, l’un d’entre eux a percuté une adolescente sur la chaussée. Secrétaire dans une compagnie d’assurance de la place à Bafoussam, son patron a été alerté. Immédiatement, il a saisi les Forces du maintien de l’ordre (FMO) après avoir retenu l’engin (de mort) qui n’avait aucun papier et fait conduire l’accidentée à l’hôpital provincial. Au moment où la police est arrivée, plusieurs dizaines de conducteurs de moto-taxi sommaient le directeur de la compagnie d’assurance de remettre illico presto la moto de leur collègue s’il ne voulait pas voir son bâtiment disparaître sous les flammes.
Espérant pouvoir compter sur la police, le pauvre homme a été surpris de constater l’impuissance des FMO face à cette situation qui ne faisait que s’envenimer au fur et à mesure que le nombre des conducteurs de moto-taxi augmentait. Seul devant sa conscience, il a tout simplement remis l’engin et c’est dans un vacarme indescriptible que les motos-taxis se sont dispersés. Les exemples sont légions.
Narguer les autorités
Au cours de la manifestation marquant la célébration de la récente Journée de la protection civile dont le thème était « Protection civile et sécurité routière », le gouverneur Amadou Tidjani, déclarait : « Je ne saurai terminer mon propos sans revenir sur le transport par moto-taxi qui depuis quelques mois connaît une explosion dans la province de l’Ouest en général et dans le ville de Bafoussam en particulier. Je voudrais rappeler aux uns et aux autres qu’en installant les préfets nouvellement nommés dans la province, j’étais le tout premier à être votre défenseur, vous les motos-taxis. Mais je constate que vous n’avez pas saisi la perche que je vous avais tendue. Votre activité est en train de devenir extrêmement dangereuse au point du nuire et de porter atteinte à l’ordre public ». Pointant du doigt les nombreuses motos alignées à la place des fêtes de Bafoussam pour la circonstance, Amadou Tidjani a fait remarquer à tous qu’aucun de ces engins n’avait de numéro d’immatriculation.
« Alors, en tant que votre défenseur, je vous donne jusqu’à la fin du mois de mars. Nous sommes le 3. Ne vous méprenez pas sur notre capacité à vous interdire cette activité ici, à Bafoussam. Il est inadmissible que les motos circulent dans la ville sans même être immatriculées. Je dis que le 1er avril, une moto qui n’est pas immatriculée ne doit pas circuler », a-t-il ajouté, avant de rougir après avoir été ovationné par les conducteurs de motos-taxis. « Vous avez applaudi le préfet, et aujourd’hui vous m’applaudissez, mais nous allons nous retrouver le 1er avril. »
Dommage pour ceux qui s’attendaient à un événement majeur le 1er avril. Ils ont été non seulement déçus de ne pas voir le gouverneur Amadou Tidjani dans les rues, mais également, et surtout, de constater qu’une seule moto sur vingt affichait son numéro d’immatriculation. « C’était peut-être la poisson d’avril du gouverneur », déclare avec dédain un conducteur de moto-taxi de Bafoussam.
Des centaines de morts
Malgré ce qui se trame dans les bureaux, les conducteurs de motos-taxis sont stationnés à tous les carrefours de Douala, de Yaoundé et de Bafoussam. Ils se proposent de déposer la ménagère devant sa cuisine. Ils permettent aux voyageurs pressés de rattraper le bus parti de l’agence. De même qu’ils sont sollicités pour leur capacité à pouvoir se faufiler entre les véhicules dans les grandes villes camerounaises qui souffrent cruellement du manque de routes et connaissent de nombreux bouchons. Surtout aux heures de pointe.
On aurait pu saluer l’action de ces conducteurs si leur médaille n’avait pas de revers aux conséquences sanglantes. Il ne se passe pas un seul jour sans qu’on ne parle de téléphones portables et de sacs à main arrachés et d’accidents occasionnés par ces conducteurs qui n’ont ni casque de protection, ni permis de conduire, et qu’on ne saurait facilement identifier faute de numéro d’immatriculation. Le Cameroun, dont la population est estimée aujourd’hui à un peu plus de seize millions d’habitants, perd chaque année plusieurs centaines de personnes suite aux accidents de la circulation.
Conduite irresponsable et dangereuse
D’aucuns estiment, à propos des accidents de la circulation sur les axes reliant les principales villes du pays, qu’il suffirait que tous les conducteurs soient qualifiés, qu’ils respectent la réglementation en matière de limitation de vitesse et qu’ils s’abstiennent de conduire en état d’ivresse pour que les populations cessent d’écouter à travers les médias, des listes interminables de morts suite aux accidents de la route.
On leur fait ainsi très souvent le reproche, à Yaoundé et à Douala, de ne pas respecter les dispositifs de signalisation routière. Ils sont passés maîtres dans l’art de la violation des feux rouges et des sens interdits. Lorsqu’ils procèdent à un dépassement, tout le monde s’interroge sur leur stabilité mentale. On les retrouve parfois sur les trottoirs, lorsqu’ils n’effleurent pas la carrosserie d’un camion afin de se frayer un passage, non sans demander aux clients qu’ils transportent de s’incliner légèrement pour qu’ils puissent éviter l’obstacle.
Un mal nécessaire
A la question de savoir, qu’est-ce qu’ils pensent des motos-taxis ?, les Camerounais d’en bas, ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter leur propre véhicule, répondent dans leur immense majorité que « c’est une activité extrêmement dangereuse. Les conducteurs roulent chaque fois à vive allure, mais il est impossible de se passer d’eux. Ils parviennent à se rendre dans les zones inaccessibles aux véhicules quatre roues ».
Au cours de ses travaux, le préfet Jules Marcellin Djaga a souligné qu’aucune réunion ne sera convoquée avant le descente sur le terrain d’une « coalition d’autorités compétentes » pour une véritable opération coup de poing visant à mettre hors circuit les brebis galleuses. Interrogés sur comment ils ont apprécié la démarche du préfet, les conducteurs de motos taxis que nous avons rencontrés ont dit leur détermination à s’opposer à ce qu’ils considèrent comme une pression fiscale de la part des autorités de la place. « Nous faisons ce travail pour nous débrouiller. On ne gagne presque rien. S’ils descendent dans la rue pour nous arrêter, nous allons nous mettre en grève », a conclu l’un d’entre eux.