Interdites de transport dans la capitale sénégalaise, Dakar, les motos dites « Jakarta » ont fini d’étendre leurs tentacules dans quasiment toutes les villes du Sénégal : de Thiès à Saint-Louis, en passant par Louga, Kaolack et même Fatick, le fief du président la République, Macky Sall, où elles assurent plus de la moitié du service de transport. AFRIK.COM a tenté d’en savoir plus sur ces nouveaux moyens de transport qui ont fini de transformer le visage du Sénégal, avec leur lot de tracas.
Depuis quelques années, les motos dites « Jakarta » ont envahi le Sénégal, notamment les régions. Car ces engins sont interdits d’exercice de transport dans la capitale du Sénégal, Dakar. Apparues dans un premier temps dans la région de Kaolack, ces moyens de transport ont vu leur nombre accroître de façon exponentielle, dans la Bassin arachidier. Après Kaolack, d’autres régions vont s’inviter dans le bal des Jakarta. Notamment Thiès, Fatick et Saint-Louis. Non sans d’énormes inconvéients.
« Au tout début, on avait beaucoup de difficultés avec ces motos dites Jakarta. Leurs conducteurs s’avèrent pour la plupart être des gens de jeune âge, donc quasiment inconscients du danger que comportait la conduite de ces motos. On en recensait des cas incessants de vols de motos, d’accidents de la circulation et de course entre clans qui souvent finissaient en accidents ou en batailles rangées. Je pense qu’il existait des mises pour ces courses de motos, ce qui augmentait sans doute les enjeux », nous confie cet officier de police qui a requis l’anonymat.
Source de vols et d’agressions
« L’autre gros soucis restait les agressions liées à ces motos Jakarta. Au tout départ, l’agression tournait autour des vols de ces engins, par des malfrats venus d’autres régions. Ils venaient nuitamment, entre 20 heures et 23 heures, pour voler des motos ici à Thiès, pour ensuite prendre la poudre d’escampette, en direction de Mbour, ou Kaolack, la plupart du temps. Il nous a fallu du temps pour comprendre où se retrouvaient ces motos volées, par dizaines parfois, chaque soir », poursuit le limier.
« Cette affaire était d’autant plus compliquée que les vols étaient pour la plupart accompagnés de violences, parfois meurtrières. En effet, beaucoup de victimes de vols de motos étaient d’abord agressées avant le forfait. Certains qui n’avaient pas de chance perdaient la vie après l’agression qui se faisait parfois à l’arme blanche. Sans compter les vols à l’arrachée perpétrés par certains conducteurs de moto. Lorsque nous avons compris leur stratégie, nous avons pu mettre la main sur beaucoup de ces malfaiteurs qui, aujourd’hui, croupissent en prison », révèle l’officier de police.
Qui dit agression, pense à blessure. Et ce n’est pas ce qui manque chez ces conducteurs de motos Jakarta, qui non seulement en pâtissent au cours d’agression, mais en sont aussi victimes au même titre que la ou les personnes transportées, lorsque survient un accident de la circulation. Car il arrive que ces motos embarquent trois personnes dont deux clients. D’ailleurs, un compartiment est spécialement réservé aux accidentés des motos Jakarta à l’hôpital régional de Thiès où une section Jakarta a été mise en place pour accueillir les blessés de ces moyens de transport.
A peine sommes-nous arrivés à l’hôpital Amadou Sakhir Ndiégueune de Thiès qu’on voit arriver un véhicule des sapeurs-pompiers, avec à son bord deux blessés : un conducteur de moto Jakarta, à peine âgé de 17 ans, et son client, un quinquagénaire qui, aussitôt descendu du véhicule, commence à râler et à dénoncer la conduite dangereuse du jeune. « Vous saviez qu’il est jeune et vous avez quand même embarqué sur sa moto », lui lance une blouse blanche qui passait près de la voiture des soldats du feu.
Débarqués aux urgences, ces deux blessés seront par la suite internés à la « Salle Jakarta » où ils sont une vingtaine à être admis des suites d’accidents de moto. « Depuis plus de cinq ans, c’est comme ça, chaque jour. Nous sommes débordés par les accidentés de motos qui arrivent par nombres importants, chaque jour. Et comme vous pouvez le constater, les conducteurs sont la plupart jeunes, à la limite insoucieux », déplore cette infirmière.
Un gagne-pain qui peut coûter la vie
« C’est le destin. Je conduisais tranquillement ma moto lorsqu’un taxi m’a heurté et je me suis retrouvé avec une fracture ouverte. Cela fait près de deux semaines, et je suis sous plâtre, comme vous le voyez. C’est un métier à risque et nous en sommes conscients. Mais nous n’avons pas le choix. Nous sommes obligés de faire ce job pour subvenir à nos besoins », confesse Ablaye, la vingtaine, trouvé dans les couloirs de l’hôpital, se déplaçant en béquilles.
« Vous savez, compte tenu d’une conjoncture économique difficile, nous sommes obligés de nous accrocher à un travail, aussi rudimentaire soit-il, car il faut faire face à certaines dépenses. Ma famille compte sur moi, étant l’aîné de mon père, décédé il y a deux ans, je n’ai pas le choix. Comme beaucoup de mes collègues conducteurs, qui eux aussi sont désœuvrés et sont obligés de faire un travail, n’importe lequel, pour sauver les meubles. Et les motos Jakarta sont plus à la portée du citoyen, raison du nombre important de motos dans la circulation », poursuit Ablaye.
Gagne-pain à l’origine de tracasseries, au niveau des commissariats de police et des compagnies de gendarmerie, qui se retrouvent souvent avec des agressions et autres meurtres à élucider, sans compter l’alerte permanent du groupement des sapeurs-pompiers mobilisé pour porter assistance aux blessés, ces motos Jakarta, lot quotidien des Sénégalais se sont imposés comme un moyen transport, dangereux certes, mais très prisés, au grand désarroi des institutions sanitaires, sécuritaires et même une bonne partie de la population.