Hier, on soupçonnait le président Biya d’avoir mis à l’assemblée nationale des chargés d’affaires, on l’accuse aujourd’hui de s’apprêter à miner le sénat de chargés de mission. La curiosité fondamentale du Sénat camerounais, dont la procréation aura été diplomatiquement assistée, la curiosité viendra de ce qu’il sera l’émanation de la volonté personnelle de Paul Biya, qui ne manque jamais de retourner en sa faveur les situations les plus compromises. La création du sénat n’était motivée que par sa constitutionnalité ; pour l’opposition camerounaise, elle n’est d’aucune pertinence vu qu’elle n’est guère susceptible de rétablir quelque équilibre, elle ne fera que renforcer les acquis du parti dominant, parachever la mainmise du RDPC, sorte de nouveau parti unique, dont le chef nomme 30 sénateurs sur 100. Le sénat en lui-même ne rendra pas un service supplémentaire à la démocratie camerounaise et s’annonce comme un centre de coûts superflus.
La chambre haute a dans les pays qui les premiers l’ont pensée et expérimentée une fonction plus « administrative » de relecture des lois et de représentativité des collectivités territoriales. Les sénateurs ne sont donc que des relecteurs de luxe, des reviseurs surpayés, des correcteurs de prestige. Le concept, libre de droits, a été camerounisé jusqu’au bout des ongles, au point que toute ressemblance avec des institutions homonymes, en France, aux Etats unis d’Amérique, au Kenya, partout ailleurs, serait purement fortuite.
Ici, les collectivités territoriales « décentralisées » ne sont jamais nées, il y a bien des unités territoriales que l’on appelle région, mais celles-ci ne diffèrent en rien de ce que l’on appelait naguère province. Autrement les gouverneurs de région auraient voté, n’est-ce pas ? En guise d’électeurs, ce sont les collectivités locales qui assureront le relais démocratique qui échoit à leurs élus, nos chers conseillers municipaux. Résultat des courses, le sénat sera une chambre plus politisée que l’assemblée nationale (véritable refuge de commerçants et de « femmes de », en quête de privilèges et d’honorabilité).
A quoi pourrait-on comparer le sénat camerounais ?
Le sénat est une institution prévue par notre constitution, elle est légale dans son principe, mais a priori illégitime, à plus d’un titre : une partie seulement des électeurs, les conseillers municipaux, pourra aller voter. La constitution camerounaise, contrairement à la constitution gabonaise par exemple, ne les a pas mentionnés seuls. Le comble étant que ces « grands électeurs » sont forclos dans cette prérogative qui aurait dû être exercée en temps opportun. Ils pouvaient, eux, se passer de biométrie, du fait de leur identification, techniquement plus facile à faire. Ils voteront alors que leur mandat légal de cinq ans est échu ; un décret, fût-il divin, ne peut pas à soi seul les rétablir dans leurs prérogatives constitutionnelles.
La chambre haute du parlement sera totalement vieillie dès sa naissance (interdit au moins de 40 ans !) : la jeunesse n’est pas spécialement concernée, c’est une institution qui dès son étymologie latine marque son parti pris en faveur des « anciens » (En France néanmoins on peut être sénateur dès ses 30 ans).
Vieillie, la chambre haute sera également stigmatisée dès sa constitution par des métaphores peu flatteuses : niche fiscale et judiciaire, terre d’exil, hospice de retraités, à quoi on pourrait la comparer. Le président du sénat ne sera, lui, rien d’autre que l’exécuteur testamentaire de Paul Biya, celui qui mettra en œuvre la succession que celui qui l’aura nommé aura décidée. Le (ou la) futur(e) président(e ) du sénat sera par conséquent, sans doute, le Camerounais le plus surveillé par les renseignements. Quant au sénat, il aura pour principale fonction d’octroyer des avantages à tous ceux qui n’ont plus pu regagner un strapontin, auront vieilli sans jamais être récompensé de leur militantisme (y compris dans l’opposition que le gouvernement s’est donnée), et les survivants qui ont auront réchappé de l’opération épervier.
Le système des navettes, traditionnellement observées entre l’assemblée nationale et le secrétariat général de la présidence de la république, sera enrichi d’une escale technique au sénat, mais c’est à peu près toute l’innovation dont sera porteuse cette « avancée ». Plus concrètement, les riches et les puissants organisent entre eux la répartition du fruit du labeur du peuple, s’entendent pour ponctionner les impôts d’une économie exsangue, désormais perfusée aux emprunts obligataires.
Prébendes et sinécures, c’est après cela que tous courent
C’est vrai que, au sommet de la pyramide, la mobilité professionnelle est un luxe absolu. L’on a vu des députés (des élus de la nation !) qui songeaient à migrer vers la chambre haute. Cavayé Yéguié Djibril, le président à vie de l’assemblée nationale a caressé un temps le doux rêve de devenir président du sénat, avant d’être rappelé à la réalité de son statut : son titre de deuxième personnalité de la république n’est qu’un « titre ». Il doit être, dans les faits, la quinzième ou la vingtième personnalité, quoi qu’en dise le protocole officiel. Alors s’il en a marre de caqueter sur son perchoir, il peut toujours la dénouer et rendre son écharpe tricolore. Il a en effet été désavoué par son parti politique d’une manière qui ne peut être qu’humiliante, puisque il avait publiquement affiché ses ambitions.
Au Cameroun, on montre régulièrement des ministres brassant de grosses sommes d’argent lors de meetings populaires, des membres du gouvernement distribuent des espèces à tout va, lors de cérémonies officielles, c’est franchement indécent et il faudrait que cela cesse. De même que le fameux article 2 dont sont flanqués tous les décrets de nomination. Tous les actes de cette nature doivent être rédigés sur le modèle de ceux des Etats les plus exemplaires sur le plan de la gouvernance. L’article 1 nomme, l’article 2 indique que le décret sera publié dans le journal officiel, point final.
L’obsession de cet article 2 (les « avantages » de « l’intéressé ») fait souvent oublier les mentions essentielles, ainsi a-t-on vu lors de la nomination des membres du conseil national de la communication un décret sans visa, comme si le pouvoir décrétait en vertu d’une autorité transcendante, de manière autonome, alors que, en l’occurrence, la constitution, les lois, voire les états généraux de la communication qui avaient eu lieu, auraient pu le motiver et servir de base légale.
D’ailleurs le Journal Officiel existe-t-il, qui paraît en principe tous les deux mois ? L’insertion suivant la procédure d’urgence signifie quoi dans ce contexte ? Pourquoi n’existe-t-il pas de version numérique du journal officiel qui publierait les décrets en temps réel, quitte à ce que la version papier attende que les traducteurs daignent faire leur travail ? Nota Bene : le Journal Officiel est un service de la présidence de la république, une preuve supplémentaire de ce que l’inertie vient d’en haut !
Dans un pays où l’on ne peut envisager de nommer à des postes purement honorifiques, sans invoquer des avantages, dans un Etat où des institutions sont créées exprès pour fonctionner à vide, caser les camarades, et récompenser les médiocres, le sénat qui arrive souffrira du même déficit d’autorité, d’indépendance et de crédibilité que toutes les autres institutions de notre « démocrassie ». Les sénégalais ont supprimé par deux fois l’institution du sénat, leur démocratie ne s’en porte pas plus mal et les économies qu’ils réalisent ainsi bénéficieront à toute la société sénégalaise.