Il y en a de grandes comme de petites, celles qu’on oubliera dans la minute et celles dont on ne se relèvera jamais. La honte, sentiment universellement partagé, acide et cruel, est exploré sous toutes ses formes par Fatima Aït Bounoua dans un recueil de nouvelles publié chez Edilivre.com.
« Tu vois Jordan, si tu ne travailles pas, c’est là que tu finiras ! », s’exclame un professeur montrant du doigt une femme qui s’échine dans la cuisine de l’école. Honte de Jordan, l’élève turbulent pris à parti. Honte de celle que l’enseignant a désigné à haute voix comme une incarnation de l’échec et qui, une fois rentrée chez elle, dira doucement à sa petite fille : « Il faut travailler si tu ne veux pas finir comme moi. »
Honte de son statut social, honte de son corps, honte de son ignorance, honte d’avoir été humilié… Fatima Aït Bounoua dissèque en seize nouvelles un sentiment douloureux, universel. Un sentiment d’une grande banalité, qui sous sa plume prend un relief particulier. Preuve que l’on est témoin ici, à la lecture de ce premier recueil, de la naissance d’un véritable écrivain, de ceux qui avec les petits riens du quotidien parviennent à tisser une matière originale, unique. Le jury du Prix littéraire de la Cité des mots ne s’est d’ailleurs pas trompé en la couronnant, en mai dernier, pour sa nouvelle intitulée « Arracher la langue ». Un texte dans lequel elle raconte l’histoire d’un jeune français d’origine marocaine parti passer les vacances avec sa famille dans son pays d’origine et qui, incapable de parler arabe, bute sur la brutale incompréhension des autres enfants. Etranger au Maroc, rejeté en France… Comment surmonter la honte d’être soi-même ?
Ces migrations estivales, Fatima Aït Bounoua, les a bien connues. Elle s’est indéniablement nourrie de son vécu de fille d’immigrés et de professeur de français en Seine-Saint-Denis (banlieue parisienne, 93) pour écrire. Mais son regard dépasse la seule expérience personnelle et les petites blessures de l’ego. Elle communie avec les souffrances du monde et les fait siennes. « Mon maître mot, c’est la compassion, je suis très sensible aux gens », confie-t-elle.
« La honte, c’est le sentiment de son infériorité dans le regard des autres »
Ils étaient nombreux, les thèmes qu’elle aurait pu traiter dans un premier recueil de nouvelles. Mais elle a choisi la honte « parce que c’est un sentiment intéressant qui n’existe pas sans les autres, il [lui] permettait de travailler sur cette chorégraphie de regards qu’on a les uns sur les autres. » Elle explore ainsi de nombreux univers et dévoile les émotions, les ressentiments de personnes de toutes conditions, de tous âges. Fatima Aït Bounoua accorde une attention privilégiée aux enfants pour qui, selon elle, les marques laissées par la flétrissure sont plus profondes et durables. « Le moment où l’on a été le plus honteux, c’est quand on était jeune, c’est le moment où on est le plus vulnérable, où le regard des autres a le plus de poids », estime-t-elle.
Mais ces portraits de honteux ne sont pas une simple galerie de victimes. Car la honte, une fois bue, peut aider à devenir plus fort, à surmonter ses faiblesses pour mieux défier ceux qui tantôt maniaient avec superbe leur tranchant mépris. Car, comme le disait Karl Marx, dans une sentence que l’auteur a depuis faite sienne : « La honte est un sentiment révolutionnaire ! »
Commander La honte, de Fatima Aït Bounoua, Edilivre.com, 139p, 2009.