Plus efficients que les grandes structures d’aide internationales, les migrants, plus en prise avec les réalités du Continent, sont amenés à jouer un important rôle d’intermédiation entre les besoins de la base et les autorités ou ONG du Nord. Alhassan Barry, président du Forum des Organisation de solidarité internationale issues des migrations (Forim, France), décortique la question et explique l’action du Forim.
Les transferts de fonds des migrants sont supérieurs, en France, à l’aide publique au développement. Un chiffre qui témoigne de l’importance de la diaspora pour le Continent. Mais au-delà de l’apport financier, elle joue également un important rôle d’intermédiation entre les sociétés civiles africaines et les ONG et les structures étatiques françaises. Alhassan Barry, président du Forum des Organisations de solidarité internationale issues des migrations (Forim, France), où plus de 700 associations intervenant en Afrique, en Asie et aux Caraïbes sont représentées, explique cette nouvelle prise de conscience. Il revient par ailleurs sur les fondements du Forim et insiste sur le fait que la logique d’aide doit d’abord partir du terrain, qui doit faire remonter ses besoins aux organisations du Nord. Avec comme premier relais les migrants, qui sont mieux imprégnés des réalités locales.
Afrik.com : Quelle est l’action des organisations qui font partie du Forim ?
Alhassan Barry : Au niveau national, ce sont des organisations qui se réunissent pour régler les problèmes d’intégration dans les pays où elles se trouvent, mais qui ont également un regard tout à fait essentiel sur leur pays d’origine. Parce qu’elles ont la volonté et les moyens d’y apporter leur contribution en termes d’appui au développement. L’apport des enfants qui sont partis à l’étranger est un apport indispensable, au niveau des familles, pour soulager des difficultés quotidiennes, ouvrir des perspectives de meilleure insertion sociale, mais également pour aider, dans les villages, à la mise en place d’activités génératrices de revenus
Afrik.com : On cite souvent la diaspora malienne, comme une référence en la matière…
Alhassan Barry : Les Maliens sont vraiment une référence en matière d’organisation. Ils sont structurés en communauté et s’avèrent très performants en matière d’aide au village d’origine. Mais il y a également les Sénégalais et les Mauritaniens, entre autres…
Afrik.com : Quelle est l’utilité du Forim ?
Alhassan Barry : Notre mission première est d’aider à l’organisation des associations de migrants. Nous voulons ensuite aider à la valorisation de ce que font les migrants. Car ils font des choses depuis longtemps, mais qui ne sont pas toujours reconnues à la hauteur de ce que cela représente pour les pays du Sud.
Afrik.com : L’Etat français a-t-il pris conscience de l’importance de la société civile en matière d’aide au développement ?
Alhassan Barry : Ce n’est qu’à partir de 1997, aux Assisses de la Solidarité internationale et de la Paix, qui a eu lieu à la Sorbonne (Paris), que les pouvoirs publics ont commencé à prendre conscience que les migrants sont des acteurs à part entière de la coopération internationale de la France. Ils apportent toutes les compétences et l’argent qu’ils peuvent et, surtout, ils assurent ce lien entre le Nord et le Sud et cette compréhension mutuelle. Ce sont des passeurs de réciprocité. A partir du moment où l’on fait en sorte qu’ils soient connus et reconnus et qu’on les aide à s’organiser, ils deviennent efficaces. La plateforme qui a été mise en place a été créée par les migrants et l’appui des pouvoirs publics et des ONG françaises, engagées dans la solidarité internationale. C’est quelque chose de nouveau. Il me semble qu’il n’y a pas d’équivalent au niveau européen.
Afrik.com : Le rôle des migrants n’était donc pas reconnu avant ?
Alhassan Barry : Il n’était pas reconnu formellement, même si les faits sont là : car il faut bien rappeler que les transferts des migrants vers le pays d’origine sont supérieurs à l’aide publique au développement ! Cela équivaut presque au tiers du budget du Mali. Je suis presque certain que cela vaut le budget des Comores et un quart du produit intérieur brut du Cap Vert… Mais reconnaître quelqu’un c’est reconnaître ses capacités et le droit à un appui concret. En l’occurrence un appui financier. Un proverbe peul dit : « La preuve de l’hivernage, c’est la pluie ». Il faut donc d’abord donner la preuve qu’on reconnaît. Il faut accepter que nous soyons présents dans les débats, dans l’élaboration de politiques et nous aider à accéder aux moyens de financements de nos projets, donc au co-financement.
Afrik.com : Pensez-vous que la société civile soit plus efficace que l’Etat français en matière d’aide au développement ?
Alhassan Barry : Nous ne pensons pas que nous ferons un travail plus important, en termes de quantité, que l’Etat français. Mais nous apportons cette capacité d’aller plus loin que le goudron, car nous allons dans les villages. Nous en sommes originaires et sommes confrontés aux problèmes que vivent nos parents. Nous sommes les neveux, les fils, les frères des gens qui sont là-bas. Nous savons de quoi ils ont besoin. De ce point de vue nous nous rendons plus efficaces et plus efficients. Ceci est différent de l’aide bilatérale qui se situe au niveau des gouvernements.
Afrik.com : Concernant l’aide bilatérale, ne faudrait-il pas raisonner à l’échelle micro plutôt que macro pour qu’elle soit plus efficiente ?
Alhassan Barry : Nous sommes convaincus que les choses étant ce qu’elles sont, il faut que les populations se conduisent comme des actrices de leur propre développement et puissent être responsables des actions qui doivent être conduites à leur profit. Les aides qui viennent du Nord seront plus efficaces et plus concrètes si elles s’appuient sur une société civile du Sud organisée, qui représente les populations, les communautés villageoises… Il faut jouer la carte d’une aide de proximité.
Afrik.com : Quel est le rôle des migrants dans ce schéma ?
Alhassan Barry : Les migrants, qui sont originaires de ces villages et sont en même temps citoyens des communes françaises, sont un lien de compréhension mutuelle, de bonne connaissance et de mise à disposition, au niveau local, de toutes les formes d’aide. Si on veut que les populations prennent en main leur propre destin, il faudrait que les choses se fassent aussi, au-delà de l’aide bilatérale, avec les ONG et les sociétés civiles.
Afrik.com : Les migrants peuvent-ils se substituer à la société civile en Afrique ?
Alhassan Barry : Je reviens d’Afrique de l’Ouest. Je suis allé au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Bénin et j’ai constaté, en rencontrant les sociétés civiles, que leur priorité était d’être les acteurs dans l’appui au développement local. Or elles n’en ont pas les moyens. On ne peut pas décider pour eux de l’extérieur, y compris les collectivités locales, les ONG françaises et nous-mêmes, les migrants. Notre rôle est de les appuyer. Et je suis persuadé que les migrants sont l’un des meilleurs appuis si on leur donne les moyens et la possibilité de le faire.
Afrik.com : L’agriculture est un des premiers secteurs d’aide. Les actions tournent autour de la suffisance alimentaire. Pensez-vous que cet objectif soit assez pertinent ?
Alhassan Barry : En terme d’objectifs en matière agricole, il conviendrait plutôt de parler de souveraineté alimentaire. Car on peut très bien avoir une suffisance alimentaire en développant des cultures avec les Organismes génétiquement modifiés (OGM). Ce qui est à court terme catastrophique. En mettant de côté les questions de santé liées aux OGM, il faut imaginer simplement que les paysans africains dépendraient, tous les ans, des céréaliers américains pour renouveler leur stock de semences génétiquement modifiées ! Les agriculteurs du Continent doivent pouvoir organiser leurs propres activités économiques, leurs propres partenariats au niveau local, régional, national et international. Et pour ça, il leur faut des capacités d’intervention, une expertise et surtout qu’ils puissent exprimer leur point de vue sur les questions internationales sur l’agriculture, le commerce ou le développement durable… Des questions qui sont souvent abordées sans que les premiers concernés ne soient consultés.
Afrik.com : Comment évaluez-vous l’importance de la société civile dans les pays que vous venez de visiter ?
Alhassan Barry : C’est différent d’un pays à l’autre, mais il y a une volonté de ne pas attendre que les sociétés civiles du Nord viennent régler les problèmes à leur place. Cela m’a frappé au Mali, où il y a une volonté de s’organiser, de trouver une approche consensuelle pour faire face aux questions posées par les pouvoirs publics maliens. A plus forte raison pour les questions posées à l’extérieur. C’est une réalité que l’on retrouve au Burkina, au Niger et au Bénin.
Afrik.com : Certaines coalitions jouent-elles un rôle de lobbies ou de contre-pouvoir ?
Alhassan Barry : Je suis persuadé que rassemblées, les organisations de la société civile représentatives trouvant une légitimité dans le soutien des populations ont un poids réel. Elles peuvent faire bouger les choses. Au Mali, il y avait, par exemple, une perspective d’expérimentation de champs d’OGM. Sous la pression des organisations de la société civile, le gouvernement malien a reculé et accepté un moratoire sur ce sujet.
Afrik.com : N’y aurait-il pas là une autre forme de démocratie, spécifique au Continent ?
Alhassan Barry : Avec la démocratie française, on a perdu avec 49,9999 des voix et l’on gagne avec 50,0001 des suffrages. Avec cette approche, il y a beaucoup de pertes pour le pays. Car combien de compétences se retrouvent quelque peu marginalisées, réellement ou psychologiquement. Je pense qu’il faudrait appliquer une démocratie qui tienne compte de la majorité, mais avec un angle d’approche basé sur le concept d’une démocratie qualitative. C’est celle du consensus et de la recherche des intérêts communs qui caractérise l’Afrique. Au Niger, j’ai été étonné de trouver que l’association des chefs traditionnels faisait partie de la société civile et apportait au pays une aide précieuse. Leur rôle peut tout à fait être vu à la lumière de la modernité. Sans se substituer aux élus, et juste avec le respect qu’ils inspirent, ces gardiens de la tradition aident à convaincre les populations d’emmener les enfants à l’école, et notamment des filles. Ils aident également pour la vaccination et tous les domaines de la santé, ou règlent pacifiquement les problèmes territoriaux entre les nomades et les peuls. Et ce avant qu’interviennent les forces de l’ordre et le représentant légal du pouvoir. C’est quelque chose d’africain qu’il ne faut pas perdre de vue. Je pense qu’on peut maintenir deux pieds dans la tradition et lever la tête vers la modernité. On peut échanger, être partenaires pour qu’ensemble on tire bénéfice de ce qu’on attend chez les autres, mais qu’on ne perde pas les valeurs qui sont les nôtres.
Afrik.com : Vous avez organisé, samedi à Paris, une journée de rencontre avec les Jeunes. Quelle était la philosophie de l’événement ?
Alhassan Barry : Il s’agissait d’une journée de restitution des ateliers que le Forim a développé dans différentes régions de France autour de la jeunesse et du co-développement. Lors de ces ateliers, les jeunes se sont rencontrés, exprimaient tout ce qu’ils voulaient. Nous leur avons dit : « Soyez iconoclastes, dérangez ! Dites comment, né ici ou là-bas, vous vous sentez. Dites comment vous voyez votre pays d’origine et votre intégration ici. Ne vous censurez pas ». Ils ont échangé, nous avons capitalisé tout ça et ils ont révélé à tous le rôle qu’ils pensent avoir à jouer dans l’appui au développement du pays d’origine et aussi dans le renforcement du lien social où ils vivent. Le soir, de grands artistes, tel que Mori Kanté, étaient présents pour un grand spectacle de soutien. Ils ont voulu témoigner de l’importance qu’ils accordent à la jeunesse. Quand on mobilise les jeunes et qu’on les amène à prendre conscience de leur force et de leur capacité, qu’on les forme à la solidarité concrète internationale et bien on forge l’avenir.
Afrik.com : Le débat autour de la jeunesse de la diaspora est centré autour du fait qu’elle envoie de moins en moins d’argent « au pays ». Y a-t-il effectivement une baisse de l’aide au pays natal ou d’origine pour les deuxième ou troisième générations qui se sentent peut-être moins concernées ?
Alhassan Barry : Il y a deux aspects. Les jeunes envoient, certes, moins d’argent, mais ils sont prêts à amener leurs compétences et amener avec eux des jeunes d’autres pays. J’ai été frappé par un chantier au Mali, en juillet dernier, où il y avait de jeunes du Mali, mais aussi de France et d’Asie… C’est ça qui est intéressant. Les jeunes ont tendance à ne plus être « originaires de ». Ils sont d’abord des jeunes et ils ont cette démarche de solidarité humanitaire et d’intérêt pour les gens qui souffrent. Le Forim, comme l’a si bien dit notre trésorier général (Nguyen Van Bon, ndlr), c’est la possibilité que des Vietnamiens revendiquent un chantier au Mali ou en Guinée. Et que réciproquement des jeunes issus de ces pays aillent au Vietnam. C’est ce nouvel espace interculturel et international qui se construit, une autre vision de la mondialisation. Nous sommes fiers de la voir se mettre en œuvre au sein du Forim.
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