Une dizaine de marins africains ont été abandonnés dans le port de Bourgas en Bulgarie. Privés de salaires, de vivres et du droit de circuler, ces victimes d’armateurs peu scrupuleux voient leur vie échouer sur les rives peu reluisantes de la mer noire. Un phénomène tristement banal dans le monde implacable des sociétés écrans et des requins de la finance.
Depuis le 24 décembre 1998, neuf marins africains survivent on ne sait comment, abandonnés sur leur bateau, l’OLGA J dans le port bulgare de Bourgas. Survivent. Car selon le reporter Olivier Aubert qui a rencontré l’équipage, l’un d’eux est déjà mort. Et un autre, malade, est au plus mal.
Anciennement baptisé, l’ » Africa Queen « , l’OLGA J, comble d’ironie, a effectué durant de nombreuses années le transport de réfugiés pour l’UNCHR. Après avoir transporté des réfugiés entre le Liberia et la Guinée, il aurait été racheté à Dakar par un armateur grec. Il ensuite fait route pour la Bulgarie afin d’y subir des réparations. Mais arrivé à bon port, l’armateur a disparu, sans payer l’équipage qui attend en vain deux ans d’arriérés de salaire. Sans en référer à la hiérarchie, la police des frontières est intervenue violemment pour aider l’ex-capitaine à récupérer documents et outils de navigation et briser tout ce qui pourrait être utile. Un acte qu’il faut replacer dans le contexte de grande corruption que connaît l’ancien bon élève du Comecon.
Chèques sans provision
Le propriétaire du bateau a envoyé aux membres d’équipage un chèque sans provision et les autorités portuaires confinent ces naufragés du troisième type (seafarers) sur les rives du quai.
Les membres d’équipage doivent leur survie à la générosité des marins de passage dans ce port désoeuvré de la mer noire. Comme autant de bouteilles à la mer, ils envoient des E-mails à qui veut bien en recevoir, afin que leurs droits soient respectés, leurs salaires payés, et qu’enfin, ils puissent revoir leurs familles qui au Sénégal, qui au Ghana, qui en Tanzanie.
Popularisé, par le roman de Jean-Claude Izzo, » Les marins perdus « , le phénomène est malheureusement très connu des inspecteurs de l’International Transport workers Federation (fédération internationale des syndicats de transports – ITF) : » Dans la région, j’ai connu six cas semblables en six ans. Depuis dix ans le phénomène va s’accentuant « , rapporte Yves Renaud, inspecteur de la confédération syndicale française, CFDT, membre de l’ITF.
Selon le collectif fondé par le reporter Olivier Aubert qui a passé plusieurs mois dans une quinzaine de bateaux similaires » Le nombre de marins dans une telle situation en Europe durant ces cinq dernières années se situe autour de 5 000, celui des navires est proche des 300, néanmoins aucune étude ne permet d’en mesurer l’ampleur réelle « . Vingt-neuf navires ont été ainsi abandonnés en France depuis 1997. Au moins 200 en Europe, ces dix dernières années et une cinquantaine sur les côtes africaines ont connu le même sort.
Les armateurs peu scrupuleux agissent sous couvert de sociétés écrans dissimulées dans les paradis fiscaux. » Ils cassent les prix, gagnent de l’argent sur des marges de bénéfices de plus en lus étroites. Au moindre problème, ils abandonnent le navire. Et au bout de la chaîne il y a ces marins laissés dans des conditions inhumaines « , explique Olivier Aubert.
Du coup, les organisations syndicales en sont réduites à se muer en organisations humanitaires. » Ce n’est pas notre vocation, mais quand nous arrivons sur un navire où l’équipage n’a plus rien à manger, nous parons au plus pressé en aidant les » seaman’s club » (association d’aide aux marins présents dans presque tous les ports de la terre Ndlr), témoigne Yves Renaud
Dans un pays comme la France, où les administrations et les organisations syndicales sont moins sujettes à la corruption qu’ailleurs, le mal est moindre. Mais que le problème survienne dans un pays comme la Bulgarie, et c’est le désespoir, parfois la mort, qui attend l’équipage. Au terme d’une attente aux allures de descente aux enfers.