La crise post-électorale perdure depuis un mois en Côte d’Ivoire. La médiation entreprise par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui n’exclut pas de recourir à la force, ne semble pas avoir eu raison de la résistance de Laurent Gbagbo, reconduit à son poste de Président par le Conseil constitutionnel. En dépit du soutien de la communauté internationale, Alassane Ouattara, déclaré vainqueur de la présidentielle ivoirienne par la Commission électorale indépendante, n’exerce pas seul la fonction suprême. Alain Toussaint, conseiller du Président Laurent Gbagbo chargé des relations avec l’Union européenne, explicite la position de son camp dans cette nouvelle crise ivoirienne. Entretien.
Alors qu’Alassane Ouattara, le Président ivoirien élu selon la Commission électorale indépendante, vient de lui lancer un ultimatum qui expire ce vendredi à minuit, Laurent Gbagbo n’est pas près de quitter le pouvoir, confirme Alain Toussaint, son conseiller chargé des relations avec l’Union européenne. Selon lui, l’un des deux Présidents ivoiriens prône le dialogue pour trouver une issue à la crise politique que traverse son pays depuis le 2 décembre. Les « Jeunes patriotes », conduits par le ministre de la Jeunesse Blé Goudé, menacent, eux, de «libérer » après le 1er janvier» le Golf Hôtel, où Alassane Ouattara a trouvé refuge, sous la protection des Nations unies, également menacées par les partisans de Laurent Gbagbo.
Afrik.com : Laurent Gbagbo conteste la victoire d’Alassane Ouattara mais le fait qu’on ait vu ses partisans empêcher la proclamation des résultats par la Commission électorale indépendante (CEI) ne constitue-t-il pas une preuve de sa défaite ?
Alain Toussaint : Pas du tout ! La CEI est contrôlée à 90% par les membres du RHDP (le Rassemblement des Houphouétistes pour la paix, coalition qui s’est formée autour d’Alassane Ouattara au second tour, ndlr). La commission électorale en Côte d’Ivoire est partisane et largement dominée par des intérêts politiques. Les représentants de LMP (La majorité présidentielle, ndlr) au sein de la CEI ont souhaité qu’aucun résultat ne soit rendu public sans qu’il n’y ait validation et accord entre les différents intérêts représentés. C’est compte tenu de la violation de ces règles que les représentants de LMP ont empêché la proclamation des résultats provisoires de trois régions qui étaient acquises au Président Gbagbo comme on l’a constaté plus tard. Ce sont des régions – Agneby, Moyen Cavally et Sud Comoé – où le Président Gbagbo est arrivé largement en tête.
Afrik.com : N’aurait-il pas été plus équitable que le Conseil constitutionnel, qui devait juger du contentieux, réorganise les élections pour l’évacuer ? D’autant que les contestations du camp Gbagbo concernent le Nord qui n’est pas son fief naturel. Alassane Ouattara avait largement remporté le scrutin dans ces régions lors du premier tour de la présidentielle.
Alain Toussaint : Le Président Gbagbo ne conteste pas les résultats de l’élection puisqu’il a été déclaré, lui, vainqueur selon la loi ivoirienne. Le Conseil constitutionnel a proclamé Laurent Gbagbo Président de la République de Côte d’Ivoire et M. Alassane Ouattara comme celui qui a perdu les élections. Le Conseil constitutionnel a jugé recevable les recours en annulation introduits par le Président Laurent Gbagbo […] Dans plusieurs régions du Nord du pays, où les élections ne se sont pas déroulées dans des conditions de transparence et de sécurité ; et lorsque le vote a pu avoir lieu, les PV dans la plupart des circonscriptions ont été trafiqués par les partisans de M. Ouattara. C’est tout cela qui a motivé la décision du Conseil constitutionnel qui a agi en toute responsabilité. Le Conseil constitutionnel n’a fait qu’appliquer la Constitution. Il y a des recours en annulation. Les recours sont jugés recevables, et par conséquent le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs de l’élection présidentielle après avoir étudié et examiné ces recours-là. Il ne s’agit nullement de fiefs de Ouattara dans le Nord ni de fiefs de Gbagbo dans le Sud, il s’agit d’une élection nationale et le président de la République a obtenu des voix partout sur le territoire, et notamment dans le Nord du pays. M. Ouattara y a inversé les résultats en organisant des fraudes massives et en empêchant les électeurs de voter lorsqu’il sentait que ceux-là étaient proches de Gbagbo.
Afrik.com : Vous parlez du Conseil constitutionnel qui a appliqué les lois ivoiriennes. Mais à Pretoria, en 2005, les parties prenantes du conflit ivoirien se sont engagées à respecter la certification du processus électoral par les Nations unies. Autonomes, les chiffres de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire, correspondent à ceux communiqués par la CEI. Le Conseil constitutionnel peut être juge du contentieux mais ce n’est pas à lui de valider les résultats puisque cet aspect des choses à été confié aux Nations unies, du moins selon l’accord de Pretoria…
Alain Toussaint : Ce n’est pas l’accord de Pretoria qui le dit. Aucun accord ne dit que les Nations unies doivent certifier les résultats des élections. C’est dit dans l’Accord politique de Ouagadougou, qui a été signé en mars 2007, que les Nations unies certifient les résultats définitifs proclamés par le Conseil constitutionnel et les résultats définitifs sont ceux annoncés par le Conseil constitutionnel. Les résultats annoncés par la CEI ne sont que des résultats provisoires. Le Conseil constitutionnel était le seul habilité à proclamer des résultats définitifs. L’ONU et son représentant n’avaient pas le droit de faire croire au monde que les résultats annoncés par M. Bakayoko étaient les résultats définitifs puisque dès le dimanche soir, compte tenu d’un certain nombre d’irrégularités et des violences qui se sont déroulées dans le Nord du pays, le candidat Gbagbo avait introduit plusieurs recours devant le Conseil constitutionnel.
Afrik.com : Les Nations unies ne certifient pas des résultats définitifs par mimétisme. Il faut que ceux publiés par les autorités compétentes concordent avec les siens…
Alain Toussaint : Ces résultats correspondent puisque M. Ouattara a fraudé, a manipulé les votes et a trafiqué les bulletins de vote dans plusieurs départements, notamment dans le Nord du pays.
Afrik.com : La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui a menacé de faire usage de la force pour obliger Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir, concentre actuellement ses efforts sur le terrain diplomatique. Que pensez-vous de sa position actuelle ?
Alain Toussaint : Dans cette crise post-électorale, quelle que soit la position négociée, il n’y aura pas de vaincu. Le problème, c’est qu’on a voulu avec la mission des chefs d’Etat imposer une solution, à savoir le départ du Président Gbagbo. Si on maintient cette approche, on échouera forcément. L’Onu, la France et les Etats-Unis ont échoué en Côte d’Ivoire. L’opération qu’ils ont tenté, en voulant installer M. Ouattara au pouvoir, a été à la fois un fiasco politique et diplomatique. Aujourd’hui, on ne peut venir avec une solution dictée par la France et les Etats-Unis. Bien au contraire, il faut renouer avec le dialogue. C’est ce que la Cedeao a décidé de faire, c’est ce qu’elle doit continuer de faire. Le recours à la force, une intervention militaire n’est pas réaliste. La Cedeao l’a compris et il faut saluer son sens des responsabilités.
Afrik.com : A quoi aboutirait le dialogue ?
Alain Toussaint : Nous attendons de ce dialogue, qui doit très rapidement se nouer, que ce ceux qui se sont confinés inutilement à l’hôtel du Golf le quittent et retournent chez eux. M. Ouattara habite à 15 ou 20 m de l’hôtel. Il faut mettre fin à ce confinement médiatique qui va permettre à nos frères et amis, qui sont là-bas, de retrouver leur dignité. Maintenant, ce qu’on propose au cours d’un dialogue, c’est pendant les négociations que les différentes parties se mettront d’accord. Aucun sacrifice ne peut être trop grand pour préserver la paix en Côte d’Ivoire. M. Ouattara doit le comprendre et c’est ce que nous lui disons depuis plusieurs semaines. Il faut discuter calmement parce que M. Ouattara a été à la base de tous les conflits politiques en Côte d’Ivoire. Il est le plus grand commun diviseur de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, le vrai pouvoir en Côte d’Ivoire est à Abidjan et c’est celui que Gbagbo a. Le pouvoir n’est pas dans des représentations diplomatiques. Le Président Gbagbo ne quittera pas le pouvoir. Il a été élu pour cinq ans. C’est en 2015 qu’il le quittera. C’est un combat qui va au-delà de la simple crise post-électorale parce que les Occidentaux veulent faire main basse sur la Côte d’Ivoire. La France et les Etats-Unis veulent faire main basse sur nos richesses. C’est une guerre du pétrole, du cacao, du café…C’est une guerre économique à relent de recolonisation.
Afrik.com : Comment envisagez-vous l’issue de cette crise en Côte d’Ivoire qui se retrouve avec deux Présidents ? Vous allez céder ?
Alain Toussaint : Les parties en conflit se mettront autour d’une table en dehors de la communauté internationale, c’est à dire en dehors de la France et des Etats-Unis qui sont en réalité les deux puissances qui exacerbent les tensions en Côte d’Ivoire…
Afrik.com : Laurent Gbagbo parle de « complot franco-américain »…
Alain Toussaint : Il a raison. On sait que la France soutient Ouattara et Soro, et on sait que les Etats-Unis poussent Ouattara également. C’est un complot que nous avons découvert et dénoncé. Nous le combattons et nous le combattrons. Les Etats-Unis, la France et l’Union européenne n’ont aucun respect pour les pouvoirs africains. La crise actuelle est un signal fort qui est envoyé aux autres dirigeants africains. Quelles que soient nos lois, ces grandes puissances estiment qu’elles peuvent faire ce qu’elles souhaitent sur le continent africain. Aujourd’hui, il faut que M. Ouattara et le Président Gbagbo renouent le fil du dialogue parce que ce sont eux les principaux concernés. Le Président de la République va pouvoir discuter avec le candidat malheureux à l’élection, M. Alassane Ouattara…
Afrik.com : Selon la CEI, le Président Ouattara a été élu par les Ivoiriens…
Alain Toussaint : M. Ouattara est un candidat vaincu à l’élection présidentielle que les Occidentaux veulent imposer coûte que coûte. […] S’il y a un conflit en Côte d’Ivoire, les déflagrations de ce conflit toucheront tous les pays de la sous-région. La responsabilité de la Cedeao, ce n’est pas de brandir une épée contre le Président Gbagbo, c’est d’envisager les voies et moyens pour sortir de cette crise post-électorale. La Côte d’Ivoire n’a déclaré la guerre à personne. Le dialogue est la seule voie de sortie de cette crise. Nous voulons la paix, revenir à la stabilité de la Côte d’Ivoire. Dans l’histoire, ce n’est pas Gbagbo le rebelle, mais Ouattara.
Afrik.com : Selon vous, c’est « Ouattara le rebelle »…
Alain Toussaint : Ce n’est pas selon moi. C’est la réalité des faits…
Afrik.com : Quelles sont vos preuves ? Laurent Gbagbo ne les a pas fournies non plus lors du débat précédent le second tour.
Alain Toussaint : Ce débat-là est clos. Tout le monde sait que Ouattara est le chef de la rébellion. Les preuves surabondent, elles sont connues. Au nom de la paix, nous avons fait le choix de les ranger en pensant que M. Ouattara se comporterait en homme politique responsable. En réalité, l’élection était pour lui un prétexte. M. Ouattara veut être Président coûte que coûte. Quel que soit le candidat que M. Ouattara aurait eu en face de lui, on aurait eu une situation identique parce que ses parrains, la France et les Etats-Unis et toutes les confréries maçonniques, veulent l’installer au pouvoir.
Afrik.com : En dehors de la France et des Etats-Unis, d’autres pays condamnent ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Pour une fois, la communauté internationale semble unanime, y compris les pays africains…
Alain Toussaint : Je parcours le monde. Ce que vous appelez la communauté internationale, je ne l’ai jamais rencontrée. C’est une dame invisible, à la limite une prostituée parce qu’elle se met avec les gens au gré des intérêts du moment. La communauté internationale est une prostituée et les proxénètes sont la France et les Etats-Unis.
Afrik.com : Vous dites que Laurent Gbagbo veut la paix, mais des exactions sont commises en Côte d’Ivoire, des atteintes aux droits de l’Homme. Jeudi 16 décembre, les Forces de l’ordre ont tiré sur des civils. Il paraît que dans les quartiers dit pro-Ouattara, elles viennent chercher des gens. Certains sont tués et les corps disparaissent dans la foulée. Que dites-vous de toutes ces atteintes aux droits de l’Homme ?
Alain Toussaint : M. Ouattara est celui qui a introduit la violence en Côte d’Ivoire. En 1999, il a fait un coup d’Etat contré Bédié. En 2000, il a tenté de faire assassiner le Général Gueï…
Afrik.com : Ce sont des accusations pour lesquelles vous n’apportez pas de preuves …
Alain Toussaint : M. Ouattara a amené la rébellion avec son lot de violences. Vous parlez des manifestations du jeudi. C’est vrai qu’il y a eu des victimes civiles. Mais des éléments des forces de l’ordre ont été également tués. Va-t-on manifester avec des fusils d’assaut ? Une enquête a été ouverte par le gouvernent du Président Gbagbo et c’est à la justice d’établir les responsabilités des uns et des autres. Pour en revenir aux violences en Côte d’Ivoire, aux atteintes aux droits de l’Homme : depuis 2002, par la faute de sa rébellion, des dizaines de milliers de familles ivoiriennes ont été endeuillées, des femmes ont été violées, des enfants ont été égorgés sans que cela n’émeuve le monde entier. Il faudra une justice pour tout le monde. Ces familles attendent aussi que justice soit faite. Il ne faut pas une justice à deux vitesses : les partisans de Ouattara n’ont pas plus droit à la justice que les autres citoyens ivoiriens. […] Les premiers responsables des tueries de jeudi sont les responsables de l’opposition.
Afrik.com : Pour vous, il n’est pas question de défaite de Laurent Gbagbo à la présidentielle. Néanmoins, d’aucuns pourraient trouver normal qu’il ait perdu ces élections, quand on entend tant d’Ivoiriens se plaindre de leur situation économique, qui s’est dégradée en une décennie, et des gaspillages dont seraient à l’origine les « Refondateurs » (les proches du régime Gbagbo)… Ce mauvais bilan ne pouvait-il pas conduire à un vote sanction ?
Alain Toussaint : Laurent Gbagbo n’a pas perdu. Aujourd’hui, la majorité des Ivoiriens a voté pour lui. Pour ce qui du bilan, ce n’est pas l’heure puisque Laurent Gbagbo a été élu en octobre 2000 et en septembre 2002, et que M. Ouattara est venu avec une rébellion. De 2002 à 2010, on a eu des gouvernements dans lesquels on trouvait notamment les rebelles de M. Ouattara. C’est un chef de guerre qui a amené la guerre en Côte d’Ivoire et, avec ses alliés, ils sont de nouveau prêts à nous imposer une guerre. Les Ivoiriens résisteront à la nouvelle guerre de Ouattara.