Les événements de ce jeudi démontrent que les Ivoiriens ont eu à choisir le 28 novembre dernier, lors du second tour de la présidentielle, entre la peste et le choléra, maux pernicieux qui ont déjà eu raison d’au moins quatre jeunes Ivoiriens.
Les Ivoiriens sont, depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance ivoirienne, en 1993, les instruments de politiciens pour qui la vie de quelques uns n’est rien devant leur conquête obsessionnelle du pouvoir. Entre Alassane Ouattara, que la Commission électorale indépendante a fait vainqueur, et Laurent Gbagbo que le Conseil constitutionnel a déclaré victorieux, les Ivoiriens se retrouvent entre le marteau et l’enclume, à la fois combatifs et figés par la peur de devoir réembarquer de nouveau dans cette galère de 10 ans dont ils avaient espéré redescendre enfin. Guillaume Soro, Premier ministre d’Alassane Ouattara et secrétaire général de l’ex-rébellion des Forces nouvelles, quand il annonçait lundi la prise de la télévision publique, la RTI, pour ce jeudi et celle de la primature le lendemain, n’a demandé le renfort de personne. Son discours a changé depuis. Guillaume Soro a appelé ce jeudi la population à « la mobilisation », réitérant l’appel fait mardi par le Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP), l’alliance qui a porté Ouattara au pouvoir. Elle demandait aux populations ivoiriennes « d’accompagner » Guillaume Soro dans sa démarche. A-t-on besoin d’une escorte de civils quand on est patron d’ex-rebelles ? Ces derniers ont d’ailleurs échangé des tirs ce matin avec des forces pro-Gbagbo aux abords du QG d’Alassane Ouattara, sis au Golf Hôtel, à la Riviera, un quartier de la capitale Abidjan.
Ainsi le RHDP a mis à la disposition des Forces de défense et de sécurité (FDS) ivoiriennes, semble-t-il encore fidèles à Laurent Gbagbo, de la chair à canon. « Ces marches, à relent d’action de force, donc de troubles graves à l’ordre public, n’ont pour unique finalité que d’opposer d’innocentes populations aux forces régulières de maintien de l’ordre public et espérer obliger les Forces de défense et de sécurité à un affrontement avec des Ivoiriens », a estimé le porte-parole de l’armée, le colonel Babri Gohourou, dans un communiqué lu mercredi sur les antennes de la télévision publique. L’officier lancera également un appel « aux braves Ivoiriens et Ivoiriennes » afin qu’elles s’abstiennent de « s’associer à ces entreprises périlleuses ».
Toutes choses égales par ailleurs, elles le sont à bien des égards comme le constate plusieurs organisations de la société civile. « Craignant une escalade de la violence à l’occasion des marches prévues les jeudi 16 et vendredi 17 décembre 2010 », plusieurs ONG ivoiriennes, africaines, panafricaines et internationales ont invité ce jeudi, dans un communiqué, les responsables politiques ivoiriens à prendre leurs responsabilités. Le document exhorte ainsi « les responsables politiques des deux partis à faire preuve de responsabilité dans la gestion de la crise politique et institutionnelle actuelle en prenant toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute escalade de la violence et ainsi garantir la sécurité et l’intégrité physique des populations civiles ivoiriennes ». Nos organisations, poursuit le communiqué, demandent en particulier aux responsables politiques d’appeler leurs partisans à garder leur calme et à éviter tout acte de violence ».
On conçoit que des militaires, des rebelles et des miliciens prennent les armes pour défendre leurs champions. Mais a-t-on besoin, quand on veut présider aux destinées de la Côte d’Ivoire, de tuer ses concitoyens ? A-t-on besoin de sang pour asseoir sa légitimité aussi bien au niveau national que sur le plan international ? A-t-on besoin de voir des adolescents se constituer en proies rêvées des politiciens ?
Quand Ouattara et Gbagbo auront mis la Terre d’Eburnie à feu et à sang, seront-ils alors devenus les heureux Présidents d’un tas d’os et de morts vivants ? Après les mânes des Ivoiriens, la justice internationale viendra leur demander des comptes. « Nous n’avons choisi aucun camp dans cette affaire. Quiconque se rend coupable de cela (des crimes), quel que soit son bord, sera poursuivi », a déclaré ce jeudi le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Luis Moreno-Ocampo sur les antennes de la chaîne française d’information continue, France 24. Maigre consolation pour ceux qui auront péri et pour leurs familles endeuillées. La pluie qui est tombée sur Abidjan aura eu le mérite d’éteindre pour quelque temps les mèches allumées par les politiques. D’autant qu’aucun de ceux qui voulaient prendre la RTI n’y sont encore, pis n’ont même pas encore tenté de prendre la tête d’un quelconque cortège qui y conduirait alors même que les cadavres de
« leurs accompagnateurs » jonchent déjà les rues. Un adage ivoirien dit : « Si tu ne peux pas m’arranger, il ne faut pas me déranger ». En cette funeste date du 16 décembre 2010 en Côte d’Ivoire, il sonne comme une mise en garde.