La France appelle tous ses ressortissants dont la présence n’est pas essentielle à quitter le Mali. Cela fait suite à la nouvelle flambée de violence entre les jihadistes affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et l’armée malienne. Les islamistes ont pris mercredi la ville de Konna, dans la région de Mopti, à 600 km de Bamako, et progressent vers le Sud. Le Conseil de sécurité des Nations unies enjoint les pays africains de déployer la force internationale, la Misma, Mission internationale de soutien au Mali. François Hollande attend, pour sa part, le feu vert de l’ONU pour soutenir son ancienne colonie. Contacté par Afrik.com, André Bourgeot, chercheur au CNRS et spécialiste du Mali, revient sur la réponse de François Hollande à Dioncounda Traoré et explique pourquoi les terroristes n’ont pas intérêt à prendre Bamako. Interview.
Afrik.com : Que pensez-vous de la réponse de François Hollande à l’appel à l’aide du président malien de la transition Dioncounda Traoré
André Bourgeot : C’est une déclaration d’intention visant à rassurer les autorités maliennes. Il n’y a pas d’éléments concrets dans ce discours. Il ne précise pas qui va intervenir ni comment. Est-ce que ce sont les militaires français qui vont intervenir ? Les militaires du Commandement opérationnel spécial (COS) pourraient intervenir, mais c’est braver la Constitution française. Car toute intervention française à l’étranger doit être approuvée à l’Assemblée nationale. Sinon, les forces française pourraient former les troupes de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et de l’Union africaine (UA).
Afrik.com : Si la déclaration d’intention du président français est floue. Celle de l’ONU est-elle plus claire ?
André Bourgeot : Lors d’une réunion d’urgence, l’ONU a donné son feu vert pour le déploiement d’une force internationale, la Misma, Mission internationale de soutien au Mali. Le calendrier précédent planifiait l’intervention militaire soit pour le premier trimestre de 2013 soit pour le mois de septembre de la même année. Or l’Africom, le commandement unifié du Département de la Défense américaine pour l’Afrique, plaide pour une solution politique. On joue un peu au rugby et au ping-pong avec le Mali. La question à se poser c’est : est-ce que le Mali n’est pas définitivement sous tutelle ? L’armée malienne ne peut intervenir toute seule, ses décisions sont prises par la Cedeao ou par l’ONU. Elle n’a pas d’autonomie. Et les jihadistes se sont rendus compte que l’armée malienne était neutralisée, que son action était conditionnée par la communauté internationale.
Afrik.com : Pourquoi les jihadistes n’ont pas intérêt à prendre Bamako ?
André Bourgeot : Non, pas immédiatement. Les jihadistes peuvent conquérir des villes, ce qui est relativement facile. S’ils tentent de prendre Bamako, le front s’élargira et l’armée malienne pourrait bien prendre les islamistes en étau. Ils ont plutôt intérêt à prendre Savaré (à 600 km au Sud-Ouest de Gao au Nord-Mali), où se trouve un aéroport situé à 20-30 km de Mopti, pour déplacer le front vers le Sud. Ce qui serait une démonstration de leur capacité à conquérir une partie du Sud et leur permettrait d’élargir les conditions d’administration du Nord-Mali. Si les islamistes ont pour ambition de conquérir Bamako, c’est une erreur stratégique qui va les affaiblir profondément. Sauf s’ils sont 10 à 15 000 hommes.
Afrik.com : L’hypothèse d’une guerre non conventionnelle sur fond d’attentats terroristes est-elle plausible ?
André Bourgeot : C’est une hypothèse à ne pas écarter. Les jihadistes cherchent l’affrontement avec la France et les puissances occidentales. Le scénario d’attentats terroristes est plausible pour faire la démonstration qu’ils peuvent battre militairement les militaires français. Au quel cas, les islamistes pourraient commettre des attentats à Niamey (Niger) ou même à Bamako, afin de déstabiliser le pays. Ce qui créera une psychose et ouvrira la porte à tous les abus. Ils ont tout intérêt que les gens réagissent de façon spontanée que organisée.
Afrik.com : Est-ce que c’est possible de négocier avec les gens qui exigent l’autonomie de l’Azawad, l’application de la charia dans le septentrion malien et l’installation d’une République islamique du Mali ?
André Bourgeot : Les négociations sont compromises. Le MNLA ne représente plus rien. Si les autorités maliennes négocient avec Ansar Dine pour déplacer la ligne de front, cela ne signifie rien. La question à se poser c’est de savoir si c’est possible de négocier avec des gens qui exigent l’autonomie de l’Azawad et l’application de la chaira (loi islamique). En revanche, les autorités maliennes pourraient œuvrer pour la création d’une commission de négociations qui inclurait toute la société civile et politique du Mali. Pourquoi se contenter de négocier avec Ansar Dine et le MNLA ? Ces islamistes sont des gens barbares qui lapident, amputent, flagellent et interdisent de fumer, d’écouter la musique et de regarder la télévision.