Le 31 août 1994, la France expulsait vingt islamistes algériens soupçonnés de terrorisme. Direction : Ouagadougou. Huit ans après, six d’entre eux sont toujours au Burkina Faso et manifestent pour leur retour en France. Qui sont-il ? Comment vivent-ils ? Quel est leur statut ? Enquête sur les membres du FIS coincés au pays des Hommes intègres.
C’était il y a huit ans, le 31 août 1994. Après l’attentat qui a fait cinq morts à la résidence consulaire de la France à Alger, le ministère de l’Intérieur français, à l’époque dirigé par Charles Pasqua, s’attelle à démanteler les réseaux islamistes. Les membres du Front islamique du salut (FIS) sont particulièrement visés. Une quarantaine d’Algériens sont arrêtés. Après un mois passé en détention à la caserne désaffectée de Folembray, vingt d’entre eux quittent la France sous bonne escorte à bord d’un Boeing 737 spécialement affrété pour leur transport. Direction… Ouagadougou. Suite et fin de l’histoire. Pas de procès. Plus un bruit. Le gouvernement français venait d’inventer un moyen ingénieux de se débarrasser de suspects encombrants : l’aller simple vers le Burkina.
Huit ans plus tard, six des vingt Algériens expédiés au Burkina Faso sont toujours à Ouagadougou. Et ils protestent. Le 1er septembre dernier, ils prévoyaient une manifestation devant l’ambassade de France. Après une amorce de mouvement, ils ont finalement remis l’événement à plus tard. » Il y avait déjà du grabuge à cause de tous les Burkinabé qui demandaient des visas. On n’a pas voulu que ça fasse des ennuis « , témoigne l’un d’eux.
Débarqués en 1994 dans un pays où ils n’avaient jamais mis les pieds, le statut juridique des » islamistes de Folembray » est des plus troubles. Ils réclament toujours un jugement et souhaitent retourner en France. Qui sont-ils ? Comment vivent-ils ? Et quels sont leurs rapports avec les trois Etats – la France, l’Algérie et le Burkina Faso – dont ils pourraient se dire ressortissants ?
Officiellement, je n’existais pas
» Je vivais en France depuis l’âge de 7 ans. J’en avais 24 lorsque l’on m’a expulsé à Ouaga. Je vivais à Sartrouville et j’allais de temps en temps à la mosquée. Je ne faisais partie d’aucune association islamiste. J’avais une carte de résident français en règle, valable jusqu’en 1997. Evidemment, maintenant, elle a expiré « , explique Sofian Naami. Sa situation est un peu particulière : en épousant une Burkinabè il y a deux ans, il a pu obtenir un passeport du pays des Hommes intègres. Et travailler. Il a donc réussi à s’intégrer à ce pays de résidence imprévu.
Mais avant ? » Avant, si, par exemple, j’avais commis un crime ici, officiellement, je n’existais pas. Il n’y a même aucune trace de ma venue dans ce pays. » Comment faisait-il pour vivre ? » Lorsque nous sommes arrivés, on nous a donné une maison par groupe de deux ou trois. Et nous recevions chacun 400 000 francs cfa par mois « .
Nationalité : islamiste
Sofian ne touche plus cette somme et possède maintenant sa propre maison, avec sa femme. Mais la situation de son frère d’exil Ahmed Simozrag, ex-avocat du FIS et très impliqué dans le mouvement islamiste, est autrement plus complexe. Lui n’a toujours pas de papiers burkinabés. Sa carte de résidence française a également expirée, et il est toujours sous le coup d’un arrêté d’expulsion Le discours de l’ambassade d’Algérie est sans équivoque : » Nous n’avons aucun rapport avec ces hommes. Nous ne les connaissons pas. »
» Lorsque je vais à la banque, à la poste, ou lorsque je me fais arrêter pour un contrôle, je dois expliquer que je suis un des » islamistes de Folembray « . Les gens nous connaissent maintenant, mais ça fait toujours des histoires. Et puis je ne peux pas exercer mon métier d’avocat, puisque je n’ai pas la nationalité burkinabè « , explique Ahmed Simograz. Il continue de bénéficier de la prise en charge de 400 000 francs et loge dans une maison qui lui a été attribuée à son arrivée. Qui paye les frais ? Qui a payé lorsque sa femme et ses six enfants sont venus lui rendre visite ? » Je ne sais pas. Peut-être l’Etat français, peut-être le Burkina… »
400 000 francs cfa par mois
Le pacte conclu entre la France et le Burkina pour l’expulsion de ces ressortissants est pour le moins trouble. Renvoyer ces hommes en Algérie à l’époque des faits aurait été les condamner à une mort certaine. Mais pourquoi choisir le Burkina Faso ? L’affaire avait rebondi lorsque, en 1998, Ahmed Zaoui représentant du FIS à l’étranger, avait été expulsé de Suisse pour se retrouver, lui aussi, à Ouagadougou. La presse burkinabé n’avait pas manqué de relayer les critiques. Le Pays considère que le pays est devenu « une poubelle d’islamistes » et L’Indépendant relève l’hypothèse d’un marché juteux entre la France et le Burkina. Le quotidien suggère même de créer un « office d’exploitation des islamistes à privatiser, qui rapportent plus que le coton ».
Deux des six » islamistes de Folembray » se sont mariés, et travaillent. Sofian Naami est employé dans une société d’électroménager et Doumi Hamed tient un petit kiosque de restauration. Les quatre autres sont donc toujours entretenus. A l’ambassade de France à Ouagadougou, on assure que ce n’est pas l’Hexagone qui paye la pension de ces expulsés. Pour les représentations diplomatiques françaises, ce sont des citoyens algériens. Eux militent toujours pour leur retour en France. » Nous avons fait des démarches, sans succès. Quand ce ne sont pas les élections dans l’un des trois pays, c’est l’effet 11 septembre. Côté burkinabé, Salif Diallo (ministre de l’Agriculture, ndlr), l’homme de confiance du président, et Gilbert Diendere, le chef spécial de l’état-major, nous ont reçus quelques fois au début. Maintenant, ils ne s’intéressent plus à nous. Le Burkina, c’est les oubliettes de la France ! « , conclut l’un d’eux.