Delphine Marie, porte-parole du Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR), réagit à l’assassinat d’un employé togolais en Guinée. Elle constate que le statut de travailleur humanitaire est de plus en plus » désacralisé » dans les conflits modernes.
Après l’assassinat, le 17 septembre dernier en Guinée, de l’employé togolais du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) Mensah Kpognon, et l’enlèvement de sa collègue ivoirienne Sapeu Leurence Djeya – heureusement retrouvée le 28 septembre au Liberia -, nous avons voulu comprendre la dégradation qui fait que l’on tue, de plus en plus, les personnes engagées dans les conflits pour protéger les populations civiles. Delphine Marie est, à Genève, l’une des porte-parole du HCR. Elle explique l’état de choc dans lequel se trouvent les travailleurs humanitaires présents dans le monde entier pour le compte de l’institution onusienne. Elle analyse, par ailleurs, le processus qui rend ces travailleurs de plus en plus vulnérables et menacés*.
Afrik.com : Comment expliquez-vous la multiplication des attaques dont le HCR fait l’objet depuis dix ans ?
Delphine Marie : Les humanitaires deviennent des cibles. Nous sommes de plus en plus perçus comme des parties prenantes du conflit, ce qui est dramatiquement faux. Bien souvent, nous sommes rejetés par toutes les parties, alors que nous ne recueillons jamais de gens armés. Nous soignons, nous protégeons, et c’est tout. Mais le rejet de plus en plus violent qui touche les réfugiés nous atteint par ricochet. C’est le cas par exemple en Guinée, où c’est l’hostilité envers les réfugiés qui fait de nous des ennemis involontaires. Au Congo, nous sommes confrontés au même problème le long des fleuves Congo et Oubangui. L’arrivée de réfugiés en provenance de la République démocratique du Congo (R.D.C.) est massive. Il y a peut-être cent mille personnes massées sur les berges, dénuées de tout. Mais si nous les aidons, si nous traversons le fleuve nous risquons gros. Pour certains, le simple fait de nourrir des civils est assimilé à une agression du HCR.
Afrik : N’avez-vous pas également le sentiment d’une dégradation de votre statut » d’intouchables » dans les guerres, au même titre que les Casques bleus ?
D. Marie : Il est certain que l’humanitaire est désacralisé, tout comme la vie humaine en général. Tuer des innocents n’est plus un tabou dans certains cas. Ce qui nous arrive, les populations civiles, que l’on déplace de plus en plus au gré des tactiques, le subissent de plein fouet.
Afrik : Comment réagissent les travailleurs du HCR aux assassinats ?
D. Marie : Tous sont choqués. Une pétition circule parmi les agences pour demander plus de sécurité et nous avons le soutien de Kofi Annan (secrétaire général de l’ONU, ndlr). Nous avons aussi éprouvé le besoin de nous réunir, pour nous recueillir et réfléchir à la suite. Ce matin encore à Genève, Mme Ogata, notre Haut-commissaire, a rappelé la nécessité pour tous les Etats d’assurer, en dernier ressort, la sécurité des personnels humanitaires, et notamment du HCR. De notre côté, nous sommes en train de revoir l’ensemble de nos règles de sécurité. Quels signaux d’alerte devons-nous sélectionner, comment devons-nous les interpréter ?
Afrik : Où en êtes-vous de cette réflexion ?
D. Marie : Nous avons déjà engagé des mesures matérielles : personne ne travaillera plus sans radio à bord des véhicules. Mais au fond, c’est toujours une question d’équilibre entre l’utilité de notre présence et le risque qu’elle implique pour nos employés. Chacun d’entre nous est conscient des risques qu’il prend sur le terrain. Mais à partir du moment où l’on ne peut pas agir, faut-il rester ? Notre protection est avant tout une question de moyens, et c’est en ce sens qu’elle dépend des Etats. Nous ne pouvons quand même pas ne travailler que sous la protection des Casques bleus, d’autant moins qu’il y a des réfugiés dans de nombreux pays où il n’y a pas de contingent.
* Trois autres employés du HCR ont été tués au Timor oriental début septembre.