Les héros ne doivent pas mourir


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Drapeau de l'Algérie
Drapeau de l'Algérie

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a inauguré cet été une stèle à la mémoire des Français qui ont combattu aux côtés des Algériens lors de la guerre de libération. Un geste politique et symbolique fort, passé inaperçu. Alors que le 1er novembre marque en Algérie l’anniversaire du déclenchement de la révolution armée, un ancien appelé revient sur la réhabilitation de ces héros oubliés.

Ils s’appelaient Maurice, Raymonde, Henri ou Lucette. Français d’Algérie, ils ont combattu auprès des Algériens lors de la guerre de libération. Pourtant, peu d’entre eux sont sortis de l’anonymat. En juillet dernier, le président Abdelaziz Bouteflika a inauguré une stèle, située à Alger entre la place des Martyrs et l’entrée de la commune de Bab el Oued, réhabilitant ses « porteurs de valises » oubliés. Un hommage porté à ces hommes et femmes « épris de paix et de liberté, qui ont témoigné avec sacrifice et courage, pour la dignité du peuple français et l’honneur de la France, durant la guerre de libération nationale et qui ont soutenu sans relâche et dans la fidélité à leurs principes, le combat du peuple algérien pour son émancipation ». Alors que l’Algérie commémore le 48ème anniversaire du déclenchement de la révolution armée (le 1er novembre 1954), René Fagnoni, secrétaire-général du Comité de groupe Socpresse-Le Figaro et ancien appelé, revient sur la symbolique de cette stèle qu’il a appelée de ses voeux.

Afrik : Vous avez milité pour que cette stèle existe pourquoi ?

René Fagnoni : Cette stèle réhabilite la mémoire de ces oubliés de l’Histoire, véritables héros et acteurs primordiaux de la Révolution algérienne. Elle leur rend justice et fait écho à la plaque dévoilée par Bertrand Delanoë en octobre 2001 à Paris, sur le pont Saint-Michel, rendant hommage aux manifestants algériens morts le 17 octobre 1961. L’Algérie se devait de rendre hommage aux Justes français qui se sont battus aux côtés des Algériens. Ils n’étaient pas nombreux mais ont fait preuve d’un immense courage. Pour moi, ils représentent l’honneur de la France. Ils ont permis que dans cette guerre abominable l’éclat de la France en tant que terre des libertés, mère des Révolutions et des valeurs du siècle des Lumières ne soit pas totalement terni. Et ils sont des exemples pour notre époque qui manque cruellement de héros.

Afrik : L’inauguration a été très discrète…

René Fagnoni : C’est en effet un geste politique important qui est complètement passé inaperçu. Mais c’est déjà un pas. Les gouvernements français successifs n’ont jamais accepté le caractère héroïque de la démarche de ces Français et les Algériens ont mis très longtemps à le reconnaître. A tel point que le corps de Maurice Laban n’a été rapatrié ni par la France ni par l’Algérie. Cette dernière a donné la priorité à ses propres martyrs, malheureusement très nombreux. 1,5 millions d’Algériens sont morts à l’époque, sur une population de 9 millions de personnes.

Afrik : A quels personnages fait référence cette stèle ?

René Fagnoni : A tous les Français anonymes engagés aux côtés des Algériens. Et en particulier à Maurice Laban, à qui l’historien Jean-Luc Einaudi a consacré un ouvrage *. Natif de Biskra, où ses parents étaient instituteurs, il s’engage d’abord dans les Brigades internationales durant la Guerre d’Espagne. Il en revient avec de graves blessures. Membre du Parti communiste algérien (PCA), il rejoint le maquis aux côtés du FLN et sera tué le 5 juin 1956, en même temps que l’aspirant Maillot. Il a alors 42 ans. Quant à Henri Maillot, militant du PCA de 24 ans, aspirant rappelé dans l’armée française, il déserte en avril 1956 avec un stock d’armes. Il est pris vivant par les militaires et alors qu’on veut lui faire crier « Vive la France », il s’exclame « Vive l’Algérie indépendante ! » avant de tomber sous une rafale. Il faut citer aussi l’infirmière Raymonde Peschard, arrêtée, torturée, violée et massacrée en août 1959, à 25 ans.

Afrik : Mais l’Algérie a déjà donné des noms de Français ayant combattu aux côtés des Algériens à des rues ou des bâtiments…

René Fagnoni : Si vous parlez de l’Hôpital Maillot, il n’a rien à voir avec l’aspirant en question. L’établissement portait ce nom bien avant qu’Henri Maillot ne déserte. En revanche, une rue Maurice-Laban a été inaugurée à Biskra l’année dernière. Mais dans la région de Batna, où est tombée Raymonde Peschard, qui se souvient d’elle ? A l’inverse, on commémore chaque année la mort de Massika Ziza, infirmière du même âge que Raymonde, tuée par un éclat d’obus lors d’un bombardement en petite Kabylie. Plusieurs bâtiments publics portent même son nom.

Afrik : Quelle a été votre expérience de l’Algérie pendant la guerre ?

René Fagnoni : Jeune appelé, j’ai été envoyé, pour briser mes velléités anti-colonialistes, en Algérie de mars 1957 à mai 1959. J’ai été incorporé dès le premier jour dans le 7ème régiment de tirailleurs algériens, stationné dans les Aurès et composé à 80% de musulmans. C’est dans cette région, près de Batna, que j’ai appris à aimer l’Algérie et ses habitants avec lesquels j’ai noué des liens très forts. J’ai vu ce qui se passait sur le terrain mais par bonheur, je n’ai jamais eu à participer à un engagement avec les combattants algériens. C’est pourquoi aujourd’hui, j’ai autant de respect pour ces jeunes hommes et femmes français qui ont eu le courage de mettre en action cette phrase de Jean-Jacques Rousseau : « Quand l’Etat perd la raison, l’insurrection est le plus sacré des devoirs ».

* Un Algérien, Maurice Laban de Jean-Luc Einaudi (Cherche midi éditeur, Paris, 1999).

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