La chaîne de télévision publique française, France 2, diffuse, ce mardi soir, Harkis, un film d’Alain Tasma. Le célèbre comédien français d’origine algérienne, Smaïn, y interprète l’un des rôles-titres. L’œuvre est inspirée d’un roman de Dalila Kerchouche, journaliste et fille de Harki. Afrik.com s’est entretenu avec elle.
Plus de 40 ans après l’arrivée des premiers harkis en France, une fiction s’empare de leur histoire. Ces Algériens, engagés aux côtés des Français durant la guerre d’indépendance (1954-1962), n’avaient pas eu l’air d’inspirer les réalisateurs et producteurs de fiction français. C’est aujourd’hui chose faite avec Harkis, un film d’Alain Tasma, produit par Serge Moati (Image & Compagnie). Il raconte la vie des Benamar, une famille de harkis arrivée en 1974 dans un camp du sud de la France, en pleine forêt. Surveillés par un chef paternaliste et méprisant, ils mènent une vie misérable que Leila, la fille aînée interprétée par Leïla Bekhti, refuse. Pour elle, son père, qu’incarne Smaïn, marqué par l’exil et habitué à courber l’échine, ne doit rien aux Français qui ne les ont pas protégés en Algérie. L’œuvre est inspirée de faits réels qui fournissaient la matière de Mon père, ce harki, le roman de Dalila Kerchouche. Cette dernière, journaliste et fille de harki, est aussi la co-scénariste du téléfilm. Elle répond aux questions d’Afrik.com.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous voulu écrire cette histoire ?
Dalila Kerchouche : Je voulais mettre un coup de projecteur sur l’histoire des harkis qui est taboue et méconnue en France. On en a fait une histoire politique, alors que c’est avant tout un drame humain, un scandale, la souffrance de gens qui ont servi la France et qu’elle a mis dans des camps.
Afrik.com : Comment vous est venue l’idée d’écrire un scénario sur l’histoire des harkis ?
Dalila Kerchouche : J’ai été invitée à l’émission Riposte au sujet de mon roman, Mon père ce harki. Et Serge Moati, qui présente et produit l’émission, a été frappé par cette histoire qu’il ne connaissait pas. Il m’a dit qu’il fallait absolument faire un film dessus. J’ai foncé, j’ai écrit un scénario et France 2 a pris le projet.
Afrik.com : Lorsque vous avez appris que Smaïn, comédien habitué au registre comique, allait interpréter un rôle-titre dans ce film plutôt grave, n’avez vous pas tiqué ?
Dalila Kerchouche : Non. J’ai un grand respect pour lui. C’est une figure à laquelle je suis très attachée. Ce rôle, c’était un défi pour lui, c’était son Ciao Pantin (film où l’humoriste français Coluche s’était illustré dans un rôle dramatique à contre-emploi, ndlr).
Afrik.com : Après ce film, et un deuxième livre sur le sujet, Leïla, avoir 17 ans dans un camp de harkis, qui vient de paraître aux éditions du Seuil, êtes-vous apaisée ?
Dalila Kerchouche : Je le serai seulement quand la France reconnaîtra sa responsabilité dans ce drame. La souffrance des harkis est une plaie béante. C’est une communauté écorchée vive, meurtrie, d’autant plus qu’elle a été niée par la puissance publique. Un premier pas a été fait vers l’apaisement, en instaurant le 25 septembre 2001 une journée nationale d’hommage aux harkis. Le gouvernement français a reconnu le sacrifice des harkis. Mais jusqu’à aujourd’hui aucun gouvernement n’a reconnu l’abandon des harkis après la guerre d’Algérie. 50 000 à 80 000 d’entre eux ont été désarmés et massacrés par les indépendantistes. Aucun gouvernement n’a non plus reconnu qu’ils avaient été parqués dans des camps en France. Il faut que ce soit reconnu.
Afrik.com : Certains Algériens et Français d’origine algérienne pensent que les harkis, s’étant ralliés au colonisateur, n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Que pensez-vous de cette position ?
Dalila Kerchouche : Je trouve ce type de propos haineux. Moi, j’appelle à la réconciliation. Le fait de s’être battu du côté français est un choix honorable. Dans beaucoup de familles algériennes, il y avait un fils harki et un fils FLN (Front de libération nationale, ndlr). Quelquefois, c’était le conseil du village qui décidait de qui s’engageait dans un camp ou dans l’autre. Depuis que j’ai commencé à raconter cette histoire, beaucoup d’Algériens m’ont encouragée à continuer.
Afrik.com : Qu’attendez-vous du film Harkis ?
Dalila Kerchouche : C’est un immense bonheur pour moi que ce film soit diffusé en prime time sur une chaîne nationale. J’attends la même chose que pour Indigènes, le même effet : que le Président de la République soit ému par ce drame, par cette discrimination institutionnalisée et qu’il fasse un geste historique. Ce ne serait que justice. De toute façon, ça arrivera un jour, car dans cette histoire les Droits de l’homme ont été bafoués. Pour vivre en harmonie dans la République, il est nécessaire de reconnaître ce fait.
À suivre également, Amères patries, un documentaire dans lequel s’exprime les harkis et les chefs de camps qui ont inspiré cette fiction, le vendredi 13 octobre, à 14h45, sur France 5.