Les guides spirituelles de l’islam


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Voici quelques années maintenant que le Maroc, l’Egypte, et la Turquie forment une nouvelle catégorie de guides spirituelles féminines. Connues sous le nom de murshidat, elles se font entendre d’une couche de la population qui ne fréquente, voire ne recherche pas, les imams masculins: ce sont les femmes et les enfants, surtout ceux des quartiers pauvres. Que visent les gouvernements par cette initiative? Ils cherchent à démocratiser et à freiner l’extrémisme en parlant aux femmes, qui représentent en principe une voix modérée et modératrice dans la famille, et aux jeunes, dans l’espoir de les gagner le plus tôt possible à une version tolérante, tous publics, de l’islam.

Au Maroc, cette idée des murshidat a démarré après les attentats terroristes de Casablanca en mai 2003, qui firent 45 morts et des dizaines de blessés. A partir de cet événement déclencheur, le gouvernement s’est décidé à réformer les affaires religieuses et la structure de la hiérarchie dans les mosquées.

Ce sont ces trois pays, où la hiérarchie cléricale est soumise à l’autorité d’un ministère ou d’une direction des affaires religieuses, qui nomment désormais des imams femmes. Elles sont toutes munies de diplômes universitaires. Elles maîtrisent l’arabe classique et ont une connaissance approfondie du Coran, des hadith (dits du Prophète Mahomet) et de la jurisprudence islamique.

La décision d’intégrer des femmes dans l’ordre ecclésiastique témoigne d’un tournant radical dans l’organisation du clergé. On y voit une tentative de libéralisation et de modernisation du fait religieux, voire de modernisation et de démocratisation de ces pays en général. Ces gouvernements sont persuadés que les murshidat pourront participer à l’émancipation et à la reconnaissance des droits civils et juridiques des femmes et à leur participation active dans la vie publique.

La formation des guides spirituelles, qui font la catéchèse, conduisent la prière et remplissent les fonctions de l’imam dans la partie de la mosquée réservée aux femmes, constitue un événement fondateur dans les pays concernés et un exemple de première grandeur pour les autres pays de la région.

Les femmes qui recherchent un conseil sont souvent des mères qui s’interrogent sur leurs rapports avec leurs enfants, ou encore des épouses qui désirent savoir comment faire partie d’un couple sans contrevenir aux préceptes du Coran. D’autres jeunes femmes consultent la murshidat lorsqu’elles hésitent à porter le hijab, ou lorsqu’elles veulent savoir comment faire leurs ablutions selon le rite.

De fait, les murshidat travaillent surtout auprès des femmes et des enfants des quartiers pauvres, où les agents recruteurs extrémistes trouvent traditionnellement un terrain fertile. Remplissant les fonctions de conseillères spirituelles et sociales, elles partent du principe qu’une société saine commence d’abord à la maison, ce qui renforce d’autant la cohésion de la communauté et refrène les tendances extrémistes.

Auprès des enseignantes, les murshidat assurent un soutien moral et leurs montrent comment éloigner les jeunes des tentations extrémistes par un dialogue franc et ouvert, en les encourageant à contester les idées extrémistes et à endosser la pleine responsabilité de leurs actes. Elles rappellent les écoles à leur devoir de former les jeunes à une analyse critique des messages véhiculés par les médias et de leur interdire tout accès à des contenus illégaux ou déplacés.

Dans son ensemble, la société marocaine soutient cette mesure. Elle y voit une démarche réelle vers la tolérance et l’égalité des sexes.

En Egypte, hommes et femmes ont réservé un bon accueil à la décision du ministère des affaires religieuses de former des guides spirituelles féminines dans le cadre d’une formation de quatre ans à l’université al-Azhar, la première université islamique du pays. Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, plusieurs gouvernorats ont nommé des murdishat. Cinquante d’entre elles officient déjà dans 90 mosquées du Caire, de Gizeh et d’Alexandrie, surtout dans les quartiers pauvres des cités.

La Turquie, elle aussi, nomme des centaines de guides spirituelles, remettant ainsi en question la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes et faisant résolument le pari du changement social.

Le plus étonnant, c’est que cette entrée des femmes dans le domaine du religieux ne semble pas avoir beaucoup dérangé. En fait, les mouvements politiques islamistes voient d’un bon œil ce nouveau rôle de la femme en religion, car il ne faut pas oublier que l’Egypte comme le Maroc s’enorgueillissent d’une longue tradition de femmes oulémas. En Turquie, ces guides spirituelles féminines sont respectées. Leur travail est considéré comme un aspect essentiel du progrès social.

Par leurs efforts et leur succès, les murshidat peuvent donc contribuer à la défense des droits de la femme, à une société équilibrée et tolérante et à l’avenir de la démocratie.

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* Moha Ennaji est écrivain, consultant international, Professeur de linguistique à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah et Président du Centre Sud Nord pour le dialogue interculturel à Fez. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).

Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 12 janvier 2010, www.commongroundnews.org
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