Les Frères musulmans, par la voix d’un de leurs hauts responsables, ont déclaré mercredi qu’ils ne veulent pas participer au pouvoir « pour le moment ». Pour la première fois depuis cinquante ans, ils avaient rétabli le dialogue avec le gouvernement pour trouver une issue à la révolte sociale. Interdite mais tolérée, la confrérie, qui constitue la plus grande force d’opposition au régime, apporte un soutien quotidien aux plus pauvres. Diabolisée dans les pays occidentaux pour son projet de faire de l’Egypte une république islamique, elle tente avec les troubles qui secouent le pays de pratiquer l’ouverture.
« Nous ne recherchons pas le pouvoir pour le moment », a déclaré mercredi Mohamed Moursi, un haut responsable des Frères musulmans. Ces derniers avaient été conviés, dimanche, par le vice-président Omar Souleimane, au siège du Conseil des ministres avec d’autres représentants de l’opposition pour trouver des solutions aux troubles qui secouent le pays depuis maintenant trois semaines. Mais à l’issue de la réunion, la confrérie a estimé insuffisantes les propositions faites par le gouvernement. Les Frères musulmans, qui étaient au départ très sceptique face au mouvement de contestation contre le régime du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 30 ans, se sont peu à peu joints aux manifestants.
Aujourd’hui, l’organisation compterait 20 millions de membres. Principal mouvement d’opposition à Hosni Moubarak, interdit mais toléré, il a étendu son influence dans le monde arabe et joue un rôle très important au sein de la société. En effet, les Frères musulmans pallient aux carences de l’Etat dans les domaines éducatif, social et sanitaire, en apportant leur soutien aux plus pauvres. Ils gèrent des hôpitaux, des dispensaires, des centres de rééducation, des organisations charitables, des écoles, des banques. D’autant que sur 80 millions habitants, 40% de la population égyptienne vit avec moins de 2 dollars par jour. La confrérie, qui a évolué ces dernières années, n’est pas composée que d’islamistes. Toutes les catégories socioprofessionnelles y sont représentées. On peut même y trouver des personnes hautement qualifiés, tels que des médecins, ingénieurs, juristes, pharmaciens, professeurs…
Fondée en 1928 par Hassan el-Banna, la confrérie est la plus ancienne et la plus puissante d’Egypte. Elle milite pour l’instauration d’une république islamique appliquant la charia ou « loi de Dieu ». Pour Les Frères musulmans, cette doctrine est la solution aux problèmes politiques que connaissent les musulmans. Leur devise reste d’ailleurs : « l’islam est la solution, Dieu est notre but, le prophète notre chef, le Coran notre constitution, le djihad notre voie, le martyr notre plus grande espérance». Très influente dans le monde arabe, elle a donné naissance au Djihad (guerre sainte) moderne et enrichi le Salafisme, venu d’Arabie Saoudite, qui désigne le retour à un islam des origines.
Pour s’emparer du pouvoir, les Frères musulmans tenteront d’assassiner le président égyptien Nasser en 1954. Ce dernier durcit alors la répression envers eux, en interdisant l’existence de leur confrérie et en emprisonnant des milliers d’entre eux. Mais de nouveaux membres s’élèvent contre ces mesures et appellent à une violente révolution pour retrouver un islam radical. Ce qui vaudra à l’organisation, qui attire les foules, d’être surveillée de près par le pouvoir d’Anouar El-Sadate qui succède à Nasser en 1970. Ce dernier se rapproche d’eux, afin de lutter contre l’expansion communiste. Mais il est assassiné en 1981 par un activiste extrémiste proche des Frères, pour avoir signé des accords de paix avec Israël.
La bête noire du régime
Bien que puissante, la confrérie abrite plusieurs courants divergeants. Les élèves de Sayyid Qutb, théoricien égyptien et membre des Frères musulmans pendu en 1966 sous le régime de Nasser, prônent une théocratie intégrale. Les salafiste, eux, défendent la restauration de la communauté musulmane des origines de l’islam et une interprétation rigoriste des textes. Alors que les islamo-démocrates, la troisième composante aujourd’hui minoritaire, s’efforcent de concilier démocratie et charia.
Sous la présidence de Hosni Moubarak, qui prend le pouvoir à la mort d’Anouar el Sadate, de nombreux jeunes égyptiens rejoignent le mouvement. Pour réduire son influence, le régime mène une politique de répression contre le parti. Des arrestations de masse sont opérées à son encontre en 1992, une année noire pour le pays qui est durement frappé par une multitude d’attentats. Mais cette mesure ne fait que renforcer le mouvement, qui en 1997 renonce à la violence. Il s’organise et appelle à un système plus démocratique.
Les Frères Musulmans ont notamment joué un rôle majeur au début de l’année 2006, lors des manifestations parfois violentes dans le monde musulman qui ont suivi la publication en septembre 2005 des caricatures du prophète Mahomet par le journal danois, Jyllands-Posten. Lors des élections législatives en novembre 2010, l’organisation s’est retirée de la course, dénonçant des fraudes massives au premier tour.
La menace que la confrérie représentait pour Hosni Moubarak a, en partie, légitimé le pouvoir de ce dernier aux yeux de l’Europe et des Etats-Unis. Pointant du doigt notamment la relation étroite qu’entretiennent les Frères musulmans avec le Hamas palestinien considéré comme une organisation terroriste par les Américains et les Européens. Les Frères restent le principal pourvoyeur de fonds et d’armes via les tunnels creusés sous la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza. Depuis 1979, l’Egypte est le deuxième pays au monde derrière Israël à bénéficier de l’aide des Etats-Unis, selon un document publié le mois dernier par le Service de recherche du Congrès américain.
Suscitant la méfiance de l’Occident, qui craint qu’ils soient à la tête du pays après l’ère Moubarak, les Frères musulmans tentent aujourd’hui de donner une nouvelle image d’eux-mêmes. Ils ont condamné les attaques en début d’année contre les Eglises Coptes en Egypte et affirmé ne pas vouloir instaurer la charia contre la volonté de certains Egyptiens. De même, ces derniers jours lors des mouvements de contestation contre le régime, ils ont manifesté auprès des opposants laïques, de gauche, et des adeptes des réseaux sociaux sur internet. Ils ont en grande partie contribué à l’organisation et la structuration de la mobilisation, en apportant un soutien logistique indispensable aux manifestants. Des médecins, de la nourriture, des couvertures ont été mis à leur disposition. Le mouvement serait t-il donc en pleine mutation? Même si la confrérie provoque toujours la hantise du pouvoir, elle semble devenue un acteur incontournable de la « révolution égyptienne».