Le chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy, qui a reconnu la victoire d’Alassane Ouattara après la proclamation des résultats par la Commission électorale indépendante le 2 décembre, a haussé le ton la semaine dernière en exigeant de Laurent Gbagbo, le président désigné par le Conseil constitutionnel, qu’il quitte le pouvoir dimanche sous peine de sanctions. De son côté, Laurent Gbagbo a réclamé que les troupes françaises s’en aillent cette semaine. Entre le marteau et l’enclume, les Français de Côte d’Ivoire observent le déroulement de la crise avec inquiétude.
« En dehors de la nationalité que j’ai, toute ma vie est ici. Cela fait 20 ans que je vis et paye mes impôts ici », déclare Stéphane Capraruolo, un Français d’origine italienne de 42 ans. « Je suis bien ici et je me demande bien ce que j’irais faire en France », ajoute-t-il, lorsqu’on lui demande s’il a déjà envisagé de s’en aller. Attentif au déroulement de la crise ivoirienne, il vaque à ses occupations normalement, espérant que les choses rentrent dans l’ordre au plus vite. « On est impatient que la situation se normalise. Je travaille dans la sécurité. Depuis plusieurs années, je vis en Côte d’Ivoire, à Biétry, je m’y sens bien. Et dernièrement, malgré la situation, je partais au boulot sans avoir à essuyer des comportements anti-français. » Des rumeurs ont circulé dans la communauté des quelque 15 000 ressortissants français vivant en Côte d’Ivoire, faisant état de comportements hostiles. Des faits non avérés, sans doute inspirés par les souvenirs douloureux de 2004, quand plusieurs français avaient été agressés par des Ivoiriens. « J’ai entendu dire qu’il y avait des Français qui avaient été brutalisés du fait de l’ingérence de la France dans la politique ivoirienne, mais je n’en ai jamais été victime ni témoin », confie Sylvain Bestel, restaurateur bordelais de 44 ans. En Côte d’Ivoire depuis juillet, il a acheté des véhicules de transport et une ferme. Des investissements sur le long terme auxquels il n’entend pas renoncer. « Je resterai en Côte d’Ivoire jusqu’à ma mort ! », assure-t-il.
D’autres Français sont plus inquiets. « Ce que je crains le plus, c’est une montée de la violence, même s’il n’y a pas ce sentiment d’insécurité vécu en 2004. C’est difficile de dire ce qui va se passer », confie Joëlle, qui vit dans la capitale avec sa famille, à la radio RMC. Yvonne, qui ne sort pas de chez elle comme l’a recommandé le consulat français, se demande, inquiète, ce que lui réserve l’avenir. « On a des réserves de nourriture pour tenir plusieurs jours(…). On ne peut pas tenir longtemps comme ça. Le temps passe et les positions se raidissent, rien ne se décante, c’est stressant pour tout le monde », explique-t-elle.
Nous avons des relations de bœuf à pique-bœuf avec la France
En effet, le climat politique est tendu. Hier, la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, appelait Laurent Gbagbo à « retenir » ses troupes et déclarait que les quelque 900 soldats français de la Force Licorne étaient autorisés à riposter en cas d’agression, au nom du « droit de légitime défense ». Mais le gouvernement Gbagbo, qui a réclamé le départ des militaires français la semaine dernière, n’a pas appelé ses troupes à les attaquer. Et s’agissant des ressortissants français, il s’est voulu rassurant. Ainsi, Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes et ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et la Salubrité publique, lors d’une tournée samedi et dimanche dans des quartiers poplulaires de la capitale dont l’objectif était de mobiliser sa base militante suite aux menaces de Nicolas Sarkozy, a déclaré qu’il faisait une distinction claire entre les Français de Côte d’Ivoire et leur président. « Nous vivons ici. Sarkozy est à Paris. Que la Côte d’Ivoire s’embrase, il s’en fout ! », s’est-il exclamé. « Les patriotes de Côte d’Ivoire n’ont pas pour intention de s’attaquer aux Français de Côte d’Ivoire, d’aller saccager les installations françaises », a-t-il déclaré, expliquant même qu’il était prêt à les protéger.
Nombre d’entreprises françaises emploient des Ivoiriens. Et ces derniers craignent que leur départ ne les contraigne au chômage. Attablé dans un restaurant d’Abidjan à côté de son ami bordelais Sylvain Bestel qui déguste une coupe de glace avec deux belles Ivoiriennes, Nda Scotty raconte qu’il est au chômage depuis 2004, quand les responsables de Cetea, une structure française de gérance du casino de l’hôtel Ivoire où il était commercial, sont retournés dans l’Hexagone pour raison de sécurité. Pour Martial Boda, maître d’hôtel de 27 ans, les Ivoiriens ne pourront pas s’en sortir sans les ressortissants français : « Sans les Français, nous ne pouvons pas vivre. L’Etat ivoirien n’emploie pas tout le monde. Avec les entreprises françaises, qui payent bien et mieux que les Libanais, on gagne forcément. On ne fera pas de mal à aucun français. » Pour M. Boda, les destins des Français et des Ivoiriens sont inextricablement liés. « En 2004, j’ai beaucoup d’amis qui ont perdu leur boulot quand les Français sont rentrés, et ils sont pour certains encore au chômage. Nous avons donc des relations de bœuf à pique-bœuf avec la France. Autant nous avons besoin des Français, autant la France a besoin de nous », analyse-t-il, songeur.