Les féministes d’Algérie ne lâchent pas


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Drapeau de l'Algérie
Drapeau de l'Algérie

Certains pensent que les Algériens ont subi passivement, en victimes, les conséquences des problèmes politiques de leur pays. Ceux-là feraient bien de s’intéresser au mouvement des femmes algériennes pour un changement de mentalité. Il y a 25 ans, s’est engagée une relation singulière entre l’Algérie et une organisation bénévole, Femmes sous lois musulmanes (WLUML), qui aujourd’hui encore sait se fait entendre.

Par Samia Allalou

En 1984, les femmes d’Algérie assistaient, stupéfaites, à l’adoption par le gouvernement d’une loi qui consacrait leur statut de “mineures”, en totale contradiction avec l’article 29 de la Constitution algérienne, selon lequel “les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale”.

En 1984, les féministes algériennes ont immédiatement réagi. Des manifestations contre la loi se sont succédées, et trois femmes furent mises en détention sans la moindre enquête ni procès. C’est pour protester contre cet abus que des femmes d’Algérie, du Maroc, du Soudan, d’Iran, de Maurice, de Tanzanie, du Bengladesh et du Pakistan ont fondé WLUML afin de soutenir le combat de ces femmes en Algérie et ailleurs.

“Les trois Algériennes furent relâchées dans le mois, avec les télégrammes qui se succédaient en provenance de cabinets présidentiels de partout dans le monde”, rappelle Marieme Helie Lucas, sociologue algérienne membre de Femmes sous lois musulmanes [[Femmes Sous Lois Musulmanes procure une assistance aux femmes dont l’existence est régie par les lois ou coutumes censément “islamiques”. S’opposant à l’exploitation de la religion à des fins politiques, cette organisation œuvre à la prise de conscience des violations des droits des femmes commises au nom de l’islam]]. Pendant plus de deux décennies, les femmes manifesteront contre la ratification de cette loi.

Pendant la guerre civile des années 90, qui a opposé le Front Islamique du Salut (FIS), parti politique décrété hors la loi, au gouvernement algérien, WLUML n’a cessé de jouer un rôle politique important. Malgré ces circonstance difficiles, les femmes n’ont cessé de se battre pour rétablir leur pleine et égale citoyenneté au moment même où, conséquence de la guerre, elles avaient à subir une violence qui, elle, ne faisait pas de différences.

A ces Algériennes, WLUML a offert une tribune pour qu’elles fassent entendre leurs réclamations, en les invitant à participer à des conférences internationales, y compris la Conférence mondiale sur les Femmes des Nations Unies de Pékin, en 1995. Elles ont pu y dénoncer publiquement les crimes commis contre des femmes par le FIS et par d’autres groupes armés algériens.

Femmes sous lois musulmanes a continué d’oeuvrer au nom des femmes d’Algérie, même lors que le niveau de violence baissait peu à peu et que l’attention internationale se portait ailleurs.

En janvier 1999, le gouvernement algérien présenta à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes son rapport officiel à ce sujet. En réponse, WLUML et l’International Women’s Human Rights Law Clinic de l’Université de New York ont rédigé en commun un rapport officieux qui mettait l’accent sur “la menace que représente la montée actuelle [en Algérie] d’un fondamentalisme religieux politisé et violent qui a pour dessein d’imposer sa vision particulière de l’islam, par la théocratisation de l’Etat et/ou par la violence et la terreur”.

En 2001, dans la petite ville algérienne d’Hassi Messaoud, des ouvrières furent sauvagement agressées par une troupe de 300 hommes, entraînés par un imam extrémiste de la mosquée locale. Des réseaux internationaux furent incités par WLUML à écrire au gouvernement algérien pour protester. Aux côtés de plusieurs associations de défense des droits de l’homme et de la femme, ces protestataires réclamaient un procès en bonne et due forme contre les prévenus. Plusieurs des auteurs de ces violences furent confondus et déclarés coupables en 2004, et le tribunal a reconnu aux femmes qui avaient été agressées le statut de victimes.

Plus récemment, Cherifa Kheddar, la présidente de Djazairouna, association des familles victimes du terrorisme, a dû faire face à une menace abusive de révocation, et à un harcèlement incessant de la part des autorités algériennes. En dévoilant à l’opinion publique la politique de réconciliation du gouvernement (Loi sur la concorde civile) du gouvernement avec des groupes armés islamiques, parmi lesquels l’Armée islamique du salut (AIS), le Groupe islamique armé (GIA), le Front islamique de défense armée (FIDA), elle parlait haut et fort de crimes commis mais amnistiés sans procès.

Finalement, le gouvernement suspendit Mme Kheddar de ses fonctions, sans toutefois jamais la révoquer formellement. Présentée comme candidate par WLUML, Cherifa Kheddar reçut, le 8 décembre 2008, le Prix international des Droits de l’Homme décerné par l’International Service Human Rights Awards.

Actuellement, les projecteurs internationaux ne sont plus braqués sur l’Algérie, mais Femmes sous lois musulmanes reste vigilante sur les discriminations contre les femmes d’Algérie. Ce soutien sans faille d’un réseau international comme WLUML assure aux mouvements de femmes du pays la puissance nécessaire pour affronter des pressions de toutes sortes et pour continuer de progresser sur une voie difficile : faire admettre sans restrictions les droits des femmes en Algérie et ailleurs.

* Samia Allalou, qui vit à Paris, est une journaliste algérienne, présentatrice de télévision et réalisatrice de documentaires. Depuis 2007, elle fait partie du bureau de Femmes sous lois musulmanes. Cet article fait partie d’une série, écrite pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews), sur les femmes musulmanes et leurs droits religieux.

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