Safietou Ba est la déléguée des femmes expulsées de Cachan qui ont trouvé refuge dans le gymnase de la ville. La Sénégalaise s’est découverte militante à la faveur du combat que mène, au quotidien, ses compagnons de galère pour accéder à un logement et à une vie décente en France.
Aucune d’elles ne vous parlera vraiment, si vous ne vous adressez pas d’abord à Safietou Ba, qui n’est autre que la déléguée des femmes expulsées de Cachan. Le 17 août dernier, la police est venue les déloger manu militari du bâtiment F, autrefois propriété du Crous (œuvres universitaires) de Cachan. Toujours par monts et par vaux, son sourire serein détonne avec le drame qui se joue dans ce gymnase où une odeur nauséabonde vous prend à la gorge. Le responsable : un caniveau malodorant. Comme cette odeur, le malaise est patent, mais la vie continue tant bien que mal.
« Il y avait quelques années déjà que j’étais installée en France. Et à l’instar de nombreux immigrés, je rencontrais beaucoup de difficultés pour trouver un logement. Mais je n’avais jamais imaginé que j’atterrirais dans un squat. Comme quoi, nul n’est à l’abri de ce genre d’accident», explique Safietou Ba, la cinquantaine triomphante, quand on lui demande comment elle s’est retrouvée dans cette situation. Nous sommes en 2004 quand elle débarque dans le plus grand squat de France, elle revient alors de ses vacances au Sénégal, après un long séjour passé en France à la recherche d’une régularisation. Arrivée dans l’Hexagone en 1988, elle vit dans la clandestinité jusqu’à l’obtention de son titre de séjour en 2003. « J’étais restée toutes ces années en France sans retourner au Sénégal, et puis je suis tombée malade, j’étais rentrée pour rassurer ma famille ».
« J’ai pris conscience »
Un arrêté d’expulsion menace déjà tous les résidents quand elle intègre le bâtiment F. « Les jeunes ont commencé à se réunir, et les associations qui nous soutenaient leur ont recommandés d’impliquer aussi des femmes. Ils sont venus me chercher moi, ce qui m’a beaucoup surprise d’ailleurs. J’avais suivi les évènements de Saint-Bernard et j’ai même rencontré une militante qui a participé à cette lutte. Une Sénégalaise comme moi. Je me suis ainsi découvert une vocation pour le militantisme et cela me prenait tout mon temps. J’avais pris conscience de beaucoup de choses ».
Activistes, toutes les femmes expulsées de Cachan le sont devenues par la force des choses. L’hommage à ses soeurs est par conséquent de rigueur : « tout ce qui s’est passé de constructif, c’est grâce à la solidarité des femmes. Ce sont les femmes qui ont résisté avec leurs enfants au moment de l’expulsion ». Beaucoup d’entre elles, parfois enceintes, ont été blessées par la police et en porte encore les séquelles. « Je salue le courage de ces femmes qui vont travailler tout en s’occupant de leurs enfants dans telles conditions. » Safietou Ba, diabétique insulinodépendante, en fait aussi partie : tous les matins à 5h, elle se rend à son travail comme si de rien n’était. « Je ne sais pas comment j’arrive à tenir », s’étonne-t-elle.
Au gymnase, c’est aussi ces guerrières du quotidien qui ont pris les choses en main. Déjà dans le squat, elles avaient trouvé les moyens de rendre leur existence plus vivable en organisant des gardes d’enfants et des cours d’alphabétisation. Certaines familles et des étudiants avaient d’ailleurs commencé à être relogés. «Vous voyez, j’ai un cahier en main, nous nous sommes organisées pour maintenir une certaine hygiène dans ses locaux qui ne sont pas très grands pour le nombre qu’on est (plus de trois cents, ndlr). Des groupes de femmes font le ménage dans les toilettes trois fois par jour. Au début, nous faisions également la cuisine dans la cour avec des grosses bouteilles de gaz. Nous avons arrêté de préparer parce que le maire (de Cachan) ne trouvait pas cela très prudent, en plus l’école est juste derrière. »
Depuis, c’est le Conseil général du Val-de-Marne qui apporte le déjeuner et le dîner au grand dam des ses femmes qui adorent être aux fourneaux. Le petit-déjeuner et les en-cas, alimentés par des dons, sont supervisés par des bénévoles cachanais. « Il y a eu une grande solidarité de leur part. Certains d’entre eux proposent aux femmes d’aller se reposer chez eux. Vu cet élan de solidarité, on ne peut qu’avoir de l’espoir. Les associations nous ont soutenus et portés jusqu’à maintenant. Comme les femmes de la PMI (centre de Protection maternelle et infantile, ndlr)de Cachan qui se déplacent pour venir chercher les femmes qui ont besoin de leurs soins. Des enfants sont nés ici dans le gymnase.»
Jamais désespérées
Pour toutes ses raisons, la foi en l’avenir ne quitte presque jamais les expulsés de Cachan. « Notre destin nous a unis et nous restons optimistes », assure Dame Ba. Même si la vie au gymnase n’est pas des plus commodes. Surtout pour les enfants dont certains ont repris le chemin de l’école. « Ce ne sont pas des conditions de vie pour des eux, ni pour personne d’ailleurs. Les premiers jours de notre arrivée ici, certains ne se nourrissaient plus parce qu’ils étaient traumatisés, ils faisaient des cauchemars… Maintenant, ça va mieux. A la fille de ma voisine, Sally, j’avais l’habitude de raconter des histoires le soir, ce qu’elle adore. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible, car on doit éteindre les lumières à une certaine heure. Je suis très malheureuse de la voir privée de ce plaisir. » Le moral des expulsées reste pourtant au beau fixe. « Elles sont incroyables ! Tout comme cette capacité qu’ont les femmes de faire face à n’importe quel genre de situation. Nicolas Sarkozy devrait venir nous rendre visite pour voir comment on vit, je me dis qu’après tout c’est un être humain…»
Si la question d’un retour éventuel au Sénégal n’est pas d’actualité pour elle, il n’en demeure pas moins que Safietou reste convaincue que l’avenir des Africains est sur leur propre continent. « Cette situation me donne bien évidemment envie de me battre. Je me dis qu’il y a des choses à faire. Comme de véhiculer le message suivant : les Africains sont pauvres, mais dignes. Qu’il est important que des initiatives soient prises sur le terrain pour aider les gens afin qu’ils puissent rester chez eux ».