La triche est considérée par beaucoup d’étudiants marocains comme « un droit ». Un phénomène inquiétant qui peut s’avérer dangereux pour des surveillants ou des enseignants trop zélés. Toutes les matières, et en particulier l’histoire, la géographie et la philosophie, sont touchées.
De notre partenaire L’Economiste
La fraude aux examens est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. Et plus les contrôles se durcissent, plus les stratagèmes des fraudeurs deviennent ingénieux. Au cours de la deuxième session du baccalauréat, les surveillants du lycée Omar Ibnou Al Khattab à Casablanca, ont pris onze étudiants en flagrant délit. Sept utilisaient des téléphones portables. Dissimulant l’appareil sous leur foulard, des candidates ont ainsi reçu les réponses aux questions des épreuves. Une fille a été surprise en communication avec un correspondant de… Marrakech. Un jeune homme est allé plus loin. Il a essayé de passer l’examen à la place d’un ami. Il a été démasqué grâce à la vigilance des surveillants. Il avait obtenu son bac une année avant dans le même lycée.
Les surveillants font souvent les frais de leurs « prises ». Certains sont agressés à la sortie des établissements à la fin des épreuves. Les élèves tricheurs ne leur « pardonnent » pas de les avoir dénoncés. « J’ai passé 29 ans dans l’enseignement, je n’ai jamais assisté à autant de tentatives de triche. Cela prend des proportions alarmantes », avance un professeur de philosophie du lycée Omar Ibnou Al Khattab. Etablissement dans l’enceinte duquel, les forces de l’ordre ont dû intervenir pour calmer les étudiants en colère. Ces derniers s’en étaient pris aux installations du lycée, des actes de vandalisme commis sous les yeux des parents. Une élève a été agressée par des « non reçus ». « Un lycéen m’a menacé de mort. Je suis obligé de laisser ma voiture loin du lycée de peur qu’elle ne soit saccagée. Pour certains, la triche est devenue un « droit légitime » », ajoute l’enseignant, désabusé. Un autre relie ce phénomène à un problème d’éducation. « Les valeurs ont changé. Malheureusement, beaucoup considèrent les tricheurs comme de bons débrouillards. Cela s’étend à tous les domaines », explique-t-il.
Les matières les plus touchées : histoire, géographie et philosophie
L’histoire, la géographie et la philosophie sont les matières qui font le plus l’objet de triche. L’éducation islamique, les sciences naturelles et les formules mathématiques le sont également, mais à moindre degré. « Tricher en philosophie est une aberration; cela ne mène à rien. Mais remplir la feuille d’examen est un réconfort psychologique pour l’élève, il a la conscience tranquille en quelque sorte », explique le professeur de philosophie.
Pour d’autres élèves, la fraude est le chemin le plus court pour réussir. C’est aussi la conséquence « naturelle » d’un programme trop chargé et du parcoeurisme. Ils assurent qu’environ 80% parmi eux trichent. « »Pourquoi je gaspillerais mon temps à apprendre quand je peux réussir à moindre effort, en trichant. De toute façon, bien formés ou pas, nous sommes tous « des futurs chômeurs » », affirme un lycéen. Les élèves dénoncent également le laxisme de certains surveillants. Ces derniers ferment les yeux. « Pourquoi je passerais des nuits blanches lorsque d’autres réussissent en trichant au vu et au su des surveillants? » s’insurge un jeune garçon.
La sanction en cas de fraude va, selon le directeur du Centre national des examens, Mohamed Kherbach, d’une année à cinq ans d’interdiction d’examen. Dans certains cas, c’est l’expulsion définitive. La sanction dépend de l’âge, de la nature de la fraude et de la réaction du tricheur pris en flagrant délit (agressivité). « Le Centre national des examens compte s’attaquer à ce fléau dès l’année prochaine. Un programme spécial sera appliqué. La sensibilisation des élèves, des enseignants, des surveillants et des parents sera au centre de ce programme », avance Kherbach.
Atahjab en première ligne
Les méthodes de triche aux examens ont beaucoup évolué. Les héros du célèbre film des années 80 « Les sous-doués passent le bac » sont des amateurs devant les tricheurs dernière génération. Fini le temps où les élèves tremblaient et rougissaient quand ils sont repérés par les surveillants. A présent, la triche est considérée comme un droit légitime. Les nouvelles technologies facilitent la tâche. Feuilles en plastique transparent, walkman, téléphones portables et calculatrices à mémoire, un arsenal de plus en plus sophistiqué. Mais la méthode championne reste « atahjab », les antisèches. Avant, écrits à la main, à présent, ils sont fournis par des libraires qui ont fait leur spécialité. A des prix dérisoires, ces derniers proposent des « collections » prêtes à l’emploi. La taille des copies est réduite selon le choix des utilisateurs. Certaines sont plastifiées pour resservir en deuxième session ou en cas d’échec. |