Des centaines d’étudiants négro-mauritaniens se sont regroupés une nouvelle fois sur le campus de l’université de Nouakchott mardi pour exprimer leur indignation contre ce qu’ils appellent « l’arabisation complète » de la Mauritanie. Un sit-in qui fait suite à plusieurs manifestations provoquées par les discours du premier ministre et de la ministre de la culture lors de la journée de promotion de la langue arabe le 1er mars dernier.
Le climat était tendu mardi sur le campus de l’université de Nouakchott. Sous haute surveillance policière, des étudiants négro-mauritaniens étaient venus, une fois encore, crier leur ressentiment envers les propos du premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf et de la ministre de la culture Cissé Mint Boide, émis lors de la journée de la promotion de la langue arabe le 1er mars.
Des propos sans appel, prônant la primauté de la langue arabe dans des domaines aussi variés que la télévision, l’enseignement ou l’administration, reléguant le français et les dialectes nationaux comme le poular, le wolof et le soninké au rang de simples langues vernaculaires. « Tout est arabisé ! », clame Yacouba Diakité, secrétaire général du Syndicat National des Etudiants Mauritaniens (SNEM), à propos des émissions de télévision mauritaniennes, dans un article de Carrefour de la République Islamique de Mauritanie. Il s’insurge contre les propos des deux ministres qu’il qualifie de « calamités » discriminatoires ne prenant pas en compte la diversité culturelle, ethnique et linguistique du pays.
« Ould Laghdaf, excuse-toi! »
Cette dernière manifestation fait suite à un premier mouvement de contestation ayant eu lieu le mercredi 24 mars. Majoritairement représentés par les membres du SNEM et des clubs bilingues de l’université de Nouakchott, les manifestants ont battu le macadam en scandant une double revendication : obtenir des excuses de la part du premier ministre qui, en imposant la langue arabe comme instrument d’échange et de travail dans l’administration, a engendré un sentiment d’oppression culturelle chez les négro-mauritaniens. Et, la démission de la ministre de la culture et de la jeunesse qui est, selon Ndiaye Kane Sarr, porte parole du mouvement, incapable de représenter le multiculturalisme d’un pays comme la Mauritanie. « Les langues nationales font obstacles à l’émergence de la langue arabe », a-t-elle déclaré. Des propos qui ont choqué.
La manifestation s’est très vite placée sous le signe de la violence avec une première bagarre éclatant entre étudiants négro-mauritaniens et étudiants arabes venus scander des « oui à l’arabisation ! ». Violences qui ont conduit à l’arrestation d’étudiants en marge de la manifestation par les forces de l’ordre. Le nombre de ces étudiants varie selon nos sources, allant de 4 selon Atlas Vista et huit selon RFI. Ils ont été libérés 24h plus tard sans être inquiétés.
Un pays multiculturel
Ces évènements multiples ont suscité de vives réactions chez le premier ministre, bien décidé à justifier ses propos dans une interview accordée à trois journalistes de la presse privée publié sur le site de l’Union des forces de progrès. Une remise en contexte est selon lui nécessaire à la bonne interprétation de son discours, puisque celui-ci a été tenu le jour où 22 pays commémoraient la journée de la langue arabe, suite à une décision de la Ligue arabe dont la Mauritanie est membre depuis 1973. Le ministre affirme qu’il était donc normal de la porter sur un piédestal en ce jour, mais nie avoir dénigré les autres langues nationales faisant, selon lui, partie intégrante du pays. Pays qu’il décrit comme possédant des racines à la fois africaines et arabes.
Symbole d’un profond malaise, cette question identitaire est apparue dans le paysage mauritanien dés 1966, année pendant laquelle les élèves noirs de Nouakchott se mobilisèrent pour supprimer la mesure rendant obligatoire la langue arabe dans l’enseignement du second degré. Une problématique latente qui constitue depuis près d’un demi-siècle un frein culturel pour la minorité négro-mauritanienne, originaire de la région du bassin du fleuve Sénégal.