Quatre ONG, Sherpa, l’association caritative de l’église catholique allemande Misereor, le Centre pour l’environnement et le développement (CED, Cameroun) et la Fondation camerounaise d’actions rationalisées et de formation sur l’environnement (Focarpe) ont publié mardi un rapport alarmant sur la gestion de la Socapalm, une société camerounaise de production d’huile de palme, privatisée il y a dix ans. Dans la plainte déposée le même jour auprès de l’OCDE, ces associations accusent les repreneurs de la structure dont le groupe Bolloré fait partie, de ne pas respecter le droit du travail et la protection de l’environnement. Lors d’une rencontre avec la presse à Paris, mardi, les auteurs de la plainte ont expliqué leur démarche.
Lorsqu’ils évoquent le dossier Socapalm, assis côte à côte dans la salle de réunion du cabinet Me William Bourdin qui accueille la rencontre avec la presse ce mardi après-midi, Samuel Nguiffo et Honoré Ndoumbè Nkotto, spécialement venus du Cameroun pour la circonstance, ont le cœur lourd. Respectivement secrétaire général du CED et coordonnateur national du Focarpe, des ONG environnementales camerounaises, les deux hommes ont durement travaillé pour établir le volumineux rapport qui a servi de support à la plainte déposée mardi contre le groupe Bolloré et ses partenaires au sujet de la gestion de la Socapalm. Privatisée au début des années 2000 sous l’impulsion du FMI et de la Banque mondiale qui avaient imposé au Cameroun un difficile programme d’ajustement structurel, cette société qui produit de l’huile de palme devait, via une gestion plus saine, améliorer le sort de ses employés et des populations riveraines des plantations. Des missions auxquelles les repreneurs de l’entreprise publique ont échoué de façon cuisante, selon les associations. « Aucun engagement n’a été respecté. De sorte que la cohabitation entre la Socapalm et les populations vivant à la périphérie des plantations est devenue très tendue », déclare d’emblée Samuel Nguiffo.
Au moment de la création des plantations gérées par la Socapalm, l’Etat camerounais avait concédé de petites parcelles de terres aux populations, pour qu’elles puissent créer leurs propres palmeraies. Il leur apportait un appui technique, sous formes d’intrants comme les engrais et les outils de travail. La Socapalm achetait ensuite leur production, ce qui leur assurait un revenu. Les repreneurs de la société ont été chargés de poursuivre cette collaboration, ce qu’ils n’ont pas fait dans le meilleur intérêt des petits producteurs, qui ont vu leurs revenus baisser. Plus grave, ils auraient, par l’entremise de leurs agents de sécurité de la société Africa security du français Patrick Turpin, commis des exactions à l’encontre des petits exploitants de palmeraies. « Alors qu’il y a des plantations de palmiers à huile dans les villages aux alentours de la Socapalm, on se rend compte que chaque régime de noix de palme trouvé dans la région est réputé avoir été volé dans les plantations. Les détenteurs de ces régimes sont arrêtés et bastonnés. Parfois, il y a des incursions dans les domiciles privés pour saisir les régimes de noix de palme appartenant à des individus qui sont considérés comme les ayant volés dans la plantation de la Socapalm», poursuit Samuel Nguiffo. Les victimes de ces exactions seraient très nombreuses. Mais il n’y a pas de chiffres, les faits s’étant déroulés sur plusieurs années, et les victimes ne s’étant pas plaintes, par peur des représailles. « De nombreuses personnes ont reçu des coups de couteau ou ont été blessées à la matraque. Peut-être même y a-t-il eu des morts. Les agents de sécurité entretiennent un climat de terreur », précise Maud Perdriel-Vaissière, Déléguée générale de l’association Sherpa qui a participé à la saisine de l’OCDE. « C’est quand même une milice privée qui opère en société de gardiennage », ajoute Me William Bourdin, au sujet d’Africa security.
Tentative d’expropriation
L’entreprise privée Socapalm irait plus loin dans le mépris des populations des abords de ses plantations. Elle tenterait de les faire déguerpir, en évoquant des clauses de la convention de cession de la société qu’elles ignorent. « Les populations n’ont pas été informées sur leurs droits. Il nous a fallu plus de dix ans d’efforts pour mettre la main sur une copie de cette convention. Aujourd’hui, la Socapalm s’appuie sur le texte pour revendiquer l’extension des plantations qu’il lui accorde. Il y avait avant la privatisation des espaces appelés périphériques qui étaient relativement impropres à la culture du palmier à huile avec les techniques utilisées à l’époque. L’Etat avait laissé ces terres aux communautés pour qu’elles puissent y faire des cultures vivrières. Aujourd’hui, la Socapalm revendique ces terrains en prétendant que les techniques modernes permettent d’y cultiver du palmier-huile. Et c’est par la force qu’elle le fait, et non le dialogue. Elle multiplie les citations directes à l’encontre des populations », indique Honoré Ndoumbé Nkotto.
A l’en croire, à part ces exactions, les populations voisines de la Socapalm n’ont en rien bénéficié des retombées de la privatisation. Pas d’électrification. Pas d’aménagement des routes. « La Socapalm utilise même les routes aménagées par les communautés sans rien payer en retour », déplore-t-il. La question de l’eau se pose encore avec plus d’acuité. Aucune adduction d’eau potable n’a été réalisée. Pour illustrer ce dernier point, Me Bourdin ouvre le rapport d’enquête et montre une photo de villageois s’approvisionnant en eau dans une rivière boueuse et fortement polluée par les activités des palmeraies. «On est en droit de s’interroger lorsqu’on voit ces images avec des populations des villages qui vont se ravitailler en eau dans des eaux qui sont gravement polluées. On se demande quel est le niveau des atteintes portées à la santé des personnes concernées », commente-t-il.
Les employés travaillent dans des conditions proches de l’esclavage
Comme les riverains des palmeraies, les employés de la Socapalm ont vu leur situation se détériorer, avec la privatisation. « L’emploi local a été négligé et représente moins de 10% des recrutements », explique Honoré Ndoumbè Nkotto. De leur côté, ceux qui trouvent du travail travaillent dans des conditions proches de l’esclavage. « Pour se rendre dans les plantations, ils sont parqués dans des camions comme du bétail. Ils vivent dans des camps de fortune, à la limite du supportable. Les toilettes, par exemple, sont de simples trous creusés dans le sol qu’on referme une fois que c’est plein. La Socapalm s’active à contourner la législation sur le travail. Pour ce faire, elle utilise tous azimuts la sous-traitance. Les sous-traitants ne respectent pas le code du travail vis-à-vis de leurs employés. Et la Socapalm se dédouane en disant qu’elle n’est pas responsable de ses sous-traitants», indique Ndoumbé Nkotto. Le responsable d’ONG a tenté, avec des élus camerounais, de dialoguer avec la Socapalm, dans l’espoir d’améliorer la situation. Mais il assure qu’ils ont tous essuyé une fin de non-recevoir de la part des dirigeants de la société. « Le groupe Bolloré ne peut pas ignorer la situation sur place. Elle a déjà fait l’objet d’un certain nombre de reportages qui ont provoqué des poursuites contre les journalistes. On a essayé de les rencontrer mais la direction de la Socaplm sur place ne répond à aucune question. Ils ont reçu des instructions très claires », confirme Maud Perdriel-Vaissière.
Pour Me Bourdin, le groupe Bolloré, qui participe au capital de la société, trahit ses engagements internationaux. « Quand on se promène sur son site internet, on voit que le groupe Bolloré s’engage à concilier au quotidien ses performances économiques avec sa mission sociale, la préservation de l’environnement et le respect des droits de l’homme. Ce sont des engagements extrêmement précis. Mais le rapport que nous avons entre les mains met en évidence le décalage immense entre la propagande de développement durable que nous sérine le groupe et la réalité sur place qui est en totale contradiction. Ça s’appelle une imposture », tonne-t-il. Une situation rendue possible par la faiblesse du droit. « Le groupe mise sur l’absence au Cameroun d’autorité judiciaire suffisamment indépendante et professionnelle pour observer les violations du droit du travail. Il pense aussi que l’opacité égale l’impunité. Plus on met de l’interposition entre les filiales et le groupe, plus on pense organiser de façon éternelle son irresponsabilité juridique. Donc irresponsabilité juridique d’une part et engagement volontaire à respecter les droits de l’homme d’autre part, pour apaiser les consciences des consommateurs. Ce rapport montre aussi les limites du droit français sur les responsabilités des maisons mères vis-à vis de leurs filiales », ajoute-t-il.
La médiation de l’OCDE sollicitée
Il ne reste donc que la pression médiatique et la tentative de dialogue. C’est le but visé par les quatre ONG, qui ont déposé une plainte intitulée « circonstance spécifique » auprès de points de contacts nationaux de l’OCDE en France, en Belgique et au Luxembourg. « Comme il y a un vide juridique, le droit ne permettant pas de tenir une maison mère responsable des agissements de ses filiales à l’étranger, le seul dispositif qui existe aujourd’hui ce sont les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales », déclare Maud Perdriel-Vaissière. Il s’agit, explique-t-elle, des recommandations qui sont adressées aux multinationales en ce qui concerne le respect des droits humains, de l’environnement, la lutte contre la corruption. Chaque Etat adhérent de l’OCDE est tenu de mettre en place des points de contacts nationaux, pour s’assurer du respect de ces principes directeurs. « Tout citoyen ou organisation peut saisir ces points de contact s’il constate des défaillances. L’objet des points de contact dans ce cas est d’assurer la médiation entre les multinationales et les plaignants. C’est ce que nous souhaitons au sujet de la Socapalm. Nous espérons pouvoir discuter avec le groupe Bolloré et ses partenaires. Cela pourrait aboutir à la réparation des dommages causés par la gestion de la Socapalm. Nous souhaitons aussi qu’un bureau soit créé sur place un bureau pour accueillir les plaintes des villageois victimes des vigiles d’Africa security », précise Maud Perdriel-Vaissière.
Afrik.com a tenté de recueillir la position des responsables parisiens du groupe Bolloré sur la question Socapalm. En vain. Une copie du communiqué publié mardi par le groupe nous a toutefois été adressée. Dans ce texte, le groupe Bolloré indique qu’il « n’est pas gestionnaire, mais seulement actionnaire minoritaire de la Socapalm, une société privée, cotée à la Bourse de Douala, dont l’Etat camerounais est également actionnaire, dont le président du conseil d’administration, Claude Juimo Monthé, est de nationalité camerounaise. » Il indique aussi qu’au Cameroun, il n’est actionnaire majoritaire que d’une seule plantation, celle appartenant à la société Safacam. « Au sein de cette plantation, le groupe Bolloré garantit des conditions de travail et de sécurité à tous ses salariés. Il veille particulièrement au respect par ses sous-traitants des lois qui régissent les conditions de travail au Cameroun», précise le communiqué.
La Socapalm en chiffres
Surface concédée : 78 529 hectares
Surface exploitée : 29 998 hectares
Production : 132 tonnes/heure
Importance : 42% du marché de l’huile brute
Salariés : 1314
Ouvriers des compagnies sous-traitantes : 2500 à 3000
Populations dépendantes de l’entreprise : 30 000