Au Maroc, on a coutume de dire que les Marocains n’aiment pas trop prendre de risques, donc, ils ne seraient pas faits pour être entrepreneurs. Cette vison pessimiste est d’autant plus facilement adoptée que la préférence des entrepreneurs marocains va vers les projets de petite envergure, à rentabilité garantie ou à retour sur investissement rapide (Les domaines des services, du commerce, du BTP, concentrent près de 90% des créations d’entreprises).
Certes, la peur du risque existe, mais il y a, d’une part, le risque naturel dans sa raison d’être, celui consistant à accepter de passer à l’acte même si l’on n’est pas sûr de ce que l’on va gagner plus tard. Selon l’économiste français Richard Cantillon, c’est l’essence même de l’acte d’entreprendre. Et d’autre part, il y a le risque qui est artificiellement créé par des lois, des réglementations, des politiques aussi bien instables qu’inadéquates.
Le risque est mieux accepté si la peur de l’échec est faible et cette peur est réduite si le coût de l’échec n’est pas trop important. Or, quand vous regardez, par exemple, la complexité de la procédure de liquidation (en cas de faillite d’une entreprise) au Maroc, tout est réuni pour que l’échec d’une entreprise soit un véritable drame économique et social. En effet, dans le Doing Business 2016, le Maroc est très mal classé puisqu’il occupe la 130ème place sur 189 pays. Cela reflète l’indigence de cette procédure. Ainsi, il faudrait 3 ans et demi de délai en moyenne contre 1 an et 7 mois dans les pays d’OCDE. Quant au coût de la procédure, il reste exorbitant puisque il s’élève à 18% du patrimoine contre 9% seulement dans les pays de l’OCDE. Avec une telle lenteur et un tel coût, il n’est pas étonnant que n’importe quel entrepreneur potentiel appréhende la possibilité d’échec. A titre d’image, si l’on exige de tous les futurs mariés de payer une indemnité élevée en cas de divorce, il y aura peu de nouveaux mariés. On en déduira que les jeunes n’ont plus le goût du mariage, alors que le problème est ailleurs. Quand le coût de sortie est élevé, on appréhende tout simplement l’entrée.
Toujours dans le même ordre d’idées, les entrepreneurs marocains potentiels payent souvent le prix cher à cause des mauvais choix de politiques macroéconomiques. A titre d’exemple, si vous prenez tous les gouvernements depuis l’indépendance, ils ont suivi une politique budgétaire expansionniste pour stimuler la croissance : subventions à la consommation des ménages, investissements publics. Sauf que cette politique s’est traduite par un excès des dépenses publiques qui a conduit à l’explosion de l’endettement. La crise des années 80 est toujours là pour en témoigner. Cet endettement excessif de l’Etat fait peser un gros risque sur l’investissement privé car cela dévalorise la monnaie nationale, soit en raison de la dégradation de la note souveraine, soit via l’inflation. Une dévalorisation qui décourage les entrepreneurs à investir à long terme, puisque la valeur de leur patrimoine, de leurs bénéfices dans 3 ou 5 ans pourrait être érodée, ce qui représente un risque majeur.
De même, avec cet excès de dépenses publiques, la pression fiscale étouffe les contribuables, réduisant ainsi leur capacité d’épargne. Et quand vous ajoutez à cela, la faible protection juridique des investisseurs minoritaires, l’atonie du marché financier n’est une surprise pour personne. Une atonie qui explique la difficulté de canaliser l’épargne vers un entrepreneuriat productif et de long terme. Pire, l’Etat, en raison de son déficit public, exerce souvent une ponction sur le crédit disponible évinçant automatiquement les entrepreneurs privés.
Un autre facteur de risque artificiel est la volatilité des lois, des réglementations et des politiques macroéconomiques. L’exemple typique est la loi de finances qui, chaque année, introduit de nouvelles dispositions, notamment fiscales, réduisant la visibilité pour les entrepreneurs à long terme, les conduisant à verser dans l’attentisme. Quand les règles du jeu économique changent tout le temps, il devient difficile pour les entrepreneurs potentiels de faire de bonnes prédictions sur l’évolution de leurs profits, de leurs coûts, de leurs parts de marché, etc. Ils ne peuvent pas non plus se projeter dans l’avenir, car ils ne sont pas sûrs que leurs projets resteront aussi rentables que prévu. Demain ou après-demain, une nouvelle loi, circulaire, ou réglementation, sans préavis, risquerait de remettre en cause la rentabilité attendue de leurs projets. Résultat des courses, ils s’abstiennent de s’engager dans des projets de long terme pour leur préférer à ceux de court terme car moins risqués.
Somme toute, les entrepreneurs marocains ne sont pas tous par nature frileux ou du moins pas plus que les autres. Ils le seraient seulement s’ils gardaient la même attitude après avoir éliminé le risque artificiel créé par l’Etat. Nos responsables doivent comprendre cette nuance, faute de quoi, ils continueront à faire fausse route en concoctant des programmes de soutien aux résultats douteux comme le fameux programme Mokawalati. Or, il suffit que l’Etat réforme sérieusement la justice pour assurer une meilleure protection juridique pour les entrepreneurs, redéfinisse et stabilise intelligemment ses politiques macroéconomiques et ses réglementations, pour réduire l’incertitude et donner plus de visibilité aux entrepreneurs potentiels. Malheureusement, pour l’instant, on préfère la facilité en taxant l’entrepreneur marocain de frileux, alors que la vérité est ailleurs. Comme on a coutume de dire : les apparences sont souvent trompeuses.