Le continent africain accueille le pape Benoit XVI du 18 au 20 novembre 2011 au Bénin. Lors de sa visite, il remettra aux conférences épiscopales africaines, les conclusions pastorales du synode de octobre 2009 qui a traité du rôle de l’Église au service de la réconciliation, de la justice et de la paix.
Mémoire d’un continent
L’Afrique est le continent d’où sont partis du XVI au XIX eme siècle des millions d’hommes et de femmes vendus comme esclaves et emportés tristement vers des terres lointaines d’Amérique surtout au Brésil pour le travail dans les plantations. Terre dite du vodou et creuset de la religion traditionnelle africaine, nouvelle patrie du Christ par l’accueil officiel de l’évangile à travers les prêtres de la société des Missions africaines en 1861, le Bénin, ex-Dahomey a été justement protagoniste de cette expérience que toute personne de bonne conscience considèrerait aujourd’hui pesant crime contre l’humanité malgré son occultation qu’ironise justement le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel en ces termes: « le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le silence ». Silence, absence d’une réflexion globale ou quasi-absence de la question de la traite dans la plupart des manuels d’histoire de la plupart des pays du monde. Silence aussi, sinon non-reconnaissance de la spécificité du phénomène de la traite négrière. . Malheureusement, ville ouverte au large grâce à l’océan Atlantique Ouidah au Bénin d’où le pape Benoit XVI signera l’exhortation apostolique qui conclura le synode des évêques pour l’Afrique, le samedi 19 novembre 2011 en la basilique N.-D. de l’Immaculée Conception, est une ville emblématique non seulement pour l’arrivée des missionnaires de la foi en Jésus christ mais avant tout pour l’esclave, signe des temps pour évoquer la question de la justice , de la réconciliation et de la paix en Afrique.
Deux monuments historiques rappellent à la plage de Ouidah cette mémoire à la vérité de l’homme et de l’histoire en Afrique, de la rencontre historique et dramatique entre l’occident et l’Afrique. L’un est dénommé « Porte de non-retour », car célèbre mémorial dressé en l’honneur des esclaves exilés, qui rappelle la Route des esclaves, longue de quatre kilomètres comme chemin que devaient emprunter les esclaves pour rejoindre les bateaux négriers depuis le fort. Le second monument réalisé pour le jubilé de l’an 2000, situé à une centaine de mètres du premier, « porte du salut » renvoie à la mémoire de l’Évangélisation des SMA (Société des Missions Africaine de Lyon) au Bénin, voici officiellement cent cinquante ans. Le théologien béninois Barthélémy Adoukonou propose une lecture anthropologique et synthétique des deux expériences ; « Je fais partie de ceux qui croient toujours que le missionnaire est la figure du Bon Samaritain au chevet de la chute de l’Afrique dans les mains des voleurs, qui peuvent être aussi bien les militaires que les commerçants. Dans la tragédie de la négation de l’humanité, le missionnaire est celui par qui Dieu veut rendre possible une histoire différente pour l’homme noir, l’élevant à nouveau à sa pleine dignité. Ce missionnaire a peut-être eu des doutes sur l’existence d’une culture africaine. Mais des figures de fervents évangélisateurs ont surgi, qui ont prêté attention aux semences de la Parole de Dieu, disséminées dans notre propre culture, et ont essayé de les rassembler dans l’unité du Verbe vivant. Et quand, en 1956, les prêtres noirs ont commencé à s’interroger, on a pu percevoir une première acceptation endogène, bien que critique, de l’effort de dialogue entre foi et culture, que nos prêtres missionnaires, les frères venus de l’Europe, tentaient de faire au nom de l’Afrique. Les prêtres noirs l’ont fait dans le sillon du mouvement panafricain pour la protection des valeurs culturelles de l’homme noir: la négritude ». De son côté le théologien camerounais Mveng évoque à sa façon la même expérience en terme de « concept de pauvreté ou de déficit anthropologique » beaucoup plus lourd à ces yeux, que les autres formes de pauvreté. On comprend alors que sur l’initiative de Haïti, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco),ait accepté de lancer le projet du nom « la route de l’esclave » en 1994 à Ouidah en vue d’assurer une réconciliation entre les trois continents concerné par cette tragédie le commerce triangulaire de la traite négrière symbole de toutes les violences, d’une manière générale, passé sous silence, ou traité furtivement dans les programmes d’histoire comme un épisode des relations entre l’Europe et l’Afrique. La traite négrière a également provoqué des interactions significatives entre les peuples d’Afrique, d’Europe, des Amériques, de l’océan Indien, du monde arabo-musulman et d’Asie . Comment assumer sur le plan éthique, un fait historique majeur longtemps occulté : Des initiatives concrètes commencent à éveiller la conscience universelle à cette mémoire, fondamental lieu anthropologique. Et Barthélémy Adoukonou lit justement le projet de l’Unesco la route de l’esclave comme « œuvre avant tout d’ une réconciliation de l’Africain avec sa propre conscience ». La traite négrière interpelle directement les sociétés contemporaines par la perpétuation de ses conséquences désastreuses. Elle soulève des questions brûlantes, telles que les droits de l’homme, le pluralisme culturel et la définition de nouvelles citoyennetés.
Quelle nouveauté et résultat du message du pape
Peut-on annoncer le règne de Dieu en ignorant le quotidien humain. Peut-on éradiquer les nouvelles formes d’esclavage et d’humiliation sans demander réparation de la tragédie qui les consolide ? Le pape Benoit XVI, haute autorité mondiale en a une lucide conviction. On s’émeut de sa compassion pour le récit relatif à l’identité de Joséphine Bakhita, évoquée dans l’encyclique sur l’Espérance. Cette jeune esclave soudanaise dont le dernier nom signifie « la chanceuse » parce que vendue plusieurs fois par les négriers à différentes personnes sous des noms variés juste pour la conduire à oublier son identité. Image de l’Afrique ? Parabole d’avenir ? L’Afrique depuis longtemps se laisse envahir par des idéologies manipulatrices à fin de division. À travers le message du pape, l’Église d’Afrique s’engage historiquement pour s’insérer davantage et de façon plus pertinente dans les questions de la vie publique au-delà de la simple foi cultuelle. Mais que serait une justice sociale sans vérité et amour ? Et une réconciliation sans aveu et liberté ?
AVOCAN COOMLAN Célestin
Prêtre Étudiant (Rome).