Les émigrés retraités pleurent leur pays à Paris


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Globe terrestre
Globe terrestre représentant une partie de l'Afrique

Longtemps désirée, la retraite est vécue difficilement par les vieux émigrés. Ils ont caressé le rêve du retour à leur pays d’origine mais hantent toujours les foyers des travailleurs. Sans cesse repoussé, le départ définitif n’est pas pour bientôt. Illusions et désillusions. Reportage.

La chambre est très petite. Arezki pousse la bassine et la plaque électrique sous le lit machinalement. La direction du foyer interdit formellement l’usage des plaques électriques dans les chambres.  » Asseyez-vous, je vous fais un café « , invite Arezki en désignant son lit pour siège. Il traîne difficilement ses 65 ans dans les 9 m2 de sa chambre. Il s’agenouille péniblement pour sortir sa plaque électrique de sous son lit. Il se ravise et ouvre la porte. Longs couloirs égayés par une vingtaine de portes bleues. Personne.  » Il arrive que les employés du foyer fassent des visites de contrôle. Il y a trop de plaques chauffantes « , explique machinalement Arezki. Discours rôdé.

Mon fils veut une golf dernière génération

 » Je n’ai plus de chez moi. Cette chambre impersonnelle me convient très bien. J’ai fait plusieurs départs définitifs au Maroc. Je ne reconnais rien. Mes enfants et ma femme me sont étrangers. On ne se dit rien, habitués tous à vivre chacun de son côté. Mon fils aîné me reproche de ne pas pouvoir lui acheter une golf dernière génération. Il me boude « , ricane amèrement Arezki. Autant de départs définitifs que de retours temporaires.

Avec 4 000 FF de retraite, Arezki sait qu’il ne pourra jamais acheter une  » golf pour son fils « . Il en souffre. La chambre devient exiguë. La fenêtre donne sur la Tour Eiffel. Du septième étage, Arezki domine Paris. De sa fenêtre. Dehors, il pleut. Arezki veut rejoindre ses copains au  » Café de l’Avenir « .  » On peut continuer la discussion au café. Mes amis ont le même âge que moi. Ils auront beaucoup de choses à te raconter. C’est la première fois qu’ils verront un journaliste de si près « .

Café de l’Avenir

Juste avant de sortir, Areski s’arrange devant la glace. Il ramène ce qui lui reste de cheveux sur le devant.  » Mon visage est moins dur comme ça « , remarque Arezki, légèrement coquet. Visage labouré par les sillons d’une vie à la mine puis à l’usine.  » J’étais bien chez Renault. Il y avait une conscience de classe. On était nobles « . Passé composé. Il met sa veste acheté au marché de Montreuil.  » Une affaire, elle m’est revenue à 50 FF « . Veste un peu longue pour le Berbère marocain, plutôt petit et sec. Il serre la cravate.  » La cravate dit aux gens qu’on les respecte. En France, il faut respecter les bonnes manières. A la télé, les journalistes en mettent « .

Vacarme. Que des hommes au  » Café de l’avenir « . Des retraités ou en semi-retraite. Le bruit des dominos couvre les discussions animées.  » On est entre nous. On se dit tout « . Difficile avec le bruit infernal. Arezki rejoint Mohand, Abdelkader et Omar. Dahmane El Harrachi pleure l’exil dans l’indifférence. Sa chanson,  » ya rayah « , n’arrive pas à couvrir le bruit infernal des dominos. Les joueurs abattent les pièces avec puissance comme pour se venger du sort.  » Viens, on va sortir discuter dehors « .

Debout comme des sentinelles

Ménilmontant. En petits groupes, les immigrés palabrent sur le trottoir. Les passants zigzaguent entre les groupes. Certains touristes s’étonnent de voir des gens discuter debout, à longueur de journée. Les terrasses des cafés sont vides.  » Un demi (une bière) coûte 20 francs. Si j’échange cette somme sur le marché parallèle, j’aurai économisé 250 dinars ! Presque une journée de travail en Algérie ! « , calcule Abdelkader. Trop cher pour un petit plaisir éphémère. Alors, il économise sur tout.

Il se prépare pour son voyage annuel dans son Oranie natale.  » Que des fripes ! Il faut faire des cadeaux à tout le monde là-bas. Je n’ai pas les moyens d’aller faire les courses aux Champs-Elysées. Une fois repassées, les fripes sont comme des vêtements sortis tout droit de l’usine « . Abdelkader est en pré retraite. Forcée.  » Je sais que je ne trouverais plus de travail. Ils disent tous que je suis vieux. A 55 ans, je ne trouve pas que je sois sénile. En plus, je n’ai pas assez cotisé pour recevoir une retraite décente « . Brun, costaud, Abdelkader arrive à rester plus longtemps debout que ses camarades plus âgés.  » Elles sont belles les Françaises au printemps. Dommage que mes chances soient nulles avec elles. Pas grave, je me lave les yeux « . Abdelkader se rembrunit. Souvenirs douloureux.  » Bouteflika, Bush, Chirac, ce n’est pas de l’amour « , s’emporte énigmatiquement Abdelkader.

Les deux amis remontent doucement vers le foyer. Abdelkader a beaucoup de linge à repasser. Arezki a hâte d’arriver pour préparer à manger. Poulet et spaghetti au menu. Il mangera seul devant la télé. Un film d’amour sur Arte. Abdelkader mangera plus tard. Des conserves. Il pleut toujours sur Paris.

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