Les élections présidentielles qui auront lieu, en août 2010, au Rwanda ont attiré l’attention sur la légitimité du pays en tant qu’État démocratique. Selon certains observateurs, des manœuvres d’intimidation à l’encontre de dirigeants de l’opposition pourraient venir entacher le processus électoral.
« Il s’agit d’un événement très important dans notre pays, car c’est la deuxième fois que nous élisons un chef d’État », a dit à IRIN Chrysologue Karangwa, président de la Commission électorale. « Les gens s’y préparent ».
Selon des observateurs, l’environnement politique actuel bâillonne les opposants du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir.
« Le Rwanda doit permettre au processus démocratique de se mettre en place afin de créer un espace politique accessible à tous », a indiqué un analyste de Nairobi qui a demandé à garder l’anonymat. « Autrement, ces élections ne seront qu’un fait accompli et cela risque de nuire au développement de la démocratie au Rwanda ».
Après avoir mené le FPR au pouvoir en juillet 1994 et mis fin au génocide rwandais, Paul Kagamé a pris ses fonctions de président du Rwanda en mars 2000. Le massacre de plus de 800 000 Tutsi et Hutu modérés est, de loin, l’épisode le plus sanglant des luttes de pouvoir qui ont toujours fait rage entre la minorité Tutsi et la majorité Hutu.
En août 2003, lors des premières élections nationales depuis 1994, M. Kagamé a obtenu 95 pour cent des voix. Son principal rival, Faustin Twagiramungu, n’a recueilli que 3,5 pour cent des voix.
On s’attend à ce que M. Kagamé soit désigné une nouvelle fois comme le candidat du FPR lors du scrutin du 9 août, mais des incidents impliquant d’autres candidats potentiels ont récemment semé le doute et soulevé les inquiétudes quant au bon déroulement des élections à venir.
Questions d’élections
« Il est très difficile d’imaginer qu’un candidat de l’opposition puisse obtenir une part importante des voix », a dit Thomas Cargill, adjoint au chef du Programme Afrique du centre de réflexion Chatham House. « Le FPR domine la vie politique rwandaise, mais il est bon que le pays commence à agir [dans le sens de la démocratie], même s’il n’y croit pas vraiment ».
Il a cependant prévenu que les élections n’offraient parfois qu’un semblant de démocratie. « Comme en Éthiopie ou en Ouganda, les gouvernements du jour doivent garder les rennes du pouvoir par l’intermédiaire d’un processus démocratique quelconque. Il faut donc qu’il y ait des partis d’opposition ».
« Ces gouvernements se livrent à un délicat numéro de funambule – ils doivent permettre aux partis d’opposition d’agir et de désigner des candidats tout en ne leur laissant aucune chance », a-t-il ajouté.
Des travailleurs humanitaires de la capitale, Kigali, et de Goma, dans la République démocratique du Congo (RDC) voisine, sont inquiets des conséquences potentielles.
« Une crise politique au Rwanda pourrait entraîner un problème humanitaire, notamment des déplacements transfrontaliers », a dit à IRIN un observateur spécialiste des questions de sécurité internationale en mission humanitaire à Goma. « Il y a aussi la question, toujours en suspens, des milices rwandaises armées en RDC ».
La diaspora, les réfugiés et les milices Hutu en RDC invoquent fréquemment la prétendue « absence d’espace politique » au Rwanda pour justifier leur refus de rentrer chez eux.
M. Karangwa a insisté sur le fait que rien ne viendrait perturber le scrutin. « Je peux vous assurer que les prochaines élections seront libres et justes », a-t-il dit à IRIN le 10 mars. « Nous travaillons en ce sens et agissons de manière totalement transparente ».
Dans l’édition du 9 mars du New York Times, Jean Paul Kimonyo, un conseiller de M. Kagamé, a écrit que le pays était, d’un point de vue politique, sur la bonne voie. « Reste à savoir comment assurer une certaine coopération politique alors que la politique de confrontation risque presque à coup sûr d’entraîner de nouvelles flambées de violence ? »
« Sous la présidence de M. Kagamé, le Rwanda a toujours cherché à s’assurer que le processus de construction de la nation était entre les mains des citoyens. Le défi est beaucoup plus difficile à relever, mais aussi plus prometteur », a-t-il ajouté.
Des progrès remarquables
Depuis 1994, le Rwanda a enregistré des progrès remarquables dans l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). À titre d’exemple, le nombre d’enfants qui fréquentent l’école primaire représente désormais 97 pour cent des enfants d’âge scolaire.
Selon la Banque mondiale, la planification familiale a triplé au cours des trois dernières années et la proportion d’accouchements assistés est passée de 39 pour cent à 52 pour cent. L’utilisation de moustiquaires traitées a augmenté de 70 pour cent et le taux de mortalité des moins de cinq ans a diminué de 30 pour cent.
Selon la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), l’adoption de politiques et de lois en faveur de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a fait du Rwanda le pays qui compte le plus de femmes parlementaires au monde (56,3 pour cent), suivi de près par la Suède (46,4 pour cent).
Selon le ministre des Finances et de la Planification économique, John Rwangombwa, le pays devrait enregistrer, cette année, une croissance de 7 à 8 pour cent, contre 5,5 pour cent en 2009.
Malgré tout, le Rwanda « doit s’ouvrir au monde et guérir ses blessures du passé », a dit à IRIN un diplomate de la capitale, Kigali. Des associations de défense dénoncent l’absence de respect des droits politiques et humains essentiels et le harcèlement des individus considérés comme des opposants au régime.
Selon l’Initiative du Commonwealth pour les droits de l’homme (Commonwealth Human Rights Initiative, CHRI), une ONG indienne, l’article 13 de la Constitution rwandaise, qui fait du « révisionnisme » ou du « négationnisme » [négation du génocide] un délit, a été « rédigé de telle façon qu’il puisse inclure tout individu en désaccord avec la version du génocide avancée par le parti au pouvoir ».
« Le CHRI est profondément préoccupé par les restrictions continuelles et les menaces formulées à l’encontre des partis d’opposition à la veille de l’élection présidentielle rwandaise », a indiqué l’ONG dans une déclaration publiée le 6 mars.
En réaction à un avertissement formulé le 25 février par le ministre de la Sécurité, qui a prévenu que les hommes politiques qui « calomniaient le pays » ou étaient « contre l’unité du peuple » seraient punis, l’ONG a appelé à « l’adoption immédiate de mesures destinées à assurer le respect des droits fondamentaux et universels, soit la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion pour les partis d’opposition ».
Attaques contre les opposants politiques
L’attaque du 3 février contre Victoire Ingabire, présidente du parti des Forces démocratiques unies (FDU), et son assistant, Joseph Ntawangundi, par une foule à Kigali est, jusqu’à présent, l’exemple le plus probant de harcèlement de membres des partis d’opposition, a indiqué l’analyste de Nairobi. D’après certaines informations, elle aurait été attaquée alors qu’elle était en train de rassembler des documents d’adhésion au parti. Elle aurait perdu son passeport et M. Ntawangundi aurait été sévèrement battu.
Mme Ingabire est retournée au Rwanda en janvier après avoir vécu en Europe pendant 16 ans. Lors d’une visite au Mémorial de Gisozi, dédié aux victimes du génocide, elle s’est attirée les foudres de groupes de survivants en faisant allusion aux Hutu qui ont aussi été massacrés et qui comptent pour 85 pour cent de la population.
Le lendemain de l’attaque perpétrée contre Mme Ingabire, le président du Parti vert, Frank Habineza, a rapporté avoir fait l’objet de menaces. Plus tôt, le chef du Parti social idéal (PSI), Bernard Ntaganda, avait été convoqué devant le Sénat pour répondre à des accusations de diffusion de « l’idéologie du génocide ».
Peu après, le ministre de l’Administration locale, James Musoni, a averti dans un communiqué de presse les hommes politiques « qui violent la Constitution et l’autorité de la loi en faisant de la politique politicienne et en se servant des divisions ethniques que leurs actes ne devaient pas faire obstacle à la paix, l’unité et la sécurité du peuple ».
« Les hommes politiques et tous ceux qui souhaitent participer à la vie politique ne sont pas autorisés à poser des actes qui portent atteinte à la souveraineté du Rwanda et à ses citoyens ».
Selon Human Rights Watch (HRW), l’attaque contre Mme Ingabire « semble avoir été bien coordonnée, ce qui permet de supposer qu’elle a été planifiée d’avance ».
Selon Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique de HRW, « le gouvernement rwandais exerce déjà un contrôle très strict sur l’espace politique. Ces incidents risquent de compromettre encore plus la démocratie en décourageant toute opposition digne de ce nom à se présenter aux élections. Le gouvernement a déjà utilisé à plusieurs reprises des accusations de participation au génocide ou de diffusion de l’’idéologie du génocide’ pour cibler et discréditer ceux qui le critiquent ».
M. Karangwa a nié les affirmations de HRW. « Cette femme n’a pas été battue, pas du tout », a-t-il dit à IRIN. « Je ne crois pas un mot du rapport de Human Rights Watch. L’intimidation ou le harcèlement des dirigeants des partis d’opposition n’existe pas dans notre pays ».
Selon Joseph Barigye, un habitant de Kigali, Mme Ingabire a « provoqué » la foule. « Les souvenirs [du génocide] sont encore vifs ; il faut faire attention à ce qu’on dit quand on s’adresse à la population », a-t-il dit à IRIN. « Et c’est pour cette raison que M. Kagamé sortira encore une fois vainqueur de ces élections ».
Faire taire les critiques
Dans une entrevue avec The EastAfrican le 15 février dernier, Mme Ingabire a dit : « le gouvernement de M. Kagamé n’est pas prêt à accepter l’opposition. C’est pourquoi ils ont envoyé, il y a deux semaines, des jeunes hommes pour nous battre, moi et mon assistant. Il s’agit là d’un exemple probant de l’absence de démocratie et de liberté d’expression au Rwanda ».
« Ils traitent tous les opposants politiques de la même manière », a-t-elle ajouté. « Nous ne sommes pas leurs ennemis, mais il utilise l’idéologie du génocide contre nous. Le génocide a eu lieu il y a 16 ans. Le temps est venu de faire place à la démocratie ».
Lors d’une récente conférence de presse, M. Kagamé a dit que Mme Ingabire était « allée trop loin et avait abusé de la bonne volonté du pays en cherchant à détruire les progrès accomplis [par le Rwanda] », mais que « quiconque chercherait à agir contre la loi n’aurait aucun espace [pour s’exprimer] ».
On s’inquiète également des relations du président avec les médias suite aux accusations formulées à l’encontre de journalistes dont le nom n’a pas été divulgué. Il les accuse d’avoir conspiré avec deux anciens officiers militaires qu’il tient pour responsables de deux attaques à la grenade qui ont eu lieu récemment dans la capitale.
« Les avertissements télévisés de M. Kagamé contribueront à faire taire les critiques à la veille de l’élection présidentielle du mois d’août », a écrit Tom Rhodes, coordonnateur du programme Afrique du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), sur le site internet de l’organisation.
« Comme le gouvernement contrôle une grande partie des médias du pays, la couverture des élections risque plus que jamais d’être partiale », a-t-il ajouté.
Selon M. Cargill, du centre de réflexion Chatham House, le passé du Rwanda doit être replacé en contexte. « Il existe clairement des tendances autoritaires au sein de l’État rwandais, mais le pays revient de loin. Peu de pays ont vécu autant d’épreuves au cours des dernières années. Il faut malgré tout trouver un équilibre, car le gouvernement a tous les avantages du pouvoir à sa disposition ».
Credit Photo IRIN