Une maison d’édition entièrement consacrée à l’œuvre d’un seul homme et à la promotion d’une seule langue : tel est le concept des Editions Dzokanga. Langue nationale au Congo, le lingala serait parlée par 12 à 36 millions d’Africains. Afrik.com se penche sur les œuvres que promeut la société.
Jusqu’au bout, il n’aura eu de cesse que de diffuser en France le lingala, une des langues les plus parlées en Afrique. C’est en hommage au travail de longue haleine d’Adolphe Dzokanga, chercheur linguistique congolais mort en 1998, que les six enfants du professeur ont souhaité créer une maison d’édition qui porte leur nom. Mais, faute de moyens et de temps, le rêve ne s’est finalement réalisé qu’en 2006. Interview avec Freddy Dzokanga, journaliste aux Dépêches de Brazzaville et un des fondateurs de la maison d’édition.
Afrik.com : Pourquoi avoir créé une maison d’édition entièrement consacrée à poursuivre l’œuvre de votre défunt père ? Pourquoi avoir mis autant de temps dans la création de vos éditions ?
Freddy Dzokanga : J’estime que c’est une initiative légitime parce que les œuvres qu’il a laissé sont conséquentes. Tous ses manuels d’apprentissage de la langue à notre disposition ne peuvent être laissés dans l’oubli. Tout intellectuel ne voudrait pas d’un tel gâchis… d’autant plus que le lingala est l’une des langues les plus répandues d’Afrique. La musique congolaise est la musique de référence sur le continent grâce à des artistes comme Papa Wemba ou Passi. L’idée de créer les Editions Dzokanga était présente depuis longtemps mais les obligations sociales et professionnelles nous ont ralentis quant à la concrétisation de ce projet. On s’est formé, au départ, en association pour essayer d’obtenir des financements. La présentation de notre action était plutôt artisanale. Les subventions étant aléatoires, on a donc dû financer ce projet avec nos propres deniers pour lancer la machine. Le résultat est là : la société existe maintenant depuis deux ans.
Afrik.com : Qu’a fait votre père de si extraordinaire ? Comment transmettez-vous cette langue aujourd’hui en France ?
Freddy Dzokanga : Grâce à lui, la langue a obtenu un statut comme jamais auparavant. Il enseignait le lingala à l’INALCO (l’Institut national des langues et civilisations orientales, ndlr) et à la Sorbonne mais, depuis sa mort, cette langue n’est plus enseignée en France. Il a traduit de nombreux ouvrages vers le lingala, des classiques comme la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Nous nous préoccupons (Freddy et sa fratrie, ndlr) seulement d’éditer ses œuvres.
Afrik.com : Votre père semble être un sacré personnage. Quel sentiment éprouvez-vous lorsque l’on parle de lui ?
Freddy Dzokanga : Je ne peux qu’être admiratif de tout le travail qu’il a effectué, d’autant plus qu’il était seul. J’ai vu, avec mes yeux d’enfant, tout l’acharnement que notre père a mis pour promouvoir le lingala. Il a montré que les langues africaines pouvaient avoir le même rayonnement que les indo-européennes car ce sont bel et bien des langues et non des dialectes. C’est un terme vu comme péjoratif qui fait penser à une langue de bas-étage, non structurée et qui n’est comprise que par « eux », « ces Africains ». Le lingala est aussi complexe et structuré que le français ! Je suis d’autant plus fier qu’il a prouvé que l’homme africain, en prenant conscience de sa personne et de ses capacités, peut faire des merveilles.
Afrik.com : N’avez-vous jamais pensé à reprendre le flambeau avec votre fratrie ?
Freddy Dzokanga : Bien sûr que oui… si on avait les capacités intellectuelles ! L’INALCO et la Sorbonne ont, bien entendu, fait des appels d’offres. Beaucoup ont tenté de reprendre son poste d’enseignant. Mais notre père a mis le lingala à un tel degré intellectuel que ceux qui se sont présentés au poste n’ont pu être retenus dans la sélection. Comme le français, le lingala a son langage soutenu.
Afrik.com : Personne ne pourra vraisemblablement remplacer votre père. Alors ne faudrait-il pas que ces universités « baissent » le niveau requis des professeurs dans l’idée toute simple de promouvoir le lingala ?
Freddy Dzokanga : On ne peut pas « baisser » le niveau d’une langue comme bon nous semble. Faute de demande, les universités n’investissent pas dans l’enseignement du lingala. De plus, la Sorbonne et l’INALCO sont des universités de prestige. Mais nous disposons aujourd’hui de tous les manuels et outils pour ceux qui souhaitent apprendre la langue en autodidacte. Ceux qui le veulent n’auront aucun problème grâce à nos manuels. Maintenant, enseigner, c’est tout un art. Les prétendants au poste qu’occupait mon père n’avaient peut-être pas cet art, cette maîtrise qu’il fallait pour transmettre le lingala aux jeunes.
Afrik.com : Quel public est réceptif aux ouvrages imprimés par vos éditions ?
Freddy Dzokanga : On n’a pas forcément l’identité de la personne qui vient acheter nos livres. Ils sont destinés à tous et on espère toucher le plus large public possible, notamment francophone, sachant que le Congo Brazzaville est une ancienne colonie française et que le Congo Kinshasa est une ancienne colonie belge. On dispose d’un nombre conséquent d’ouvrages traduits du lingala au français. Mais on imagine aisément des ressortissants français mariés à des personnes congolaises et des polyglottes en quête d’une nouvelle langue à apprendre ou encore des Congolais qui souhaitent améliorer leur niveau et qui veulent redécouvrir leur culture. Apprendre des langues africaines est parfois compliqué car peu de livres sont à leur disposition. Elles demeurent peu connues du public étranger. Ce n’est qu’honneur si des Occidentaux s’intéressent au lingala.
Afrik.com : Promouvez-vous les livres dans votre terre d’origine ? Quelle stratégie avez-vous mis en place pour faire connaître vos Editions ?
Freddy Dzokanga : Nous nous efforçons de le faire au Congo car c’est un patrimoine livresque impressionnant pour le pays. Les autorités locales sont au courant de nos activités. Nous avons déjà rencontré l’ambassadeur congolais en France qui nous soutient dans nos démarches. Mais ce n’est pas évident car les financements ne suivent pas toujours. Alors nous essayons de nous faire connaître par voie de presse. On essaye de faire un maximum de publicité.
Afrik.com : Quel impact a eu la création d’une telle structure ?
Freddy Dzokanga : On en est encore qu’au début. C’est un commencement qui ne prendra fin que lorsque les gens ne seront plus épris de culture. De nombreux étrangers citent notre père comme la référence du lingala en France. L’intérêt qu’éprouvent certains pour cette langue ne devrait pas s’éteindre avant longtemps.
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