Le charnier découvert à Relizane, en novembre dernier, pouvait laisser penser qu’une avancée allait avoir lieu sur le dossier des « disparus ». Une question sur laquelle les autorités algériennes s’imposent un silence presque total. Mais le lundi 12 janvier, au matin, le site de la fosse commune a été retrouvé vide de tous ossements humains, et de toute preuve matérielle.
Les « disparus » resteront disparus. Le charnier découvert en novembre 2003 près de Relizane, à 300 km à l’ouest d’Alger, n’existe plus. Le 28 décembre dernier, Mohamed Hadj Smaïn, militant de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), révèle photo et cassette vidéo à l’appui avoir découvert une fosse commune dans laquelle il a reconnu les effets personnels d’un « disparu », Saïdane Hadj Abed. L’homme a été enlevé devant son domicile, à H’madna, le 9 septembre 1996, en plein jour et devant sa famille. Comme les milliers d’autres « disparus » (estimés à 7 000 par la LADDH) illégalement arrêtés durant les années 1990 par les forces de sécurité algériennes, pour lien supposé avec le terrorisme, et dont les familles sont à ce jour sans nouvelles.
Son ravisseur est connu. Il s’agit de Mohamed Fergane, ancien maire de Relizane et chef des groupes d’autodéfense de la Wilaya (circonscription administrative), accusé de la disparition forcée de près de 200 personnes dans la région. A l’époque, il est formellement reconnu et dénoncé par la famille de Hadj Abed. Arrêté au printemps 1998 et mis en détention durant douze jours en compagnie de onze de ses hommes, il est finalement relâché, notamment sous la pression des chefs des groupes d’autodéfense du pays. A ce jour, le Tribunal militaire d’Oran les considère tous comme étant en liberté provisoire.
La justice impuissante
Après la révélation de Hadj Smaïn, la famille Abed a immédiatement posé une nouvelle plainte pour enlèvement et meurtre, « avec citations de noms ». Pour de nombreux observateurs, la preuve matérielle constituée par le charnier de Rélizane aurait pu conduire à la résolution de la première affaire de « disparu » en Algérie. En effet, la plupart des enlèvements enregistrés à ce jour ont été le fait des différents services des forces de sécurité algériennes. Et nul n’imagine que les chefs de ces services ne reconnaissent l’élimination ou le maintien en détention illégale de milliers d’Algériens. En revanche, il leur aurait sans doute peu coûté de lâcher le groupe d’auto-défense de Mohamed Fergane.
Dans son communiqué de presse, la LADDH se veut diplomate et n’accuse personne d’avoir nettoyé le site du charnier. Ce qui n’est pas le cas de son correspondant à Relizane : « Après la conférence de presse, j’ai été contacté par les services de gendarmerie qui m’ont demandé de les aider à localiser le site ‘pour établir la vérité’. Ils ont mis seize jours pour réagir. Sans doute le temps de recevoir les ordres de leur hiérarchie ! », raconte Hadj Smaïn. « Je leur ai remis les images et la cassette, grâce auxquelles ils ont pu localiser le charnier et le nettoyer. Ils n’ont même pas eu le courage de publier un communiqué pour prétendre qu’ils n’avaient rien trouvé. J’ai moi-même dit au chef de la gendarmerie que ce sont eux qui ont déplacé les corps. Il m’a répondu que des gens avaient dû le faire dans la nuit. Les citoyens qui ont assisté à l’opération et m’ont prévenu sont prêts à témoigner. » Le ministère de la Défense, dont dépend la gendarmerie, et auprès duquel Afrik a sollicité une réaction, a d’abord rompu l’échange téléphonique avant de demander de rappeler ultérieurement.
« Diffusion de crimes imaginaires »
« Je savais très bien qu’ils agiraient ainsi », précise le militant de la LADDH. « Ils l’avaient déjà fait en 2000-2001, lorsque j’avais photographié un site, où, selon des témoignages, se trouvait un charnier. Les gendarmes m’avaient pris les photos, avant de venir nettoyer l’endroit. Ils avaient effectivement trouvé des squelettes, selon les témoignages d’habitants et d’ouvriers des environs ». Mohamed Fergane, que Hadj Smaïn accuse alors dans la presse d’enlèvements et d’assassinats, poursuit ce dernier en justice pour « diffamation et dénonciation de crimes imaginaires ». C’est au cours de son procès que cinq familles reconnaîtront à nouveau en Mohamed Fergane et quelques uns de ses hommes les responsables de l’enlèvement de leurs proches. Sans provoquer la moindre réaction du président de la Cour.