Dominik Coco, les descendants d’esclaves ont grandi


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Dominik Coco
Dominik Coco

Invité au dernier festival Gospel et Racines à Cotonou (Bénin), Dominik Coco fait parti des chefs de file de la musique guadeloupéenne. Ancré dans la tradition, son travail est pour lui une revendication identitaire sur la réalité de la culture créole. Une culture aux racines africaines qui a su se recréer de façon originale pour développer ses propres spécificités. Interview.

Si les amateurs de zouk connaissent sans doute Dominik Coco à travers le groupe à succès Volt Face, le « chanteur de ces dames » a bien changé. Désormais en solo, il s’épanouit dans un registre qui lui correspond mieux. Un style plus roots qui lui ressemble et auquel il a dû trouver un nom : la Kako music. Défenseur de la culture créole, il s’appuie sur la tradition pour façonner ses sons et préfère d’abord avoir la reconnaissance et l’appui des siens pour s’exporter hors de son île. Clou musical de la semaine créole de la dernière édition du festival Gospel et Racines (2 au 8 août, Bénin), il mettait les pieds pour la première fois en Afrique.

Afrik : Comment définiriez-vous votre style de musique?

Dominik Coco : Ce n’est ni du zouk, ni du kompa, ni du dancehall. C’est un mélange de différents sons avec une base de musique traditionnelle, comme le gwo-ka par exemple (tambour traditionnel créole, ndlr). Le dernier album a d’ailleurs été très loin dans la recherche avec cet instrument. Mon style est un mélange de tradition et de modernité. On l’appelle Kako music. Ce sont de jeunes rappeurs de la Guadeloupe qui ont trouvé ce terme. Kako, c’est la couleur marron en créole. Elle signifie un certain métissage. J’ai tout de suite adhéré.

Quelle est l’origine du nom de votre groupe Karibean koumbeat?

Koumbeat vient du créole haitïen et signifie « coup de main, entraide ». Le vrai mot s’écrit koumbit mais j’ai écrit beat pour exprimer le tempo de la musique.

Que signifie exactement le titre de votre album Lakou zoboka?

Le quartier où j’ai grandi, auquel je rends hommage à travers le titre de mon dernier album, était très spécifique de l’urbanisme des quartiers antillais. Lakou zoboka signifie « La cour aux avocats » en français. La cour pouvait être celle qui se trouve derrière la maison. Ce terme pouvait également désigner tout un quartier ou même les séparations entre chaque maison. Il y avait un avocatier là où j’ai grandi, donc on appelait le quartier Lakou zaboka. C’était un mode de vie et d’éducation qui a tendance à disparaître. Ce titre est un clin d’œil au passé. Maintenant, il y a un immeuble là où j’ai grandi.

Au sein de votre ancien groupe à succès, Volt face, vous étiez estampillé chanteur de zouk love. Comment avez-vous opéré cette reconversion en solo, en vous appuyant sur une musique plus tournée vers les racines de la culture créole ?

Dans Volt Face, j’ai eu des succès de zouk love. Donc, les gens avaient tendance à me coller cette étiquette. En solo, je m’exprime entièrement et j’ai toujours œuvré en ce sens. La presse aime bien classifier les choses et les gens. Elle n’avait pas tardé à m’estampiller « Le chouchou de ces dames ». Notamment grâce au titre « Clair obscur » qui avait extrêmement bien marché. Mais je dois avouer que ça me fatiguait un peu. Quand on aime les femmes, on ne peut pas ne pas chanter l’amour, mais ce n’est pas mon créneau. Ma vision musicale n’est pas exclusivement constituée de ça. Lors de la séparation de Volte Face, à Paris, j’ai vu toute la difficulté pour un musicien antillais de percer là bas. Surtout avec le style que j’avais, vu que je ne faisais pas de la variété française. J’ai fait le choix de rentrer en Guadeloupe. Le groupe Volte Face était connu, mais ça ne suffit pas pour s’imposer en solo. Il a fallu tout reconstruire.

Vous tournez énormément avec votre groupe en Guadeloupe. Pourquoi privilégiez-vous cette stratégie de communication ?

Je trouve qu’on ne peut pas prétendre aller ailleurs alors qu’on n’est pas déjà connu chez soi. Il faut être maître chez soi car il est important d’avoir l’appui de son peuple. On se sent plus fort, parce que véritablement investi d’une mission. J’ai toujours considéré la musique comme une mission culturelle et éducative.

On assiste aujourd’hui à un retour la musique racine. Est-ce un mouvement que vous avez également observé ?

Le zouk est un peu comme de la pop. Mais, petit à petit, il y a une autre mouvance culturelle qui s’installe. Comme en témoignent des groupes tels qu’Akyo, très connu en Guadeloupe. Pourquoi cette émergence de la musique racine? Parce que les gens ont besoin de s’affirmer, c’est un mouvement revendicateur. Et ce à tous les niveaux. La même dynamique est à l’œuvre chez les écrivains.

Dans vos textes, vous parlez beaucoup de la Caraïbe, vous vous inscrivez également dans la même tendance ?

Nous sommes un peuple méconnu qui pâtit malheureusement d’une vision négative ou stéréotypée. A travers Lakou zoboka, je fais en sorte de parler des Antilles à ceux qui vont écouter l’album. Il n’y a pas de raison pour ne pas être fier. Je suis fier d’être Guadeloupéen, parce qu’au-delà de nos racines africaines, nous avons créé des choses, à l’image du gwo-ka. L’instrument ka a voyagé dans l’esprit de l’esclave. Puis nous l’avons recréé, nous avons également développé nos propres rythmes. Nous avons inventé beaucoup de choses, comme notre langue : le créole. Nous n’avons pas à être complexés, même si nous ne sommes qu’un petit point sur la carte. C’est un peuple qui est là. Pour autant, je ne veux pas être nombriliste et tout mon travail va dans le sens de la découverte et du partage car c’est bien d’en parler aux autres.

Dans le cadre de Gospel et Racines, vous veniez en Afrique pour la première fois. Quel effet cela vous a-t-il fait ?

C’est assez spécial pour nous car nous sommes des descendants de ce continent. Je viens ici en toute humilité, mais je ne viens pas tête basse. Je pense que la diaspora a son rôle à jouer au niveau du développement du continent. Ce que j’ai noté de plus étonnant est qu’on observe ici un mouvement identitaire inverse par rapport aux Antilles. L’Afrique se tourne de plus en plus vers l’Occident, alors que nous nous tournons de plus en plus vers nos racines.

Pour acheter le disque de Dominik Coco, Lakou zaboka, Koumbeat Production, distribution Next Music (2003)

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