Contracter une assurance n’est pas une pratique banale en Afrique, et elle demeure particulièrement rare chez les Africains à faibles revenus. Une étude réalisée en octobre dernier par le Fonds pour l’innovation en micro-assurance de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et le MicroInsurance Centre, a révélé que sur le continent seuls 2,6 % de la population vivant avec moins de 2 dollars US par jour étaient couverts par des produits de micro-assurance. Pourtant, ces derniers pourraient protéger cette population contre les risques qu’elle encoure. L’OIT œuvre à changer la donne, mais de nombreux freins demeurent, au premier rang desquels l’accessibilité et l’éducation. Eclairage.
« La micro-assurance est un mécanisme de protection des personnes à faibles revenus contre les risques (accident, maladie, décès dans la famille, catastrophe naturelle, etc.) en échange du paiement d’une prime d’assurance calculée en fonction de leurs besoins, de leurs revenus et du niveau du risque concerné », selon la définition du Fonds pour l’innovation en micro-assurance, l’organisme créé au sein du BIT en 2008 pour contribuer à l’extension de l’assurance à des millions de personnes à faibles revenus dans les pays en développement.
L’Etat des lieux de la micro-assurance en Afrique, une étude qu’il a publiée en octobre 2009 avec le MicroInsurance Centre [En collaboration avec l’Organisation des Assurances Africaines, la Fédération des Sociétés d’Assurances de Droit National Africaines (FANAF), le Programme STEP de l’OIT et la Concertation (une association d’acteurs des mutuelles de santé en Afrique)], révèle à quel point la pratique est peu développée en Afrique. Cette étude, menée dans 32 pays d’Afrique, a recensé seulement 14,7 millions de personnes couvertes par des produits de micro-assurance, soit environ 2,6 % de la population vivant avec moins de 2 dollars US par jour.
De plus, sur ce nombre, l’Afrique du Sud, où la souscription à une assurance obsèques est très répandue, couvre à elle seule 8,2 millions de personnes, soit près de 56 % du total. Pourquoi la micro-assurance est-elle si peu répandue sur le continent africain ? Comment faire pour qu’elle se développe ? Responsable de l’unité Micro-assurance au sein du Département des Finances sociales du Bureau International du Travail, directeur du Microinsurance Network et expert mondial de la question, Craig Churchill nous livre son éclairage sur le sujet.
Afrik.com : Pourquoi le taux d’Africains à faibles revenus assurés est-il si faible ?
Craig Churchill : Sans doute le défi majeur à relever pour populariser à large échelle la micro-assurance concerne l’accessibilité. Les produits doivent être conçus pour répondre aux besoins spécifiques des clients pauvres, ils doivent être disponibles (même dans les régions reculées) et abordables, le paiement des primes doit être structuré de façon à convenir au budget des familles pauvres. Enfin, l’accès est aussi intellectuel. Les assureurs en Afrique constatent, sur le plan de la demande, que l’expansion de la micro-assurance est entravée par le manque de compréhension des concepts de l’assurance et les confusions qui existent par exemple avec les mécanismes d’épargne (les clients s’attendent à récupérer leurs primes si aucun sinistre n’a eu lieu) et mettent en avant la nécessité de l’éducation des consommateurs afin de faciliter les ventes.
Ce n’est que lorsque les populations à faibles revenus verront la micro-assurance comme une valeur ajoutée dans leur manière de gérer les risques que la croissance de l’industrie connaîtra un véritable essor. Sur le plan de l’offre, les assureurs notent que leurs difficultés sont essentiellement liées à l’efficience des systèmes existants qui ne répondent pas aux besoins du secteur. Les coûts administratifs sont élevés, les systèmes de gestion des informations encore mal organisés et le personnel des compagnies d’assurance n’est pas toujours formé de manière suffisante pour ce type de marché.
Pourquoi les Africains du sud pauvres souscrivent-ils plus volontiers à des assurances qu’ailleurs sur le continent ?
Le succès est en effet notable avec les produits traditionnels tels que l’assurance funérailles. L’industrie de la micro-assurance en Afrique du Sud est structurée autour de quelques porteurs de risques qui sont très innovants. Old Mutual par exemple teste l’approche du « guichet unique », offrant une gamme complète de services financiers aux clients à faible revenu. Dans les zones rurales, le système d’affiliation tire parti d’une forte culture de la gestion des risques de manière informelle et prend appui sur les groupes pré-existants en collaboration avec 1 000 sociétés funéraires, stokvels et salons funéraires.
Comment expliquez-vous que les assurances les plus fréquemment souscrites par les Africains à faibles revenus soient des assurances vie ?
L’assurance vie crédit est la plus simple et la moins onéreuse à mettre en place et c’est déjà une ligne d’activité qui est rentable. De nombreux assureurs ne s’aventurent pas hors des sentiers battus malgré le fait que ce type de couverture ne corresponde pas aux besoins du plus grand nombre. Cependant, les efforts pour fournir d’autres produits – tels que l’assurance santé, agricole ou sur les biens – sont une réponse importante aux besoins des populations à faibles revenus et permettent d’expérimenter sur le terrain des solutions à partir desquelles d’autres assureurs peuvent s’inspirer et apprendre ce qui fonctionne et ce qui constitue un défi. Ces innovations à terme devraient se traduire par l’augmentation des ventes des autres produits.
Quels types de prestataires sont présents sur le marché de l’assurance des Africains pauvres ?
La micro-assurance ne se réfère pas à la taille de l’assureur, même si certains prestataires en Afrique sont en effet de taille modeste et ont même une structure informelle. Il existe des exemples de très grandes entreprises qui offrent des produits de micro-assurance, y compris des multinationales comme Allianz, AIG et Zurich.
Sous diverses formes, la micro-assurance est disponible en Afrique depuis un certain nombre d’années. Les coopératives d’assurance ont servi différents segments de population depuis les années 1970. Dans les années 1980, de nombreux régimes d’assurance maladie communautaires, en particulier en Afrique de l’Ouest, ont été créés. Au milieu des années 1990, les assureurs privés ont commencé à investir le marché de la micro-assurance, offrant des produits spécifiques pour les populations démunies. Quant à la micro-assurance informelle, elle est disponible depuis des décennies sous des formes variées allant des «tontines» en Afrique de l’Ouest ou des groupes «Friends in need », en Afrique de l’Est, en passant par les sociétés funéraires en Afrique du Sud.
Quel intérêt un assureur a-t-il à couvrir des personnes qui ont de faibles revenus ? A première vue, cela ne paraît pas commercialement profitable.
Le marché potentiel de la micro-assurance représente une opportunité non négligeable pour les assureurs. La micro-assurance cible les travailleurs pauvres; ce segment constitue un marché en Afrique d’environ 700 millions de personnes. En supposant un potentiel pour les dépenses consacrées à l’assurance de 5% du PIB (Sigma 3, 2009 chiffre pour l’Afrique du Sud), le marché de la micro-assurance en Afrique représente environ 25 milliards de dollars. Le rayonnement actuel en Afrique de la micro-assurance est très loin de ces chiffres. Seulement 14,7 millions de vies sont couvertes, ce qui représente environ 257 millions de dollars en primes reçues, soit 1% de la valeur potentielle du marché à l’échelle continentale.
La majorité des prestataires de micro-assurance en Afrique reconnaissent ce potentiel : plus de 70%, conviennent que le nombre de polices de micro-assurance, au sein de leur marché national, augmentera de plus de 10% l’année prochaine, et environ 40% pensent que le marché va doubler au cours des cinq prochaines années. Pour les assureurs commerciaux, la micro-assurance représente un énorme marché inexploité et un bon moyen de diversifier leurs activités; selon Colette patience de Old Mutual en Afrique du Sud : «Le marché des personnes à faible revenu est le nouveau point de croissance [pour les assureurs] non pas dans une perspective de responsabilité sociale des entreprises, mais bien d’un point de vue commercial ».
Nombre de pauvres n’imaginent même pas qu’ils pourraient s’assurer. Comment faire évoluer les mentalités ?
Eduquer les consommateurs et bâtir des relations de confiance entre clients et prestataires sont définitivement des points essentiels pour activer à court terme la demande en micro-assurance. Investir dans l’éducation des consommateurs aidera les clients potentiels à développer une compréhension plus claire des concepts et des avantages de l’assurance et à choisir des produits en toute connaissance de cause. Il existe actuellement en Afrique environ 50 projets d’éducation des consommateurs qui travaillent avec une multitude d’outils de sensibilisation tels que les médias de masse, les bandes dessinées, les affiches ou des ateliers. Mais tous les assureurs et les canaux de distribution s’accordent à dire que le meilleur outil pour développer tant la compréhension des mécanismes de l’assurance que la confiance consiste en une diligente gestion des sinistres.
L’Afrique aurait, selon l’étude de l’OIT, un « gros potentiel d’expansion et de croissance de la micro-assurance ». Comment pourrait-il s’exprimer ?
Bien que la progression de la micro-assurance en Afrique au cours des trois dernières années soit impressionnante, la majorité du continent africain demeure un marché inexploité. Les produits pour la santé, l’agriculture et la propriété représentent une fraction minime des polices d’assurance vie et couvrent peu les besoins des populations à faible revenu. Les régimes d’assurance santé ont des difficultés à atteindre des volumes importants. Quant aux systèmes de sécurité sociale, ils restent parcellaires dans la plupart des pays africains. Il est possible d’atteindre des centaines de millions de personnes à faible revenu en Afrique, mais la croissance de l’industrie repose sur de solides fondations.
Les éléments essentiels à la réussite du secteur sont en priorité une grande diversité de fournisseurs, des clients bien informés qui comprennent la valeur de la micro-assurance, des canaux de distribution innovants, une efficacité renouvelée pour atteindre le marché et réduire les coûts administratifs, et le renforcement des capacités pour développer, vendre et gérer des produits de meilleure qualité. Le secteur de la micro-assurance en Afrique pourra alors fonctionner comme le marché de l’assurance standard et deviendra tout simplement une autre branche des opérations des assureurs commerciaux.
Comment, concrètement, le « Fonds pour l’innovation en micro-assurance », créé en 2008 au sein du BIT, compte-t-il contribuer au développement des produits d’assurance parmi les Africains à faibles revenus ?
Le but premier du Fonds est d’étudier la façon dont les ménages à faibles revenus peuvent tirer le meilleur avantage de l’assurance et la mesure dans laquelle elle peut être développée avec succès par un ensemble de porteurs de risques, y compris les compagnies d’assurance et les organisations de la société civile. Nous cherchons à atteindre cet objectif en favorisant l’innovation sur le terrain, puis en jouant un rôle actif dans la collecte, l’analyse et la diffusion des résultats des expériences qui ont été menées. Nous espérons par le biais de la diffusion de bonnes pratiques et le développement d’un dialogue fécond entre les prestataires apporter indirectement un bénéfice à des millions de personnes à faibles revenus à travers le monde en développement.