Le rôle des membres du parti FPR au pouvoir à Kigali ne sera plus exclu des enquêtes menées par le tribunal pénal international à propos des crimes de 1994. Ainsi en a décidé le procureur, en vue de mettre fin aux soupçons d’une justice partiale.
Le procureur du tribunal international poursuivra les auteurs de crimes commis en 1994 par le Front Patriotique Rwandais (F.P.R.) Longtemps qualifié de » justice de vainqueurs « , le tribunal ne jugeait jusqu’ici que les responsables hutus du génocide. En poursuivant les responsables FPR, Carla del Ponte instaure un nouveau rapport de forces entre le tribunal international et les autorités rwandaises.
Le tribunal international n’est plus une » juridiction de vainqueurs. » Suspecté de n’accueillir dans le box des accusés que les leaders hutus responsables des crimes commis en 1994, le tribunal offrait jusqu’ici une image partiale de la justice. Ce 13 décembre, le procureur du tribunal international tournait une nouvelle page. Lors d’une conférence de presse à Arusha, Carla del Ponte a évoqué les enquêtes menées par ses services sur les crimes commis par des soldats du Front Patriotique Rwandais.
Parti au pouvoir, le F.P.R. a dû mener une guerre de quatre ans avant de prendre Kigali juste après le génocide de 1994. La guerre civile, engagée avec l’incursion de ses troupes depuis l’Ouganda en octobre 1990, avait pris fin dans la tourmente du génocide de 1994, planifié par les extrémistes hutus alors au pouvoir. Dans la débâcle, le » parti victime » avait pris les rênes du pouvoir. Non sans commettre des crimes maintes fois dénoncés dans différents rapports. Mais malgré les nombreux témoignages sur les exactions commises par les troupes du F.P.R., le tribunal ne délivrait aucune accusation. Seuls étaient inculpés les responsables hutus du génocide, faisant dire à ses détracteurs que l’institution était partiale, établie au service » des vainqueurs. »
Le FPR n’a jamais planifié l’élimination de l’ethnie hutue
Et pour cause. Jusqu’à l’arrivée de Carla del Ponte fin 1999, impossible, disait-on, de mener des enquêtes sur les membres du parti aujourd’hui au pouvoir à Kigali. Les autorités rwandaises auraient, craignait-on alors, annulé toute coopération avec l’institution, empêchant les enquêteurs de travailler au Rwanda et les témoins de se rendre à Arusha, siège du tribunal. Bref, Kigali avait le pouvoir de condamner l’institution onusienne à fermer ses portes. En remplissant son mandat – la poursuite des crimes commis au Rwanda durant l’année 1994 – Carla del Ponte équilibre aussi le rapport de forces entre le tribunal et le pouvoir à Kigali.
Diplomate, elle affirme avoir évoqué la question avec le président rwandais Paul Kagame. Prudente, elle ne délivre à ce jour aucun nom, mais promet de poursuivre les plus hauts responsables de ces crimes. Enfin, il n’est nullement question d’inculpation pour génocide. Si le FPR a mené une guerre civile, il n’a jamais planifié l’élimination de l’ethnie hutue. Les responsables militaires devront donc répondre de crimes contre l’humanité ou crimes de guerre.
En un an, le procureur international aura levé deux tabous. Celui des crimes commis par le FPR, et celui de l’enquête sur les auteurs de l’attentat ayant coûté la mort du président Habyarimana à la suite de laquelle le pays plongeait dans le génocide.
Qui des extrémistes hutus ou du FPR est l’auteur de cet attentat ? La question reste posée. En France, le juge antiterroriste Bruguière a rouvert le dossier, suite à une plainte déposée dans ce pays. La Suissesse promet de tenir compte des résultats de l’enquête, s’ils révèlent une relation de cause à effet avec le génocide. La question était évacuée depuis six ans par le tribunal international.
Stéphanie Maupas
Stéphanie Maupas, collaboratrice d’afrik.com, est la rédactrice en chef du site Diplomatie judiciaire. Elle est notamment spécialisée dans les questions relatives au drame rwandais.