Les touristes sont de plus en plus nombreux à prendre l’avion pour l’Afrique. Mais près des deux tiers des compagnies qui les transportent sont de grandes multinationales occidentales qui mettent en danger les transporteurs africains dans un marché qui ne fait pas de place aux petits, selon Christian Folly-Kossi. En s’appuyant sur l’exemple de la Royal Air Maroc, le président de l’Association des compagnies aériennes africaines explique à Afrik ce qu’il préconise pour un meilleur développement des compagnies du continent.
De notre envoyé spécial à Genève Saïd Aït-Hatrit
C’est en partie parce que le trafic aérien a explosé en quelques années que les voyageurs occidentaux n’ont jamais été aussi nombreux à se rendre sur le continent africain en 2005. Mais sur la totalité des rotations effectuées dans le ciel du continent, près des deux tiers l’ont été par les grandes compagnies aériennes occidentales. Ce qui ne réjouit pas Christian Enyonam Folly-Kossi, le président de l’l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa). D’autant que les petits transporteurs nationaux disparaissent les uns après les autres et que le marché unique, appelé des vœux de la commission européenne, pourrait aggraver la situation. L’exemple de la Royal Air Maroc (Ram), qui vient successivement d’entrer dans le capital d’Air Sénégal (2000), Air Gabon (fin 2005) et Air Mauritanie (2006), est à quelques détails près celui qu’il faut suivre, estime Christian E. Folly-Kossi. Le Togolais, qui dirige l’Afraa depuis son siège de Nairobi, au Kenya, est intervenu à Tourism Africa, à Genève (10-15 septembre), en compagnie du vice-président de l’Iata (Association internationale des transports aériens). Il revient avec Afrik sur les solutions préconisées par son association pour que survive une aviation africaine.
Afrik : La Ram, qui vient d’annoncer son entrée majoritaire dans le capital d’Air Mauritanie, après s’être associée à Air Sénégal et Air Gabon, semble aller dans la voie prônée par l’Afraa…
Christian E. Folly-Kossi : Nous avons souvent donné l’exemple de la Ram et d’Air Sénégal comme un modèle. Nous pensons que si nous prenons l’Afrique comme un train et que les grosses locomotives du Maghreb tirent les wagons centraux en même temps que la machine arrière sud-africaine pousse, nous pourrons rattraper les pays du Nord. C’est à l’aune de cette image que nous considérons que la Ram joue son rôle dans le partenariat Sud-Sud. Les pays de la Cemac (Communauté économique et monétaire des Etats d’Afrique centrale, ndlr) avaient le projet de fonder une compagnie régionale avec la Ram, mais leur ambition a sans cesse diminué, jusqu’à ce que le projet initial accouche d’Air Gabon International. La seule chose, lorsque l’on fait ce genre de développement, est qu’il faut regarder à long terme et faire de la place aux autres…
Afrik : C’est-à-dire aux Etats ?
Christian E. Folly-Kossi : Aux Etats où l’on s’associe. Il faut trouver des associés et je conseille que se soient des privés. Mais il faut que les entreprises soient des entreprises communes et non appartenant à la Ram. Et je sais que c’est aussi la volonté de la société marocaine.
Afrik : L’une des volontés de la Ram dans le projet de la Cemac était que les Etats ne se mêlent pas de la compagnie…
Christian E. Folly-Kossi : Il est d’abord dommage que la Ram soit elle-même une compagnie d’Etat. Mon constat est que les Etats ont échoué dans la constitution de compagnies. Même en Europe. C’est pourquoi nous recommandons que les partenaires soient privés. Là où les Etats n’ont plus de compagnies, nous recommandons que les nouvelles soient des multinationales privés, où des hommes d’affaires de plusieurs pays puissent s’unir. Nous devons implanter l’idée que l’Etat n’a pas forcément à être dans une société pour la soutenir. Si vous traitez avec Bouygues en Afrique, l’une des premières personnes que vous verrez est l’ambassadeur de France. Car l’Etat est conscient que cette société crée des emplois. Quand Thomson a un problème, l’Etat se lève tout de suite.
Afrik : Le représentant d’Ethiopian Airways soulignait lors de la conférence (Tourism Africa) que le moindre Etat souhaite avoir sa compagnie, ce qui aboutit souvent à un échec…
Christian E. Folly-Kossi : J’estime, comme lui, que chaque pays ne doit pas nécessairement avoir sa compagnie. Et que l’Etat doit laisser faire un certain nombre de privés pour investir dans les unités viables, sans tenir compte des problèmes de nationalités.
Afrik : Existe-t-il des exemples récents de tentatives de partenariats qui ont échoué par la faute d’un Etat ?
Christian E. Folly-Kossi : Si le projet de la Ram n’a pas pris pour donner corps à une compagnie sous-régionale dans la Cemac, c’est bien que des Etats ont bloqué…
Afrik : Quelles sont les compagnies africaines en mesure d’être les moteurs du continent ?
Christian E. Folly-Kossi : Elles sont quatre : South African Airways, Egypt Air, Air Algérie et la Ram. A partir de là, vient un lot de compagnies qui se valent : Ethiopian Airways, Tunis Air, Kenya Airways, Air Mauritanie, Afriqiya et Air Sénégal.
Afrik : Lesquelles ont déjà contracté des partenariats ?
Christian E. Folly-Kossi : Kenya Airways avec Precision Air, une compagnie tanzanienne, et South african airways s’est engagé dans le capital d’Air Tanzania. Mais ces deux dernières sont en train de divorcer. Chacune a sa version sur les raisons qui les y poussent. Tunis Air avait des intentions vers le Mali, de même qu’en direction du Malawi et de la Tanzanie.
Afrik : Quelles solutions envisagez-vous afin de rendre les déplacements entre pays africains moins longs ?
Christian E. Folly-Kossi : Aller de Niamey à Ndjamena peut prendre jusqu’à trois jours, en passant par Abidjan, voire par Addis-Abeba. Nous sommes en train de voir comment développer un logiciel informatique afin que les compagnies puissent mieux coordonner leurs programmes pour les vols de continuation. Par ailleurs, j’essaye de convaincre les décideurs de la nécessité d’une libéralisation du ciel africain et d’accepter les investissements sans considération de nationalité, à part celle de l’Afrique.
Afrik : Cela exclut-il l’Europe ?
Christian E. Folly-Kossi : Non… Mais nous avons très peu de propositions des compagnies européennes. Et lorsque nous en avons, nous devons nous assurer que les partenaires vont accepter un développement de l’industrie africaine sans conditionner leur partenariat, en réservant, par exemple, des lignes à leur seule compagnie. Tant que le partenaire vient avec le souci de faire de l’argent et de le partager, nous l’encourageons. Air Afrique a ainsi eu son rayonnement, avec UTA (Union des transports aériens), avant que la compagnie ne disparaisse.
Afrik : Vous vous positionnez pour l’ouverture du ciel africain mais non européen…
Christian E. Folly-Kossi : La mondialisation voudrait que chacun puisse se développer s’il s’ouvre au monde. Mais cela ne se passe pas comme ça. Quand la Chine envahit le monde avec son textile, l’Europe dit ‘contingentement’. Quand le Japon déverse ses composants électroniques sur la planète, l’Europe dit ‘contingentement’. Il est injuste de nous mettre sur un pied d’égalité avec les compagnies occidentales. La boxe, qui a créé des catégories afin qu’un poids plume n’affronte pas un lourd, l’a compris. Or, c’est l’inverse que propose la mondialisation. Nous disons qu’il faut réguler le marché aérien et trouver un équilibre afin que les petites compagnies puissent le pénétrer. Une des façons de le faire est de promouvoir la vraie coopération. Faire des lignes ensemble et les partager. Ce que nous faisions avec UTA.
Afrik : Air France vous a-t-elle proposé des partenariats selon les conditions respectables que vous évoquez ?
Christian E. Folly-Kossi : Jamais. Nous le faisons de notre côté pour indiquer que nous restons des amis, mais non.
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