Le tribunal de Prétoria en Afrique du Sud a rendu, mardi, un verdict qui accorde aux Sud-africains d’origine chinoise la possibilité d’être classés dans la catégorie « race noire », en vertu des discriminations qu’ils ont subies pendant l’Apartheid. A ce titre, ils pourront bénéficier des mécanismes de discrimination positive en vigueur dans le pays depuis les premières élections multiraciales, mais seront aussi confrontés aux dysfonctionnements du système.
Les Sud-Africains d’origine chinoise ont été reconnus comme « noirs » par le tribunal de Prétoria dans un jugement rendu mardi. L’Association chinoise d’Afrique du Sud (CASA) avait porté une action en justice contre les discriminations subies par les membres de leur communauté en Afrique du Sud sous le régime ségrégationniste jusqu’en 1994. Depuis 2000, l’association insistait pour qu’un statut de métis leur soit rendu dans le cadre de la politique d’émancipation des noirs de la nation arc-en-ciel.
Ces Chinois sud-africains de la deuxième ou troisième génération, immigrés depuis plus d’un siècle, on souffert du régime de l’Apartheid au même titre que les Noirs ou les Indiens. Le système de classification des races les considérait comme métis et les stigmatisait. « En tant que Chinois sud-africains, nous étions classés comme métis sous l’Apartheid et nous avons souffert de la discrimination comme toutes les autres races sauf les Blancs » a expliqué à la presse Patrick Chong, le président de la CASA, au sortir du tribunal. A présent figurera sur leurs pièces d’identités, comme sur tout document administratif les concernant, une mention les classant comme citoyens noirs.
Candidats à la discrimination positive
Cette décision de justice apparaît comme hautement symbolique, mais répond aussi, pour tous les sud-africains d’origine chinoise, à une nécessité d’intégration économique et sociale. Depuis la fin de l’Apartheid, au début des années 90, la mixité et l’égalité ne vont pas de soi. Pour tenter d’y remédier, le Congrès National Africain (ANC), au pouvoir depuis 1994, a instauré des règles et des critères d’emploi pour le domaine des affaires et dans les secteurs public et parapublic.
Cette « Affirmative Action », calquée sur son inspiratrice américaine, tend à une meilleure représentation de la majorité noire dans les secteurs économiques du pays. Le BEE (« Black Economic Empowerment ») vise l’émancipation économique des « classes raciales » dominées pendant le régime de l’Apartheid, de 1948 à 1994. Cet accès à l’égalité se décline aussi via l’ « Employment Equity Act », une mesure de discrimination positive à l’embauche qui doit favoriser les Noirs, les métis, les Indiens, les femmes et les handicapés. Ces mécanismes de correction des inégalités économiques s’accompagnent également d’une facilité d’achat d’actions de grandes firmes cotées en Bourse. C’est à ces dérogations que les sino-africains aspirent à accéder depuis plus de 10 années. Désormais, ce sera chose possible grâce à ce nouveau « statut » qui vient de leur être accordé. Pour cette communauté forte de 10 000 membres à travers l’Afrique du Sud (selon des chiffres fournis par la CASA), c’est d’une véritable reconnaissance dont il s’agit.
Les dérives du système
Cette décision de justice va mettre fin à la marginalisation socio-économique dont souffrent les chinois d’Afrique du Sud. Mais elle met en exergue les nombreux dysfonctionnements inhérents à cette discrimination positive. Instauré pour faire office de « rattrapage » après les horreurs de l’Apartheid, ce système poursuivait le but de promouvoir une classe moyenne noire. Mais en favorisant l’accès de certains d’entre eux aux meilleurs postes ainsi qu’à un « actionnariat noir », cette politique d’intégration prioritaire s’est montrée sélective et a développé les inégalités sociales au sein du groupe. Très élitiste, elle n’a pas permis d’améliorer les conditions de vie de tous ceux qui méritaient ce « rattrapage ». Les bénéficiaires se sont installés dans les anciens quartiers blancs et ont adopté le mode de vie bourgeois des anciens afrikaners. Dans les townships, le niveau de vie est demeuré au plus bas.
Autre effet pervers de la discrimination positive, la fuite des blancs qualifiés d’Afrique du Sud. Se sentant lésés à leur tour, beaucoup n’ont pas digéré les départs en retraite anticipés où les licenciements abusifs libérant des postes destinés aux Noirs. C’est une véritable fuite des cerveaux, qui s’exilent en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande, au Canada ou aux Etats-Unis… Selon une étude du South African Institute of Race Relations (SAIRR), publiée en 2006, un million de Sud-Africains blancs ont quitté le pays pour des raisons liées à l’ «Affirmative Action » depuis 1995. Les mécanismes préférentiels ont ainsi fait perdurer la logique d’exclusion d’un groupe basée sur la « race ». Avec l’accession des chinois sud-africains au même rang que les noirs sud-africains, que les métis sud-africains et que les indiens sud-africains, le régime post-ségrégationniste accentue donc davantage la formation d’une classe d’affairistes bourgeois, faisant perdurer la division de la société en castes raciales.
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