Les chimpanzés au chevet des hommes


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Sabrina Krief en forêt

Les chimpanzés du parc naturel de Kibale, au Sud-ouest de l’Ouganda, utilisent des plantes pour soigner certaines maladies. C’est ce qu’il ressort des recherches d’une équipe franco-ougandaise, qui s’évertue à trouver en laboratoire quels composants sont actifs. Entretien avec Sabrina Krief, une vétérinaire-primatologue qui participe aux tests.

L’homme a encore beaucoup à apprendre des chimpanzés. Ces grands singes parviennent à éviter les plantes toxiques et à utiliser des végétaux inoffensifs pour se débarrasser de leurs parasites et soigner certaines maladies. La vétérinaire-primatologue Sabrina Krief l’a constaté au Congo avant de le vérifier en Ouganda, où elle s’est déjà rendue une douzaine de fois dans le cadre de recherches. Une équipe franco-ougandaise, dont cette chercheuse fait partie, travaille depuis plusieurs années à isoler les molécules actives et à déterminer sur quels maux elles agissent. Sabrina Krief, également maître de conférence au Muséum national d’histoire naturelle, revient avec enthousiasme sur les travaux réalisés et sur ce qu’ils pourraient apporter à l’homme.

Afrik.com : Qu’avez-vous constaté sur le comportement alimentaire des chimpanzés au Congo ?

Sabrina Krief :
J’ai travaillé au Congo, pour ma thèse vétérinaire, sur un groupe de chimpanzés orphelins qui avait toujours vécu avec l’homme et que l’on venait de relâcher en milieu naturel. Nous voulions voir s’ils arriveraient à s’adapter et à éviter les plantes toxiques. Comme ils ont réussi à survivre sans supplémentation de l’homme, l’idée nous est venue de voir comment ils discriminaient les plantes toxiques.

Afrik.com : Puis vous vous êtes rendue en Ouganda…

Sabrina Krief :
J’ai travaillé dans le parc naturel de Kibale, dans le Sud-Ouest. Grâce à une collaboration avec l’équipe de Richard Wrangham, un anthropologue de l’université d’Harvard, nous observons des chimpanzés habitués depuis 20 ans à être suivis par l’homme. Nous pouvons vivre avec eux au quotidien, repérer ceux qui sont malades et voir si leur comportement alimentaire change en conséquence, s’ils consomment des plantes que le reste du groupe n’a pas l’habitude de consommer. Nous prenons alors ces plantes et procédons aux tests d’activité biologique.

Afrik.com : Parmi les espèces que de plantes qui soignent, vous avez trouvé une espèce d’albizia. Quelles sont ses propriétés ?

Sabrina Krief :
Nous avons observé un chimpanzé qui avait des problèmes digestifs : elle avait un parasite. Nous avons constaté qu’elle s’éloignait du groupe pour prendre une plante que les autres ne consommaient que rarement. J’ai récolté cette plante et j’ai trouvé une molécule qui tuaient les cellules cancéreuses et les parasites digestifs.

Afrik.com : Et pour ce qui est d’une espèce de trichilia ?

Sabrina Krief :
Elle était consommée par un seul individu du groupe. Cela nous a permis de mettre en évidence une molécule nouvelle qui n’avait jamais été isolée de cette plante. Il semble qu’elle permet de lutter contre le paludisme, mais c’est difficile de l’affirmer car nous savons peu de choses sur le paludisme du grand singe, qui développe moins de symptômes que l’homme. Peut-être que le chimpanzé utilise cette plante pour une autre raison que le paludisme. Toutefois, les tests d’activité biologique indiquent que la molécule isolée a une activité comparable à celle de la chloroquine, utilisée contre le paludisme.

Afrik.com : Ces plantes peuvent-elles permettre de lutter contre d’autres maux ?

Sabrina Krief :
L’institut de chimie des substances naturelles, qui appartient au CNRS (Centre national de recherche scientifique, ndlr) français, a un contrat avec certains groupes pharmaceutiques, dont les laboratoires Servier, qui font des tests sur les autres maladies. Pour le moment, les recherches ne sont pas allées très loin, mais ces recherches complètent les nôtres.

Afrik.com : Les tradipraticiens utilisent apparemment certaines des plantes que prennent les chimpanzés pour se soigner. Sont-ce qui copient les chimpanzés, ou l’inverse ?

Sabrina Krief :
C’est l’un des sujets sur lesquels nous comptons travailler. Florence Brunois, une ethnologue du Muséum d’histoire naturelle, a fait une étude préliminaire pour voir s’il y a des recoupements entre les plantes utilisées par les chimpanzés et les hommes. Nous avons quelques pistes car, lorsque nous demandons aux tradipraticiens s’ils utilisent en médecine traditionnelle telle espèce de plante, ils nous répondent que non parce que les chimpanzés ne le font, ce qui pourrait signifier qu’elle est peut-être un poison.

Afrik.com : Comment l’Ouganda collabore aux travaux ?

Sabrina Krief :
Nous travaillons avec l’université de Makerere et plus précisément avec le botaniste John Kasenene, directeur de la station de recherche en biologie. Avec lui, nous avons mis en place une petite équipe ougandaise qui collabore aux travaux d’ethnobotaniques. Nous travaillons avec l’Uganda Wildlife Authority (l’autorité en charge de la faune et de la flore d’Ouganda, ndlr) qui nous indique avec quelle plante travailler, car le but est aussi de conserver les espèces et de synthétiser les molécules intéressantes plutôt que de couper les forêts où vivent les grands singes. A terme, nous aimerions d’ailleurs développer une agroforesterie. Nous voulons souligner que les forêts africaines sont de grandes richesses pour les animaux, pour les hommes mais aussi pour l’occident dont les compagnies pharmaceutiques qui pourront créer de nouveaux médicaments.

Afrik.com : Peut-on espérer prochainement un médicament à base des molécules efficaces que vous avez trouvées ?

Sabrina Krief :
Lorsque l’on trouve une molécule très active, il faut entre 10 et 15 ans pour développer un médicament. D’autant qu’il faut parfois modifier la molécule pour qu’elle soit moins toxique.

Droits photos : J.M. Krief pour la photo de Sabrina Krief et « La Repubblica » pour le chimpanzé

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