Une conférence des Chefs d’État des six pays de la CEMAC (Cameroun, Congo Brazzaville, Gabon, Guinée Équatoriale, Tchad et République Centrafricaine) se tiendra le 16 décembre 2024 à Yaoundé la capitale camerounaise, information confirmée aussi bien par des sources internes au ministère des Finances qu’à la banque des État de l’Afrique centrale (BEAC). D’ailleurs une session du comité de politique monétaire (CPM) de cette banque centrale commune aux pays de la CEMAC, initialement prévue ce même 16 décembre, a été renvoyée à une date ultérieure.
Pourquoi cette convocation des Chefs d’État de la CEMAC à Yaoundé?
Sauf changement de dernière minute, les Chefs d’État de la CEMAC seront tous présents à Yaoundé, pour discuter de la fragilisation de la stabilité macroéconomique du fait d’une diminution des réserves de change. En effet, ces réserves en devises dont 50% sont centralisées dans le compte d’opération ouvert dans les livres du trésor français et qui permettent aux pays de la CEMAC d’assurer solidairement leurs importations de biens et services ont diminué ces derniers mois… Et ne peuvent désormais assurer que 2,1 mois d’importations, en excluant les appuis budgétaires déjà reçus.
Ces réserves avaient pourtant été projetées à 4,5 mois d’importations fin 2024 contre 4,8 mois en 2023 par le Comité de politique monétaire de la BEAC lors de sa session du 23 septembre 2024. Il est important tout de même de noter que cette projection de la banque centrale intégrait les appuis budgétaire déjà reçus et à recevoir, notamment du Fonds Monétaire International (FMI) au profit du Cameroun, du Congo Brazzaville et de la RCA. Cependant les fonds attendus du FMI, qui devaient permettre d’améliorer la situation des avoirs extérieurs des États de la CEMAC, n’ont pas encore été décaissés.
Une fragilité de la stabilité macroéconomique aux origines multiples
Pour le programme de formation en politique économique (GPE) de l’Université de Yaoundé-II dirigé par la Pr Viviane Ondoua Biwole, le Cameroun, le Congo Brazzaville et la RCA «risquent de ne pas recevoir de soutien budgétaire du FMI sans un engagement régional fort de la part des Chefs d’États» à mettre en place des réformes visant à réduire le risque d’instabilité macroéconomique qui plane actuellement sur la zone CEMAC. D’où la convocation d’un sommet extraordinaire des Chefs d’État de la CEMAC ce 16 décembre à Yaoundé et la Directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a d’ailleurs annoncé sa présence à ce Sommet extraordinaire.
À l’origine de cette érosion des avoirs extérieurs en devises des pays de la CEMAC, en baisse constante depuis l’année 2023, se trouve le faible niveau de rapatriement des recettes d’exportation en devises des entreprises du secteur extractif. En dépit des concessions faites par la BEAC, celles-ci tardent visiblement à se conformer aux exigences de la nouvelle réglementation de change en vigueur dans la zone CEMAC. À la banque centrale, on avance qu’une proportion de seulement 35% de leurs recettes en devises ont été effectivement rapatriées.
Des tensions sur la dette
Il se pose également comme facteur de la crise que subit la CEMAC actuellement, le remboursement de 50% (180 milliards sur une dette globale de 376 milliards) d’un euro bond, en mobilisant plutôt l’épargne domestique, par le Gabon à la mi-novembre 2024. En d’autres termes le Gabon a effectué un emprunt en FCFA sur le marché local, pour rembourser par anticipation une dette libellée en dollars, contractée en 2015 et arrivant à échéance le 16 juin 2025, opération qui a contribué à réduire les réserves en devises communes aux États de la CEMAC centralisées par le Trésor français pour permettre de garantir la convertibilité du FCFA.
Le projet de reprofilage de la dette du Congo Brazzaville est aussi cité comme l’un des facteurs de fragilisation de la stabilité macroéconomique dans la zone CEMAC. En effet face aux tensions de trésorerie qui ne lui permettent plus de rembourser toutes ses dettes à échéance, le Congo Brazzaville ambitionne de rééchelonner, sur une période de 10 ans, le remboursement de la dette contractée par émissions de valeurs sur le marché sous régional des titres publics. Ce qui suscite des inquiétudes quant aux risques auxquels elle pourrait exposer le secteur bancaire de la CEMAC, car cette opération porte sur environ 2314 milliards de FCFA et le secteur bancaire de la CEMAC détient environ 80% des titres publics émis par les Etats de la sous région.
La fragilité du système bancaire de la CEMAC
« Si le reprofilage n’est pas bien géré, le gouvernement congolais pourrait accumuler des arriérés de paiements, ce qui entraînerait des pénalités et des taux d’intérêt plus élevés à l’avenir. Cela pourrait également nuire à la réputation du pays auprès des investisseurs et des créanciers rendant plus difficile l’accès à de nouveaux financements » analyse l’universitaire Viviane Ondoua Biwole. La directrice du GPE souligne d’ailleurs dans un document intitulé « Situation critique en zone cemac : l’épée de Damoclès brandit par le FMI » publié le 11 décembre 2024, que : « le processus de reprofilage peut accroître la vulnérabilité du système financier surtout si les banques et institutions financières détiennent une part importante de la dette publique. Une mauvaise gestion ou des retards dans le remboursement pourraient entraîner des pertes pour ces institutions, nuisant ainsi à leur stabilité et à leur capacité à prêter ».
L’opération est d’autant plus redoutée qu’elle intervient dans un contexte où le système bancaire de la CEMAC est déjà fragilisé, les créances en souffrance sont en hausse… À titre d’illustration, selon les données de la Commission bancaire d’Afrique centrale (COBAC), le Cameroun, première économie de la région a vu ses créances en souffrance augmenter de près de 11% en un an pour atteindre 774,11 milliards de FCFA au 30 juin 2024.
Pour rappel , au sortir de la Conférence des Chefs d’État de la CEMAC, convoquée dans les mêmes conditions de vulnérabilité et pour les besoins de la même cause le 23 décembre 2016 dans la capitale camerounaise, 21 résolutions à implémenter dès l’année 2017 avaient été prises, pour consolider la stabilité macroéconomique de la zone. Le retour à la case départ en 2024 est-il révélateur de l’échec des réformes entreprises ?