Les belles choses que porte le ciel, édité par Albin Michel, sera certainement l’une des belles œuvres étrangères de la rentrée littéraire française de ce jeudi 23 août. Son auteur, Dinaw Mengestu, 29 ans, écrivain américain d’origine éthiopienne invite à la rencontre d’un immigré africain qui porte en lui les stigmates de l’exil et, qui néanmoins, contribue à en donner une autre image. Loin de celle que véhiculent les média. Dinaw Mengestu, lors de sa récente escale parisienne, s’est plié avec grâce aux questions d’Afrik.
« Ma vie n’est pas très intéressante, dit-il, je reste à la maison et j’écris beaucoup. » Résultat, l’écrivain et journaliste américain d’origine éthiopienne, Dinaw Mengestu, livre une première œuvre inédite sur l’exil. Son héros, Sepha Stephanos, a dû abandonner sa famille à la suite de la sanglante révolution qui a endeuillé l’Ethiopie dans les années 77-78. Propriétaire d’une épicerie dans son quartier de Logan Circle, à majorité noire, dans la ville de Washington, l’Ethiopien d’environ 34 ans, vit difficilement son exil américain qui dure maintenant depuis 17 ans. L’arrivée de Judith, sa nouvelle voisine blanche, et de sa fille Naomi va profondément bouleverser son quotidien d’immigré partagé entre ses deux patries : l’Ethiopie et les Etats-Unis.
Dinaw Mengestu, qui vit actuellement à New York, est né en 1978 en Ethiopie. En 1980, tout comme le héros de son roman, il trouve refuge en Amérique avec ses parents qui fuient la révolution. A l’instar de son personnage dont on se plaît à sonder les blessures de l’âme, la plume de l’écrivain se fait attachante et pertinente. L’auteur développe un point de vue sur le statut d’immigré en Occident très novateur à bien des égards. Les belles choses que porte le ciel de Dinaw Mengestu, un titre emprunté à l’Enfer de Dante, est une aventure au coeur de la nostalgie et du manque qui mérite d’être tentée.
Afrik.com : Pourquoi cette envie de relater le quotidien d’un immigré éthiopien ?
Dinaw Mengestu : Ecrire ce livre a été une manière de m’imaginer la vie de mes parents qui ont, eux aussi, quitté l’Ethiopie pour les Etats-Unis, de me représenter ce que ce qu’ a pu signifier cet exil, leur vie en Amérique. Les autres personnages africains qui entourent Sepha permettent d’avoir une idée plus large de la vie de la diaspora africaine aux Etats-Unis. Et puis, on écrit aussi parce qu’on pense à un personnage et que la seule manière de se débarrasser de sa voix, omniprésente dans votre tête, est de lui donner corps.
Afrik.com : Que vouliez-vous faire en écrivant Les belles choses que porte le ciel ? Retranscrire les états d’âme d’un immigré ?
Dinaw Mengestu : Plus que transmettre les états d’âme d’un immigré, je voulais surtout évoquer les états d’âme d’un homme qui se sent seul, qui a le sentiment d’être perdu. Il est certes important que le personnage soit un immigré, mais ce qui m’importe encore plus, c’est ce sentiment d’être en exil qui l’habite et son désir d’établir du lien et avec ses amis et avec son entourage pour se recréer un chez soi, pour soulager cette nostalgie de la mère patrie.
Afrik.com : Quand on lit votre livre, les tourments de Sepha ne semblent pas si évidents tant le personnage paraît paisible…
Dinaw Mengestu : Son sentiment de solitude est plus profond qu’il n’y paraît. Il vit avec depuis si longtemps qu’il est enfoui quelque part au fond de lui.
Afrik.com : Sepha et ses amis Kenneth du Kenya et Joseph de la République Démocratique du Congo ont un jeu assez particulier qui leur permet de faire le tour des coups d’Etat qui ont eu lieu sur le continent africain. Selon vous, quand il s’agit d’Afrique, on ne peut voir que les choses en noir ?
Dinaw Mengestu : Absolument pas. Tous les trois aiment vraiment leur pays d’origine et ils essaient à leur manière de rire de cette colère, de ce sentiment de frustration qui les anime. Contrairement aux idées reçues, ils savent que l’Afrique est beaucoup plus belle que ce qu’elle laisse paraître. Ces trois Africains sont conscients que ce sont des hommes qui sont à l’origine des drames de leurs nations. Ils font la part des choses entre les décideurs politiques et les populations. Je voulais avant tout des personnages honnêtes et qui disent en même temps combien ils aiment leur pays d’origine. Car en dépit de tout, ils continueront de l’aimer parce que c’est tout simplement le leur.
Afrik.com : Aux Etats-Unis, les Africains et les Africains-Américains ne sont pas perçus de la même manière. Pourquoi selon vous ?
Dinaw Mengestu : Le racisme envers les Africains-Américains est si profondément ancré dans la société américaine qu’ils font encore l’objet d’une hostilité que les immigrés africains n’ont pas à subir. Ce n’est pas qu’une communauté est meilleure qu’une autre, c’est une situation qui est plutôt liée à la longue histoire de discrimination dont font l’objet les Africains-Américains aux Etats-Unis. Les immigrés africains sont perçus différemment. Il y a d’ailleurs quelque chose de très inconfortable dans la manière dont les Américains blancs réagissent face à cela parce qu’ils ont tendance à dire que les immigrés africains sont meilleurs. « Va brûler en enfer ! », aurai-je envie de répondre à certains d’entre eux. Je n’attends de personne qu’il me dise que je suis mieux qu’un autre.
Afrik.com : Et les relations qu’entretiennent les deux communautés entre elles ?
Dinaw Mengestu : Elles sont en train de changer. Leurs relations sont meilleures aujourd’hui qu’elles n’ont été dans le passé. Elles se rapprochent avec le temps. Il faut dire aussi que des Africains appartiennent maintenant aux deux communautés, à l’instar par exemple d’une nouvelle génération de Nigérians nés aux Etats-Unis. Leurs combats, notamment la lutte contre les discriminations, restent les mêmes. Elle les frappe tous de la même manière.
Afrik.com : Sepha est à la croisée des chemins parce qu’enfin, semble-t-il, il doit faire un choix : son pays d’adoption ou sa mère-patrie. Pensez-vous que tous les immigrés soient obligés de faire ce choix à un moment donné de leur exil ?
Dinaw Mengestu : Pas tous. Sepha est dans une situation particulière dans la mesure où il se sent coupable d’avoir quitté l’Ethiopie et surtout sa famille, sa mère et son frère. Il porte en lui cette culpabilité. C’est difficile pour lui d’accepter qu’il doit faire sa vie, ici, aux Etats-Unis. Beaucoup d’immigrés se retrouvent dans cette situation parce qu’ils ont peur d’oublier le passé et leur pays en devenant de vrais Américains. Il faut pouvoir créer un entre-deux. Garder son identité issue du passé et s’adapter à son pays d’accueil pour s’y créer une nouvelle vie.
Afrik.com : Il y a un passage où vous développez un point de vue que nous n’avons pas, par exemple, en France. Les images d’actualité, qui montrent des jeunes prêts à se laisser engloutir par les flots parce qu’ils espèrent une vie meilleure, ne le permettent pas d’ailleurs. Sepha dit clairement que ce n’est pas son intention et qu’il voulait, lui, fuir les fantômes du passé.
Dinaw Mengestu : C’est un point de vue que l’on a pas non plus aux Etats-Unis mais il est important. Mon père n’aurait jamais quitté l’Ethiopie s’il n’y avait pas eu cette révolution.
Afrik.com : La perspective de voir le Négus rouge jugé s’éloigne de plus en plus. Qu’en pensez-vous ?
Dinaw Mengestu : Je pense qu’il va mourir tranquillement au Zimbabwe. L’essentiel est qu’il reste loin du pays. Tout le mal a déjà été fait.
Afrik.com : Vous éprouvez certainement un sentiment comparable à la nostalgie bien que vous ayez quitté l’Ethiopie très jeune. Pensez-vous que la nostalgie puisse être assimilée à un mauvais virus qui se transmette de génération en génération ?
Dinaw Mengestu : J’ai grandi en ressentant un manque. De la même manière, mon grand père me manque alors qu’il est décédé quand j’étais petit garçon. Si vous n’avez pas de souvenirs, vous voyez sur le visage de vos parents qu’ils ont perdu quelque chose. La tragédie s’inscrit dans une famille et marque votre identité.
Afrik.com : Sepha estime que l’Amérique est parfois sur le déclin à l’image de son quartier de Logan Circle. Quel est l’avis de l’immigré que vous êtes sur la question ?
Dinaw Mengestu : C’est quelque chose qui renvoie à cette idée que la plupart des immigrés ont avant de venir aux Etats-Unis. Ils s’imaginent une Amérique où tout est parfait, où tout le monde a les mêmes droits, ce qui n’est évidemment pas vrai. Quand Sepha voit l’état de son quartier, il ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine satisfaction parce que c’est une preuve que l’Amérique n’est pas aussi merveilleuse qu’on pourrait le croire et il veut le souligner. Les Etats-Unis ont leurs problèmes, tout comme les pays en voie de développement.
Afrik.com : Judith, la nouvelle voisine de Sepha, qui est professeur d’histoire américaine, affirme elle que l’Amérique ne s’intéresse pas à son passé ? Comment pourrait-on l’expliquer ?
Dinaw Mengestu : Les Américains croient fermement au progrès, ils sont toujours tournés vers l’avenir. Quoi qu’il puisse arriver, le passé justement doit toujours relever du passé. Il ne faut donc pas en tenir compte. Dans le livre, c’est du racisme dont on ne doit pas se préoccuper parce qu’il appartiendrait soi-disant au passé. Mais le passé, l’histoire influence toujours notre présent.
Afrik.com : Vous êtes le fruit d’une double culture américaine et éthiopienne. Assumer ce double patrimoine est-il un exercice difficile ou cela ne vous pose pas vraiment de problème ?
Dinaw Mengestu : C’est plutôt difficile mais j’ai appris à faire avec. Quand je suis aux Etats-Unis, j’ai envie d’être en Ethiopie. Quand je suis en Ethiopie où je me suis rendu l’année dernière, les Etats-Unis me manquent. Je ne peux rien n’y faire, ce sera toujours comme ça.
Afrik.com : Pourrait-on dire que le titre de votre livre est aussi une conclusion à l’histoire que vous narrez. Il y a la nostalgie du pays, le manque, les problèmes que vous rencontrez dans votre pays d’accueil mais au bout du compte, le ciel porte de belles choses.
Dinaw Mengestu : On pourrait voir les choses ainsi parce que la vie est loin d’être un long fleuve tranquille. Elle est semée d’embûches mais elle laisse aussi beaucoup de place à l’espoir.
Afrik.com : Votre livre a fait un véritable tabac aux Etats-Unis où il est sorti en mars dernier, qu’attendez-vous du public français ?
Dinaw Mengestu : Je veux être optimiste quant à l’accueil qui lui sera fait en France.
Les belles choses que porte le ciel
de Dinaw Mengestu aux Editions Albin Michel (traduit de l’américain par Anne Wicke), 305 pages
Prix : 21,50 euros
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